Les taux des obligations d’État ont été plutôt stables au cours des trois derniers mois ; ils restent assez bas, mais correspondent à notre fourchette de juste valeur. Au cours des 12 prochains mois, nous prévoyons que les taux augmenteront, mais beaucoup moins vite qu’au début de l’année 2021. La croissance économique ainsi que l’inflation atteindront probablement leur sommet cet été, ce qui dissipera en grande partie les pressions exercées sur les cours obligataires. Nous prévoyons que le taux des obligations du Trésor américain à dix ans sera de 1,75 % d’ici 12 mois.
Les pires jours de la pandémie s’éloignent et les données sur l’inflation, les plus élevées depuis une dizaine d’années, deviennent une importante source d’inquiétude pour les porteurs d’obligations. Aux États-Unis, les prix à la consommation ont grimpé de 4,2 % en avril par rapport à l’année précédente, enregistrant leur hausse la plus rapide depuis 2008 (figure 1) ; au Canada, cette hausse a été de 3,4 %, la plus forte depuis 2011. Nous croyons que l’inflation a encore augmenté en mai et que cette période d’inflation élevée pourrait se prolonger jusqu’au milieu de l’année. Les prix des actifs augmentent aussi, et les prix des logements ont bondi d’environ 25 % dans la plupart des pays développés. Nous sommes toutefois d’avis qu’une forte remontée de l’inflation est peu susceptible de durer, et cette opinion est prise en compte dans nos prévisions à l’égard des taux obligataires. Une augmentation plus marquée de l’inflation ferait grimper les taux beaucoup plus que ce que nous prévoyons.
Figure 1 : L’inflation aux États-Unis n’a jamais été aussi forte depuis 2008
Indice des prix à la consommation aux États-Unis (variation d’une année sur l’autre)
Nota : Au 26 mai 2021. Source : Bureau of Labor Statistics des États-Unis
La hausse de l’inflation représente-t-elle un signe précurseur d’une intensification persistante des pressions sur les prix dans l’avenir ? Selon toute probabilité, l’inflation restera supérieure à 2 % pendant la plus grande partie de 2021, mais les hausses de prix devraient s’atténuer après les prochains mois. L’inflation devrait finir par redescendre à la cible fixée par les banques centrales, aux alentours de 2 %, voire en deçà. Depuis des années, les banques centrales cherchent à générer une inflation appréciable ; les chaînes d’approvisionnement industrielles et les travailleurs ont subi un choc historique à cause de la pandémie, mais celle-ci n’a pas supplanté certaines forces structurelles qui pèsent sur les prix, notamment le vieillissement des populations, l’innovation technologique, les inégalités grandissantes en matière de salaires et de richesse, ainsi que la capacité croissante des sociétés à fixer les salaires.
Nous croyons aussi que la poussée initiale de l’inflation causée par la pandémie devrait être suivie de pressions déflationnistes. Celles-ci comprennent une hausse du taux de participation de la population active (étant donné que l’option du télétravail procure un accès à l’emploi à davantage de gens), l’accélération de la transition vers le commerce électronique (puisque les prix en ligne ont tendance à être moins élevés que dans les magasins physiques) et l’augmentation du taux d’épargne (étant donné que les répercussions psychologiques de la pandémie incitent les ménages à accroître leurs réserves pour les temps difficiles).
Cela dit, nous ne sommes pas entièrement tirés d’affaire au chapitre de l’inflation. La réouverture de l’économie se déroule de façon inégale : en effet, les consommateurs hésitent relativement peu à dépenser pour des biens, mais l’activité dans les secteurs des services demeure limitée du fait que ces entreprises exigent souvent des contacts étroits entre les gens. Par conséquent, les sommes qui seraient habituellement affectées aux dépenses au restaurant, au salon de coiffure ou en vacances l’ont été à l’achat d’appareils électroniques ou de rénovations de la maison. Par ailleurs, les chaînes d’approvisionnement des sociétés peinent à répondre à la demande, et une bonne partie de l’inflation actuelle est attribuable aux fabricants de biens qui augmentent leurs prix pour transmettre la hausse des coûts à leurs clients.
Pour sa part, la demande des consommateurs est soutenue par l’augmentation massive des dépenses publiques liées à la pandémie et financées par la vente d’obligations. Partout dans le monde, les déficits des gouvernements n’ont jamais été aussi élevés, sauf en temps de guerre, et donnent peu de signes de réduction. La prolongation des dépenses publiques astronomiques et de taux d’intérêt historiquement bas, au moment où s’estompent les pires effets économiques de la pandémie, fait craindre que les gouvernements utilisent la pandémie pour ajouter des programmes budgétaires permanents au lieu de chercher simplement à contrebalancer les pertes liées à la COVID-19.
Un dernier élément suscite des craintes d’inflation : il s’agit du fait que les banquiers centraux actuels aient tous atteint l’âge de la majorité au cours des dernières décennies, marquées par un recul de l’inflation, et qu’ils semblent davantage susceptibles de la laisser grimper que tout autre groupe depuis les années 1960. Il existe en effet des craintes fondées que ces dirigeants préfèrent laisser l’inflation s’enflammer plutôt que de freiner la reprise de l’économie.
