Aperçu
Plusieurs questions économiques importantes ne sont toujours pas réglées. La guerre en Ukraine
continue d’avoir de lourdes répercussions sur les prix des marchandises et la croissance
économique. La pandémie marche sur la corde raide : la situation s’est beaucoup
améliorée, mais une nouvelle vague demeure possible à court terme. La Chine a dû mettre
en place de nouvelles mesures de confinement, mais le gouvernement promet un soutien additionnel. À
l’échelle mondiale, les dernières données économiques ont été
plutôt solides, mais on constate certains signes d’un effritement possible de la croissance. Nous
abordons également plusieurs facteurs d’inflation importants et les plans des banques centrales
concernant un resserrement énergique, et examinons ce que la courbe de rendement révèle sur le
risque de récession.
Guerre en Ukraine
Le bombardement des villes ukrainiennes par les forces russes se poursuit, et ces dernières continuent de
gagner du terrain dans la ville portuaire névralgique de Marioupol. Les comptes-rendus de renseignements font
état du risque d’une cyberattaque majeure de la part de la Russie.
Mais la nouvelle récente la plus importante est certainement celle voulant que la Russie soit en train de
concentrer ses efforts militaires sur l’est de l’Ukraine. Il s’agit d’un
développement majeur, qui constitue en quelque sorte une admission que la Russie a de la difficulté
à engloutir l’Ukraine et qu’elle a considérablement revu ses ambitions à la baisse,
et qui permet d’espérer que le risque qui plane sur de nombreuses villes ukrainiennes et une grande
partie de la population du pays vient d’être considérablement réduit. On peut supposer que
le flux de réfugiés en provenance de l’Ukraine ralentira (bien qu’il soit
déjà massif – voir le graphique suivant – et qu’il ne tienne pas compte des
déplacements internes). Le risque que la Russie étende ses ambitions militaires à
d’autres pays d’Europe de l’Est était assez faible, mais il s’amenuise davantage. La
Russie en a déjà plein les bras.
Migration des réfugiés ukrainiens par pays voisin
La Russie pourrait connaître davantage de succès en concentrant ses efforts militaires. Elle
réduirait ainsi en effet ses lignes d’approvisionnement, puisqu’elle occupait déjà
une position considérable dans l’est de l’Ukraine avant le début de la guerre. Les troupes
ukrainiennes dans cette région devront désormais combattre sur deux fronts maintenant que les troupes
russes approchent aussi par l’ouest.
Un cessez-le-feu en vue ?
Les espoirs sont plus minces qu’il y a quelques semaines, lorsque les deux camps parlaient avec optimisme
d’une entente imminente. Cependant, un cessez-le-feu à court terme demeure tout à fait
vraisemblable. Les pourparlers se poursuivent entre les deux parties en Turquie. Le ministre turc des Affaires
étrangères a récemment affirmé que les deux pays « étaient presque
parvenus à une entente » sur quatre éléments clés d’un accord de paix.
Ainsi, des progrès ont été rapportés sur les points suivants :
- L’engagement de Kiev à déclarer la neutralité et renoncer à une
adhésion à l’OTAN.
- La démilitarisation de l’Ukraine en échange de garanties de sécurité de la
part de l’Occident.
- La « dénazification » de l’Ukraine (un terme employé par la Russie
pour réclamer un changement de régime en Ukraine).
- La levée des restrictions concernant l’utilisation de la langue russe en Ukraine.
En contrepartie, la Russie pourrait accepter un cessez-le-feu et ramener ses troupes là où elles se
trouvaient avant l’invasion du 24 février.
Étant donné la popularité de l’administration actuelle, il serait toutefois surprenant que
l’Ukraine accepte un changement forcé de gouvernement. La mise en place d’un régime
prorusse est presque inimaginable.
Pendant ce temps, le président ukrainien Volodymyr Zelensky insiste sur le fait que la Russie ne peut pas
découper l’Ukraine en morceaux. On ignore toutefois si cette déclaration s’applique
à l’occupation de la Crimée par la Russie avant la guerre et à son contrôle
provisoire de certaines parties de l’est du pays (que la Russie refusera fort probablement de céder),
ou si elle témoigne simplement de son refus d’accepter d’autres pertes territoriales. Le
président américain Joe Biden a récemment affirmé que Poutine ne pouvait pas rester
au pouvoir, ce qui est peu susceptible d’être perçu favorablement par la Russie et ne constitue
en aucun cas une demande à laquelle la Russie acquiescera.
Il est également probable que l’Ukraine doute sérieusement que la Russie respectera tout pacte
qui pourrait être conclu. En outre, les cessez-le-feu négociés par la Russie lors de ses
conflits antérieurs avec la Géorgie et la Moldavie étaient en fin de compte à son
avantage, dans la mesure où ils ont permis de protéger les alliés russes qui avaient pris le
contrôle des territoires contre de nouvelles attaques.
La situation est décidément complexe. Selon nous, il y a une chance sur trois qu’une entente soit
conclue au cours des prochains mois. Nous sommes à cet égard plus optimistes que1.
Cette plateforme évalue la probabilité d’un accord avant le 1er juin à
27 %, et avant le 1er décembre à 73 %.
Prix des marchandises
Les prix élevés des marchandises demeurent la principale voie par laquelle la guerre en Ukraine
s’inscrit dans l’économie mondiale. Les prix d’un large éventail de marchandises
demeurent assez élevés depuis l’invasion russe, bien que la tendance récente ait
été inégale.
Les prix des denrées alimentaires ont monté en flèche et ont pour la plupart maintenu leurs
gains initiaux, ce qui commence à causer l’instabilité annoncée dans les pays les plus
pauvres. La production agricole de l’Ukraine nourrit à elle seule un nombre colossal de
400 millions de personnes, dont beaucoup risquent maintenant de souffrir de la faim. Des manifestations contre
les prix des denrées alimentaires ont eu lieu en Irak, au Sri Lanka, au Soudan et en Albanie, et
d’autres perturbations sont attendues. Pour sa part, le Congo a prévenu que la hausse des prix du pain
et du pétrole pourrait devenir une « source majeure d’instabilité ».
Les prix des métaux ont fortement reculé par rapport à leurs sommets, mais restent tout de
même élevés (voir l’évolution du prix du nickel dans le graphique suivant).
Prix au comptant du nickel
Les prix du pétrole ont également reculé par rapport à leurs sommets, même
s’ils ont affiché de fortes fluctuations. Ainsi, depuis la fin de février, le prix du baril de
pétrole West Texas Intermediate est passé de 92 $ à 124 $, puis a chuté
à 95 $ avant de remonter à 115 $ ; il s’établissait à 103 $ le
28 mars.
Une partie de cette volatilité peut être attribuable aux questionnements sur l’approvisionnement.
L’OPEP n’est pas encore intervenue et un pipeline russe a été brièvement
endommagé par les intempéries. Étonnamment, la volatilité est due en grande partie aux
questionnements sur la demande chinoise. La Chine a imposé un confinement à plusieurs autres villes,
ce qui a incité les analystes en énergie à abaisser leurs prévisions quant à la
demande du pays et, en conséquence, au prix du pétrole.
Nous continuons de prévoir un écart de deux millions de barils par jour entre l’offre et la
demande à l’échelle mondiale. En théorie, cela justifie un prix qui pourrait osciller
autour de 143 $ le baril. Cette prévision n’est toutefois pas très précise. Les
estimations de tiers tablent généralement sur un écart allant de un million à trois
millions de barils par jour. Les estimations de l’élasticité du prix du pétrole en
réaction aux variations de l’offre sont encore plus élevées.
Comme nous nous y attendions, certains gouvernements ont décidé d’absorber une partie des hausses
de prix de l’énergie subies par leurs citoyens. Ainsi, l’Allemagne a annoncé des
subventions aux combustibles et réduit les tarifs de transport en commun. L’Autriche a diminué
ses tarifs de gaz naturel et d’électricité et augmenté ses subventions de transport.
Trois États américains et la province de l’Alberta, au Canada, ont approuvé une
exonération temporaire de la taxe sur l’essence. En Colombie-Britannique, les conducteurs devraient
obtenir un rabais unique sur la taxe. Dans les Caraïbes, la Jamaïque a mis en place une combinaison de
subventions et de bons d’essence, et la Barbade a plafonné les taxes sur l’essence et le diesel.
Et ce ne sont là que quelques exemples.
À quel moment les sanctions pourraient-elles être levées ?
Les sanctions contre la Russie sont la principale cause de la flambée des prix des marchandises et, par
conséquent, des dommages économiques. Il est donc important d’avoir une idée non
seulement des dégâts engendrés par les sanctions, mais aussi du temps qu’elles pourraient
durer.
À cet égard, de nombreux scénarios sont possibles. En fait, les sanctions pourraient être
levées assez rapidement. Si un cessez-le-feu ou un accord de paix est signé au cours des prochains
mois, elles seront peut-être suspendues au même moment. Le ministre des Affaires
étrangères du Royaume-Uni a récemment évoqué la possibilité que les
sanctions contre les particuliers et les entreprises russes soient annulées à ce moment-là.
Cependant, la guerre pourrait bien s’éterniser.
Et même lorsqu’elle prendra fin, il n’est pas certain que les sanctions imposées à la
Russie seront levées immédiatement, et ce, pour plusieurs raisons :
- Certains pays pourraient les maintenir tant que la Russie continue d’occuper l’Ukraine ainsi que la
Crimée, une exigence qui sera difficile à satisfaire.