Ce ne sont pas les précédents qui manquent pour justifier les craintes d’inflation après la pandémie, en particulier dans la foulée d’importants programmes de relance des gouvernements. L’inflation a bondi de 4 % lorsque l’économie a amorcé sa reprise après la crise financière de 2008-2009, avant de s’estomper, car les effets cycliques du rebond de l’économie se sont atténués et les facteurs structurels sont revenus à l’avant-scène. Ce sera probablement le cas cette fois-ci. À mesure que la demande de biens s’atténue et que les services effectueront un retour en force, l’incidence inflationniste du déséquilibre des dépenses des consommateurs devrait disparaître.
La plupart des banques centrales considèrent que la hausse actuelle de l’inflation sera probablement temporaire. Par conséquent, elles porteront leur attention sur les dommages causés par la pandémie sur les marchés du travail, en particulier aux ménages à faible revenu dont les membres travaillent habituellement dans les secteurs des services. Les banques centrales seront donc peu susceptibles d’amorcer le relèvement des taux d’intérêt tant que le rétablissement du marché de l’emploi ne sera pas avancé. Les programmes gouvernementaux d’urgence ont contribué à atténuer les pires effets économiques de la crise, mais tôt ou tard, ils prendront fin. Pour ces ménages, la reprise postpandémique sera vraisemblablement lente, contrairement à celle du marché boursier. Signalons qu’il a fallu au marché de l’emploi la plus grande partie de la décennie pour récupérer les postes perdus lors de la crise financière de 2008-2009.
Les taux obligataires ne devraient augmenter que lorsque le rétablissement du marché de l’emploi sera fermement établi et que les investisseurs prévoiront que les banques centrales se rapprochent du moment où elles relèveront les taux d’intérêt. Mais ces conditions sont encore loin d’être réunies, selon nous. Les marchés des titres à revenu fixe tablent sur un retour aux taux directeurs antérieurs à la pandémie qui surestime le niveau obstinément élevé de l’inflation et sous-estime les dommages que la COVID-19 a probablement causés sur les marchés de l’emploi.
Orientation des taux d’intérêt
États-Unis – L’inflation a atteint en avril son niveau le plus élevé en plus de dix ans, à 4,2 %, et devrait rester forte au cours des prochains mois, car les répercussions liées à la pandémie font sentir leur effet sur les statistiques sur 12 mois et l’étranglement de l’offre reste prononcé. Pour l’instant, nous ne prévoyons pas que l’inflation augmentera au point d’inquiéter la Réserve fédérale (Fed). La reprise du marché de l’emploi aux États-Unis n’en est toujours qu’à ses balbutiements et la Fed devrait considérer qu’un taux d’inflation élevé n’est que temporaire. Les indicateurs du marché donnent à penser que la première hausse de taux devrait être décrétée à la fin de 2022 ou au début de 2023.
Nous ne prévoyons aucun changement du taux des fonds fédéraux au cours des 12 prochains mois. Selon nous, il est plus probable que la prochaine hausse de taux soit décrétée en 2023 qu’en 2022. Mais bien avant cette première hausse de taux, la Fed amorcera le ralentissement de ses achats d’actifs, un processus en plusieurs étapes qui prendra un certain temps. Selon nous, le taux des obligations du Trésor américain à dix ans s’établira autour de 1,75 % au cours des 12 prochains mois. Les taux obligataires devraient rester confinés dans une fourchette étroite pendant le reste de l’année, car les soubresauts de la croissance et de l’inflation dans la foulée de la pandémie devraient s’atténuer.
Canada – En raison du ton adopté par les dirigeants de la Banque du Canada, les investisseurs sont d’avis que la banque centrale pourrait réduire ses mesures de relance monétaire plus tôt que prévu, même si elle s’est engagée à maintenir son taux directeur à un niveau aussi bas qu’il est raisonnablement possible. Selon la Banque du Canada, sa cible d’inflation de 2 % sera durablement atteinte au second semestre de 2022, plutôt qu’en 2023. Comme prévu, la banque centrale a aussi réduit ses achats d’obligations, qui sont passés de 4 G$ à 3 G$ par semaine, et nous nous attendons à ce qu’ils diminuent à 2 G$ au cours des six prochains mois. La décision de la Banque du Canada de réduire ses achats d’actifs contraste avec celle de la Fed, qui considère qu’il est trop tôt, ne serait-ce que pour discuter de la possibilité de diminuer ses achats d’obligations. Cette réduction a été attribuable aux craintes que la banque centrale canadienne détienne une part trop importante du marché obligataire du pays.
En avril, le gouvernement fédéral a publié un premier budget depuis 2019 et les prévisions d’émissions d’obligations étaient conformes aux attentes des investisseurs, qui tablent sur des émissions de 286 G$ pour l’exercice en cours, en baisse par rapport aux 374 G$ de l’exercice précédent. Le gouvernement entend consacrer une plus grande partie de ses émissions aux obligations de plus longue échéance, ce qui pourrait limiter leur rendement, selon nous. Selon les prévisions contenues dans le budget, les obligations à dix ans ou plus représenteront 42 % des émissions pour l’exercice en cours, comparativement à 29 % l’an dernier et à 19 % il y a deux ans.