- Si la Russie voit son économie rebondir dès la fin des opérations militaires, la punition
risque de ne pas être assez sévère ; il faudrait probablement que la leçon soit
plus cuisante.
- Même si les sanctions visant la Russie étaient levées, les entreprises occidentales
hésiteront sans doute à retourner dans ce pays. Elles y ont perdu des sommes astronomiques. Elles
réalisent la précarité des activités dans ce pays et la Russie a tout fait pour
annuler leurs droits de propriété intellectuelle au cours du dernier mois.
Par conséquent, à moins qu’un nouveau gouvernement dirige le pays, la majeure partie des
sanctions demeureront probablement en place pendant plusieurs années, que la guerre dure aussi longtemps
ou non.
Conséquences économiques
Voyons de nouveau quelques-unes des répercussions de la guerre sur l’économie. En ce qui concerne
l’Ukraine, l’estimation la plus réaliste est que son économie a diminué de
moitié. Comme il est difficile de calculer la croissance annuelle moyenne de son PIB tout en tenant compte
d’un éventuel redressement dans le courant de l’année, les projections les plus
sérieuses intégrées aux prévisions générales tablent sur une contraction
du PIB d’environ 35 % pour 2022.
Pour la Russie, les prévisions économiques générales ne cessent de s’assombrir et
se situent maintenant au milieu de la fourchette que nous avions déterminée voilà un mois. En
mars, les estimations générales de Bloomberg signalent un déclin du PIB de 10 %
en 2022.
Du côté de la zone euro, les prévisions de croissance pour 2022 demeurent relativement
stables ; elles sont passées de 4,0 % en février à 3,3 % en mars. Celles que
nous avons formulées ont affiché un recul à peu près deux fois plus important, à
2,5 %. La baisse des prévisions est prononcée et marque une forte
décélération par rapport à la croissance de 5,2 % enregistrée en 2021.
Toutefois, le taux reste synonyme de reprise économique modérée. Le risque de récession
qui pèse sur le continent est élevé en raison de la dépendance aux marchandises
russes ; il reste toutefois inférieur à 50 %.
En Allemagne, l’indice hebdomadaire de l’activité économique de la Bundesbank
témoigne du net ralentissement, bien que ce soit sans commune mesure avec ce que le pays a subi au
printemps 2020 (voir le graphique suivant).
Indice hebdomadaire de l’activité économique Deutsche Bundesbank
Jusqu’à présent, on note peu de signes de dommages sérieux dans les autres
économies développées. Cependant, le choc des marchandises vient tout juste de commencer et
devrait, en théorie, avoir de graves répercussions.
Point d’inflexion de la pandémie
La pandémie pourrait avoir atteint un point d’inflexion. Au cours des derniers mois, la tendance
s’est révélée largement positive, grâce au recul de la vague Omicron. La hausse du
nombre de cas observée dans les pays développés a récemment été en partie
neutralisée (voir le graphique suivant). Il est possible que le nombre de personnes vaccinées et
infectées soit suffisant dans la plupart des pays pour grandement limiter les vagues futures.
Nombre de cas de COVID-19 dans les pays émergents et dans les pays développés
Néanmoins, nous croyons qu’une vague de faible importance attribuable au sous-variant BA.2
s’abattra sur la plupart des pays développés au cours des prochains mois. Ce sous-variant serait
de 30 % à 40 % plus contagieux que le variant Omicron et tout aussi susceptible
d’entraîner une hospitalisation ou un décès. L’efficacité des rappels de
vaccin diminue au fil des mois et, comme les restrictions sont assouplies, le risque de propagation
s’accroît. De fait, le nombre de cas remonte dans plusieurs pays européens (voir le graphique
suivant).
Un taux de transmission inférieur à 1 indique que la COVID-19 ralentit
Au Canada, les infections à la COVID-19 pourraient commencer à augmenter de nouveau. Bien que,
officiellement, le nombre de cas à l’échelle nationale suive toujours une trajectoire
baissière, la progression du taux de positivité des tests montre qu’il y a peut-être un
sous-dépistage (voir le graphique suivant). En outre, la situation se détériore
indéniablement dans les provinces les plus peuplées, notamment au Québec et en Ontario (voir
plus bas).
Cas de COVID-19 et taux de positivité au Canada
Propagation de la COVID-19 en Ontario
Le nombre d’infections dans l’ensemble des États-Unis continue de diminuer d’un point de vue
technique. On remarque cependant que le nombre d’États annonçant une hausse du nombre de cas
augmente. Ce groupe comprend de grands États, comme la Californie, le Texas, la Floride et New York
(voir le graphique suivant).
Nombre d’États américains dont le taux de transmission est supérieur au
seuil clé de un
Nous avons gardé la Chine pour la fin. Ce pays connaît, et de loin, la plus importante vague
d’infections depuis l’hiver 2020 (voir le graphique suivant). Nous pensons que le nombre de cas
pourrait encore augmenter. Nous aborderons cette question dans la prochaine section.
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 en Chine
Le yin et le yang de la Chine
Le cas de la Chine devient très compliqué, et d’importantes forces contradictoires tentent de
dominer simultanément la situation.
Mauvaises nouvelles
La situation liée à la COVID-19 se détériore sensiblement. La politique de
tolérance zéro du pays se bute au variant BA.2, extrêmement contagieux. Hong Kong est
déjà aux prises avec une propagation incontrôlée. Sur le continent, la ville de Shenzhen
(17 millions d’habitants) sort tout juste d’un confinement. C’est maintenant au tour de
Shanghai (26 millions d’habitants) – qui était sur le point de plonger depuis quelques
semaines – d’être confinée. D’autres villes devraient leur emboîter le
pas. De toute évidence, cette crise provoque des dommages économiques, tant en Chine que pour la
fourniture de biens à l’échelle mondiale. Cela dit, le système en « boucle
fermée » du pays a obtenu récemment un certain succès ; les travailleurs des
usines y vivent et sont donc en mesure de continuer à produire des biens manufacturés même si la
ville est confinée.
Il est peu probable que la Chine abandonne de sitôt sa politique de tolérance zéro. La population
adhère à cette politique, le gouvernement a annoncé fièrement que l’approche du
pays était meilleure que celle du reste du monde, et une propagation massive juste avant l’octroi
d’un troisième mandat – du jamais vu – au président Xi cet automne
ferait mauvaise impression.
La Chine est toutefois vulnérable à une flambée des cas, et ce, pour diverses raisons. Outre le
caractère particulièrement contagieux du plus récent variant, il y a le fait que la plupart des
Chinois ont reçu un vaccin qui semble considérablement moins efficace contre les derniers variants.
L’absence de vagues précédentes signifie que très peu de gens ont acquis une solide
immunité naturelle et que seulement 51 % des Chinois de 80 ans et plus sont vaccinés (le
taux de vaccination est toutefois plutôt élevé en ce qui concerne les groupes d’âge
plus jeunes).
Un scientifique de premier plan a admis récemment que la Chine ne pourra pas toujours conserver cette
orientation, qui exigerait que le pays soit coupé indéfiniment du reste du monde. Mais une
réouverture ne sera pas tellement plus facile. En raison de la faible immunité au sein de la
population, la Chine serait vraisemblablement confrontée à une vague bien plus importante que celle
observée dans les autres pays.
Bonnes nouvelles
En revanche, le gouvernement du pays continue de mettre l’accent sur ses objectifs de stabilité
économique pour 2022. La Chine est l’un des rares pays à mettre en place des mesures de relance
monétaire, au moment où la plupart des autres s’agitent à cause de l’inflation et
relèvent vigoureusement leurs taux d’intérêt. Les banques ont récemment reçu
la consigne d’accroître les prêts aux acheteurs et aux promoteurs immobiliers, et
l’impulsion du crédit gagne déjà en importance (voir le graphique suivant).
L’impulsion du crédit en Chine s’est redressée
Le principal conseiller économique de la Chine a exigé récemment que les organismes de
réglementation mettent en place des politiques favorables au marché et conçues pour
« dynamiser l’économie ». Une variété de politiques favorables
devrait comprendre des baisses d’impôt, des mesures favorisant l’emploi, des investissements dans
les infrastructures (en particulier celles de l’énergie) ainsi qu’un soutien aux petites
entreprises de même qu’à la fabrication. Ce qui est peut-être le plus
révélateur, c’est que le pays a surpris récemment les experts en annonçant une
cible de croissance du PIB réel d’au moins 5,5 % en 2022, soit plus que la cible attendue de
5,0 %. On pense que le président Xi cherche à obtenir une forte croissance au cours de
l’année précédant la reconduction de son mandat. Nous prévoyons toujours une
croissance inférieure à 5 % en raison surtout des dommages que devraient causer les confinements
liés à la COVID-19 et le délaissement à l’échelle mondiale des biens et
services produits en Chine.
À moyen terme, la Chine devra surmonter « les trois grandes montagnes » que sont
l’éducation, la santé et le logement si elle veut assurer la prospérité de sa
population. Le gouvernement semble d’ailleurs déterminé à agir pour améliorer la
situation dans ces trois domaines. Les mesures de répression précédemment adoptées
à l’encontre des prestataires de services d’éducation à but lucratif (selon une
estimation, un tiers des ménages chinois consacraient un pourcentage incroyable de 30 à 50 % de
leurs revenus aux dépenses d’éducation en 2019) et pour corriger les excès en
matière de logement s’inscrivent dans ce plan global. En 2021, le pays a également
annoncé un plan quinquennal visant à moderniser son secteur de la santé.