Les taux des obligations canadiennes se sont stabilisés après avoir doublé au premier trimestre de 2021, et nous prévoyons que les taux obligataires resteront confinés dans une fourchette en raison de la solide croissance de l’économie, de l’accroissement de l’inflation et des émissions d’obligations gouvernementales. Les investisseurs tablent sur un resserrement d’environ 40 à 50 points de base d’ici la fin de 2022, conformément aux prévisions actuelles de la Banque du Canada et aux nôtres. Au cours des 12 prochains mois, nous ne prévoyons aucun changement du taux cible du financement à un jour de la Banque du Canada, actuellement de 25 points de base, et nous nous attendons à ce que le taux des obligations du gouvernement du Canada à dix ans atteigne 1,60 %.
Japon – La Banque du Japon n’a pas modifié sa politique monétaire pendant le dernier trimestre et devrait opter pour le statu quo au cours des 12 prochains mois. Il est peu probable que son taux directeur, actuellement de -0,10 %, soit modifié en l’absence d’une réévaluation fondamentale du cadre de politique monétaire de la banque centrale ; or, la Banque du Japon vient tout juste d’achever un examen exhaustif de sa politique. En nous fondant sur les résultats de cet examen, nous avons légèrement accru la probabilité d’un taux directeur passant plus loin en territoire négatif. À cette étape du cycle, toutefois, cette éventualité est peu vraisemblable, en l’absence d’un ralentissement marqué de l’activité. Par ailleurs, les Jeux olympiques de Tokyo, cet été, devraient donner un bon coup de fouet à l’économie, et nous prévoyons une certaine accentuation de la courbe des taux au Japon. À long terme, la probabilité d’une augmentation des taux obligataires est peu élevée en raison de l’inflation obstinément faible ainsi que du vieillissement et de la diminution de la population. Nous prévoyons que le taux des obligations d’État japonaises à dix ans s’établira à 0,10 % d’ici 12 mois, une augmentation de cinq points de base par rapport à notre prévision du trimestre dernier.
Royaume-Uni – Le Royaume-Uni fait figure de chef de file au chapitre de la vaccination de sa population, et la réouverture de l’économie du pays se produit au moment même où le parti conservateur au pouvoir, qui a longtemps été un tenant de la probité et de l’austérité budgétaire, a plutôt décidé d’accroître le flot de mesures budgétaires. L’expansion budgétaire et la pandémie ont occulté en partie les perturbations causées par le retrait officiel du pays de l’Union européenne, à la fin de 2020. Néanmoins, l’économie britannique se porte raisonnablement bien compte tenu des circonstances, et les taux des obligations d’État sont orientés à la hausse. Nous prévoyons que la Banque d’Angleterre restera sur la touche pendant au moins 12 mois ; d’ici là, nous verrons bien si l’économie mondiale a remonté la pente. Nous nous attendons à ce que le taux des obligations d’État britanniques à dix ans s’établisse à 0,70 % au cours des 12 prochains mois.
Zone euro – La campagne de vaccination dans la zone euro a été à la traîne des autres marchés développés, ce qui a eu pour effet de ralentir l’activité économique ; en effet, l’économie de la zone euro s’est contractée contre toute attente au cours des trois premiers mois de l’année. Les pressions inflationnistes dans la région sont relativement faibles, comparativement aux États-Unis, ce qui porte les investisseurs à conclure que le relèvement des taux s’amorcera plus tard et sera plus modeste. Les programmes d’achats d’actifs de la Banque centrale européenne (BCE) restent particulièrement importants pour maintenir à de bas niveau les taux sur les marchés des obligations d’État et de sociétés libellées en euros. Selon nous, ces programmes se poursuivront au moins jusqu’à la fin de cette année. En raison peut-être de la faiblesse relative de sa reprise économique, la BCE a pris des mesures beaucoup plus énergiques que la Fed pour juguler les coûts d’emprunt. Par exemple, la BCE a accéléré ses achats d’actifs en raison de l’augmentation des taux réels ; cette mesure explique en partie pourquoi les taux allemands ont moins augmenté que ceux des titres du Trésor américain au cours de la dernière année (figure 2). Nous prévoyons que la BCE ne modifiera pas son taux directeur au cours des 12 prochains mois, et que le taux des obligations d’État allemandes à dix ans atteindra -0,25 % dans un an.
Figure 2 : Les taux obligataires aux États-Unis ont augmenté beaucoup plus qu’en Allemagne
Variation des taux des obligations d’État américaines et allemandes depuis mars 2020
Nota : Au 26 mai 2021. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Recommandations régionales
Nous surpondérons les obligations d’État d’Europe par rapport aux obligations gouvernementales japonaises, en raison du meilleur potentiel d’appréciation du capital offert par les premières, compte tenu de la couverture des risques de change.
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