Évolution de la conjoncture économique
Nous avons assisté à un mélange éclectique d’évènements
économiques.
Restrictions liées à la COVID-19
Commençons par le Canada. Les restrictions liées à la COVID-19 n’y ont jamais
été aussi souples depuis l’émergence de la pandémie, et sont même plus
modérées qu’à l’été et au début de l’automne 2021
(voir le graphique suivant). C’est un atout important pour l’économie canadienne. Une
grève des chemins de fer a brièvement menacé la reprise de l’activité, mais cette
crise a été résolue en moins d’une semaine et n’a pas eu d’incidence majeure.
Restrictions liées à la COVID-19 au Canada
D’après Goldman Sachs, les restrictions retardent la production économique mondiale
d’à peine 2 % actuellement. Ce chiffre représente une amélioration par rapport au
repli de 3 à 4 % estimé au pire de la vague Omicron. Ce taux de 2 % représente la
production économique qui est restée en suspens ces deux dernières années, et qui peut
encore redémarrer à mesure que les conditions se normaliseront.
Les demandes de prestation de chômage sont au plus bas
Aux États-Unis, non seulement les demandes hebdomadaires initiales de prestations de chômage sont
inférieures à ce qu’elles étaient avant la pandémie, mais elles sont aussi au plus
bas depuis 1969 (voir le graphique suivant). Cela reflète les progrès réalisés dans
l’économie américaine, et montre que le resserrement monétaire ne se justifie pas
uniquement par une inflation élevée, mais aussi par un marché du travail tendu.
Les demandes de prestations de chômage aux États-Unis sont désormais inférieures à
leur niveau d’avant la pandémie
Le PIB américain ne ressort qu’à +1,3 % sur une base annualisée pour le premier
trimestre, ce qui est très inférieur à la croissance annualisée de +7 % au dernier
trimestre de 2021. Néanmoins, une grande partie de la perte de vitesse anticipée pour le trimestre est
due à la vigueur démesurée du trimestre précédent, et le repli relatif des stocks
et des exportations est logique dans ce contexte. Certes, la vague Omicron et la hausse des prix des matières
premières ont fait des dégâts. La faiblesse attendue est toutefois plutôt liée
à des facteurs techniques.
Les nouvelles économiques s’assombrissent
Malgré la tendance positive observée dans les données économiques mondiales ces derniers
temps, de nombreux indicateurs ne reflètent pas pleinement les chocs négatifs récents. Ceux-ci
sont le début d’un resserrement monétaire vigoureux et l’éclatement d’une
guerre en Ukraine. Comme le signale l’indice de confiance selon les nouvelles quotidiennes de la Fed de San
Francisco, les manchettes ont été maussades ces dernières semaines. Cela pourrait augurer
d’un ralentissement économique (voir le graphique suivant).
L’indice de confiance selon les nouvelles quotidiennes à l’heure de la COVID-19
Resserrement des conditions financières
Pour aborder le ralentissement économique d’un point de vue différent, nous pouvons dire que les
conditions financières mondiales – un déterminant clé de la croissance économique
– se sont détériorées ces dernières semaines (voir le graphique suivant). Cela se
reflète notamment dans la hausse des rendements obligataires, l’élargissement des écarts
de crédit et la baisse du marché boursier. Il convient toutefois de noter que l’ampleur de la
détérioration est loin d’être aussi importante que celle de 2020 ou 2008.
Jusqu’à présent, le mouvement ressemble davantage à une correction de milieu de cycle,
semblable à celle que nous avons vécue en 2015-2016.
Les conditions financières mondiales se resserrent rapidement
Les consommateurs perdent de leur entrain
Il y a un an, les perspectives économiques étaient assez encourageantes grâce à
l’enthousiasme des consommateurs et des entreprises. Aujourd’hui, les entreprises semblent toujours
enclines à investir et à accroître leurs stocks, mais les perspectives de la consommation ne
sont pas aussi extraordinaires qu’il y a un an. Non seulement l’appétit pour l’achat de
biens de consommation durables importants tels que les voitures et les appareils électroménagers est
en déclin, mais il a chuté à son plus bas niveau en plus de 40 ans (voir le graphique
suivant).
Conditions d’achat pour les biens de consommation durables importants
Quelques explications simplistes sont avancées. Ainsi, on pense que les consommateurs passent désormais
de l’achat de biens à l’achat de services. Une autre hypothèse est qu’ils
désirent bien acquérir des articles coûteux, mais qu’ils ne peuvent pas les obtenir pour
le moment à cause des perturbations de chaîne logistique. Dans un sondage Gallup réalisé
en juillet dernier, sept Américains sur dix ont déclaré être en attente d’un
article, ou incapables de se le procurer. En même temps, de récentes annonces d’entreprises
révèlent que les parcs à thème tels que Disney et les sociétés comme
Marriott, Expedia, MGM et Wynn Resorts se réjouissent du retour des consommateurs vers leurs services
à fort contact clientèle.
Cependant, la dégradation des conditions d’achat s’explique aussi par le niveau inabordable des
prix, la fatigue des consommateurs après une longue période d’achats compulsifs, et probablement
une certaine inquiétude alors que les taux d’intérêt augmentent et que l’inflation
reste très élevée.
La confiance des consommateurs s’est d’ailleurs effondrée (voir le graphique suivant). Dans quelle
mesure elle s’est effondrée, là est la question. Le sondage sur la confiance
réalisé par le Conference Board fait état d’une chute légère. En revanche,
l’enquête de l’Université du Michigan affirme que ce déclin figure parmi les plus
brutaux de l’histoire, et que l’inquiétude n’a jamais été aussi vive en dix
ans.
La confiance des consommateurs américains a chuté en raison de l’inflation et de
l’invasion de l’Ukraine par la Russie
La discordance entre les deux sondages n’est pas due au hasard. Le sondage du Conference Board met davantage
l’accent sur la situation de l’emploi, qui demeure extrêmement solide. En revanche, le sondage de
l’Université du Michigan est axé sur l’inflation, qui est problématique. Le sondage
de l’Université du Michigan soulève la question des conditions d’achat, que nous avons
évoquée plus haut. La meilleure façon de présenter les choses est peut-être de
dire que certains aspects de l’économie américaine, comme le taux d’embauche, sont
très positifs pour l’instant. D’autres sont extrêmement néfastes, comme
l’inflation élevée.
Jusqu’à présent, les consommateurs ont maintenu leurs dépenses à un niveau
raisonnable, malgré leur inquiétude évidente. En outre, la situation financière des
ménages reste robuste et nous prévoyons des hausses de salaire importantes au cours de
l’année à venir, ce qui devrait soutenir la consommation. Nous pensons que les consommateurs
dépenseront dans une mesure raisonnable, mais qu’ils privilégieront les services plutôt
que les biens. Mais la performance ne sera probablement pas aussi spectaculaire qu’en 2021.
Dégâts causés à l’économie européenne
Tous les regards sont évidemment braqués sur les indicateurs économiques européens
étant donné leur imbrication avec la Russie. Selon l’indice de confiance économique du
sondage ZEW, certains dommages légers apparaissent clairement (voir graphique suivant). L’indice
composite européen des directeurs d’achat a également chuté en mars, quoique faiblement.
Bien qu’il soit encore tôt, les dégâts économiques semblent gérables
jusqu’à présent, et bien loin de se profiler en récession.
La confiance dans la conjoncture économique de la zone euro
Réflexions sur l’inflation
L’inflation demeure très élevée. Aux États-Unis, l’IPC a atteint un pic de
+7,9 % qui n’avait plus été observé depuis 40 ans, tandis que le Canada a
publié un taux élevé de +5,7 %. Les indicateurs de l’inflation en temps réel
ont repris leur ascension ; c’était à prévoir vu le dernier bond des prix des
marchandises. Nous maintenons notre hypothèse selon laquelle l’IPC américain atteindra environ
+9,5 % au cours des prochains mois. Ce taux frôle suffisamment les 10 % pour que l’on commence
à se préoccuper des réactions négatives qu’il pourrait provoquer sur le plan
psychologique si ce seuil était franchi.
Abordons quelques sujets sur l’inflation qui, au mieux, n’ont été qu’effleurés
jusqu’à présent.
Les dégâts économiques d’une inflation élevée
En général, on dit qu’une inflation importante est mauvaise pour l’économie
puisqu’elle contraint les banques centrales à relever les taux d’intérêt, tout en
ralentissant la croissance. C’est vrai. Il convient toutefois de mentionner qu’une inflation
élevée érode en soi la croissance économique. Cela se produit par tous les
mécanismes qui seraient exposés dans un manuel de débutant sur l’économie. Voici
quelques exemples :
- les « coûts d’étiquetage », à savoir l’obligation de
changer souvent les prix (bien que, théoriquement, cette obligation soit moindre à
l’ère numérique) ;
- les « coûts d’usure des chaussures », expression désignant le fait que
les gens se sentent obligés d’acheter des articles dès qu’ils gagnent de
l’argent pour éviter de les payer plus cher par la suite ;
- les perturbations qui affectent le régime fiscal.
Une étude du Fonds monétaire international (FMI) indique qu’un contexte permanent
d’inflation à 5 % (contrairement à un taux standard oscillant entre 1 % et 3 %)
détériore le taux de croissance économique de -0,5 % par an. Il s’agit là
d’un manque à gagner considérable, à éviter à tout prix.
L’inflation n’est pas surtout une affaire de banques centrales
L’inflation élevée que nous connaissons aujourd’hui ne résulte pas avant tout des
agissements des banques centrales. Certes, les banques centrales ont contribué à l’embellie
économique. Celle-ci entraîne à son tour une inflation plus vive qu’en d’autres
circonstances. Mais l’on pourrait difficilement soutenir qu’une inflation bien supérieure
à un taux oscillant autour de +2,5 % est seulement due au resserrement économique actuel. Cette
thèse pourrait même constituer une exagération.
Abordons le problème différemment : si une inflation élevée provenait du fait
qu’on jette l’argent par les fenêtres, on s’attendrait à ce que l’inflation
s’accélère ; grosso modo, de manière proportionnée entre tous les produits.
Bien que l’inflation se soit amplifiée ces derniers mois, elle reste très
disproportionnée, et affecte quelques biens seulement, notamment l’énergie,
l’alimentation, les puces informatiques et les véhicules.
L’inflation élevée est avant tout le résultat d’une demande anormalement forte pour
les biens, en présence d’un choc de l’offre provenant des marchandises. Même si sur le plan
technique les banques centrales pouvaient résoudre un problème dont elles ne sont pas l’auteur,
le resserrement monétaire alors exigé devrait être si monumental que l’issue en serait
très déplaisante pour tous les intervenants. Les banques centrales ont les moyens d’aider et
s’y attellent, mais pour supplanter l’inflation dans les faits, il faudra d’une part que la
demande de services prenne le pas sur celle des biens, et d’autre part, que les prix des marchandises
arrêtent de s’envoler.
Faut-il étouffer le signal des prix ?
Une forte inflation n’est généralement pas souhaitable. Cependant, certains pensent qu’il
ne faut pas trop chercher à l’entraver. Après tout, les prix reflètent la manière
dont l’information circule dans le système économique. Un prix élevé incite
à produire davantage. Si la demande de puces informatiques et de voitures augmente et que ces biens sont
chers, les fabricants voudront accroître leur production. Lorsque cet excédent est prêt, les prix
peuvent retomber. Ce raisonnement présente toutefois une faille : à l’heure actuelle, les
constructeurs automobiles seraient sûrement ravis de produire plus de voitures, mais ils en sont
empêchés par la pénurie de certains intrants. Évidemment, les fabricants de ces intrants
sont maintenant encouragés par le fait que les constructeurs automobiles sont peut-être prêts
à payer plus pour les pièces dont ils ont besoin.
Les banques centrales durcissent le ton
Les banques centrales des États-Unis et du Canada ont amorcé leur cycle de resserrement, en relevant
leurs taux de 25 points de base (pb) en mars. D’autres hausses sont prévues. D’après
les dernières projections du Comité fédéral de l’open market, le taux des fonds
fédéraux, dont la fourchette va actuellement de 0,25 % à 0,50 %, montera à
1,9 % d’ici la fin de l’année et atteindra 2,8 % avant la fin de l’année
prochaine.
De plus, les banques centrales semblent vouloir procéder plus énergiquement que prévu auparavant
et pourraient décréter des hausses substantielles de 50 pb à la prochaine occasion.
M. Powell, président de la Réserve fédérale américaine (Fed), a
récemment affirmé que son institution était prête à prendre des mesures plus
musclées. De son côté, le sous-gouverneur Kozicki a déclaré que la Banque du
Canada pourrait agir avec fermeté.
Nous restons d’avis que cette année et éventuellement l’an prochain, les banques centrales
ne seront peut-être pas obligées de décréter des hausses de taux aussi importantes
qu’elles le prévoient actuellement. Si elles tenaient leurs promesses d’un resserrement
monétaire appréciable, cela abaisserait les anticipations inflationnistes. Par conséquent,
l’ampleur du durcissement effectivement nécessaire serait moins grande. Il est assez probable que
d’ici le deuxième semestre de 2022, l’inflation aura atteint son sommet et la croissance
économique aura ralenti. Le rythme du resserrement pourrait donc nettement diminuer à ce
moment-là.
En revanche, si l’inflation se maintient et que les banques centrales n’ont d’autre choix que
d’augmenter les taux aussi fortement qu’elles le prévoient, il est bon de se rappeler que les
taux d’intérêt corrigés de l’inflation sont loin en territoire négatif. (Voir
le graphique suivant : c’est le taux d’inflation annuel actuel, et non les attentes
inflationnistes, qui plombe le taux nominal.) Certes, le taux directeur nominal a augmenté de 0,25 point
de pourcentage, tandis que le taux nominal des obligations à 10 ans a pris 2 points de pourcentage
par rapport à son creux de 2020. Cependant, le taux des obligations à 10 ans corrigé de
l’inflation demeure inférieur d’environ 5 points de pourcentage à ce qu’il
était avant la pandémie. Ce niveau reste extrêmement stimulant du point de vue de la politique
monétaire et extrêmement bon marché pour les emprunteurs.
Les taux obligataires réels ont diminué depuis le début de la pandémie
Effectivement, les emprunteurs sont généralement satisfaits. La croissance des prêts bancaires
aux États-Unis s’est accélérée au cours des six derniers mois (voir le graphique
suivant).
La croissance du crédit s’accélère aux États-Unis
Risque de récession
Le rétrécissement rapide de l’écart entre le taux des obligations américaines
à 10 ans et à 2 ans a capté l’attention. L’aplatissement de la courbe
suscite l’inquiétude, car l’inversion de l’écart a souvent été
annonciatrice de récession et elle semble sur le point de se produire. Le risque de récession est bien
réel, étant donné que la vigueur qui a suivi la pandémie s’essouffle, que les
banques centrales relèvent leurs taux et que les prix des marchandises grimpent en flèche.
Néanmoins, ce risque n’est probablement pas aussi élevé que l’écart entre les
taux à 2 ans et à 10 ans le signale. Voici pourquoi :
- Une autre partie de la courbe de rendement, soit l’écart de taux entre les bons du Trésor
à 3 mois et les obligations à 10 ans, est considérée comme un indicateur
de récession plus fiable (bien que les antécédents soient moins nombreux pour soutenir cet
argument). Or, cet écart est resté largement positif et plutôt stable ces derniers temps. La
Réserve fédérale de New York, qui utilise un modèle de récession fondé
sur cette corrélation, estime que le risque de récession pour l’année à venir
est inférieur à 10 %.
- En outre, les recherches que la Réserve fédérale a menées avant la pandémie
ont révélé qu’une autre partie de la courbe de rendement, celle des titres à
court terme, permettait d’anticiper les récessions de façon encore plus efficace.
Récemment, cette partie de la courbe s’est fortement accentuée, ce qui porte à croire
que le risque de récession s’effondre (voir les trois mesures de la courbe de rendement dans
le tableau suivant).
Cycle économique : la courbe des taux envoie des messages contradictoires
- On peut aussi examiner la pente de la courbe des taux de 2 à 10 ans après ajustement des
prévisions d’inflation. Même si cette approche est peu orthodoxe, elle ne tient pas compte
des distorsions causées par l’inflation. Elle s’attaque à la question essentielle qui
est de savoir si l’on prévoit une décélération de la croissance
économique. Par contre, la pente de la courbe des taux réels de 2 à 10 ans demeure
plutôt positive et s’est quelque peu accentuée récemment.
Les écarts des taux réels s’élargissent, et atteignent désormais des sommets
pluriannuels
- Comme c’était le cas pendant la décennie qui a précédé la
pandémie, les gigantesques avoirs en obligations des banques centrales ont provoqué un
effondrement de la portion à long terme de la courbe des taux. Celle-ci est donc aplatie
artificiellement. Le risque de récession pourrait donc ne pas être aussi élevé que
l’on croit.
- Il est réconfortant de constater que l’aplatissement récent de la courbe des taux de 2
à 10 ans est attribuable à un effet baissier (augmentation des taux) qu’à un
effet haussier (baisse des taux). C’est l’option la plus optimiste des deux scénarios.
- On pourrait même aller jusqu’à dire, dans un contexte de forte inflation, qu’il serait
plus inquiétant que les taux à long terme augmentent plus rapidement que les taux à court
terme, au lieu de la situation inverse actuelle. Cela voudrait indiquer que le marché avait
anticipé une inflation structurellement élevée ou l’adoption d’une politique
monétaire structurellement restrictive. Nous devrions être soulagés que ce ne soit pas le
cas.
- Fait intéressant, le marché boursier a progressé après le premier relèvement
de taux de la Fed. Cela signifie qu’il considère les taux d’intérêt plus
élevés comme un moyen de prolonger la reprise et de limiter l’inflation, plutôt que
comme une menace directe.
Encore une fois, le risque de récession est actuellement plus élevé que la normale. Nous
attribuons une probabilité d’un peu plus de 25 % à ce risque en Amérique du Nord, et
d’un peu moins de 50 % en Europe. Ces risques sont importants et confortent l’opinion voulant
qu’il soit mal avisé de prendre des risques extrêmes pour le moment. Mais cela dit,
l’aplatissement de la courbe des taux de 2 à 10 ans pourrait ne pas être aussi mauvais
qu’il n’y paraît au départ.
– Avec la contribution de Vivien Lee, d’Andrew Maleki et d’Aaron Ma
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