Au cours de ce webinaire, Laurence Bensafi, chef déléguée, Actions, Marchés émergents, et Zeena Dahdaleh, gestionnaire de portefeuille, RBC Global Asset Management (UK) Limited, traitent notamment des sujets suivants :
- évolution récente de l’économie, des devises et des actions des marchés émergents au temps de la pandémie de COVID-19 et dans le contexte des crises précédentes ;
- incidence de la pandémie sur le comportement des consommateurs et réflexions sur le maintien de la pertinence du thème de la consommation intérieure.
Durée : 18 minutes 03 secondes
Trancscription
Je vais vous présenter nos perspectives concernant les actions des marchés émergents pour le reste de l’année et ensuite, je passerai la parole à Zeena. Elle vous parlera des incidences du virus sur les consommateurs des marchés émergents.
Beaucoup de gens dans le monde ont été surpris de voir à quel point les marchés boursiers ont rebondi rapidement depuis le 23 mars dernier. À l’heure actuelle, le S&P 500 est à peu près inchangé par rapport au début de l’année, tandis que le Nasdaq a progressé de près de 8 %. C’est incroyable, étant donné qu’on est encore au beau milieu de la pire récession mondiale depuis la Grande Dépression, il y a presque 100 ans. Plusieurs raisons expliquent cette situation. La première est le manque d’attrait du marché obligataire, en ce moment. La deuxième, c’est qu’on dirait que la pandémie durera beaucoup moins longtemps que ce qu’on prévoyait plus tôt cette année.
Fait intéressant, les actions des marchés émergents ont vraiment tiré de l’arrière lors du rebond, comparativement aux actions des marchés développés. Or les actions des marchés émergents surpassent habituellement les autres catégories d’actif ; elles auraient donc dû faire mieux. Elles ont reculé de 8 à 9 % pour l’année. C’est presque 10 % de moins que les actions des marchés développés. Alors, que s’est-il passé ? Plusieurs choses. Tout d’abord, plusieurs grands pays émergents, notamment le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud et le Mexique, semblent à la traîne concernant les mesures visant à enrayer la propagation du virus. On ne sait pas trop encore si le pic d’infection a été atteint dans ces pays.
Ensuite, le dollar américain a été très vigoureux et assez résilient jusqu’à très récemment. Puis, le fait que les déficits et les niveaux d’endettement augmentent posent des problèmes à certains pays émergents dans lesquels nous investissons, notamment ceux qui ont un important déficit du compte courant.
À ce stade-ci du rebond, l’aversion pour le risque est le sentiment qui domine, comme on a pu le voir avec l’avance des actions de croissance sur les actions de valeur. Pour que les actions des marchés émergents produisent de meilleurs rendements, il faudra que l’appétit pour le risque reprenne.
Nous pensons cependant que les marchés émergents pourraient bien surclasser les marchés développés au cours des prochains mois. Pourquoi ? D’abord, nous croyons que le pire de la pandémie est passé. À peu près tous les pays semblent suivre la même voie que l’Asie du Nord, l’Europe et les États-Unis. Ils atteindront peut-être tout simplement le pic un peu plus tard – ce qui devrait se produire au Brésil et en Inde au cours des prochaines semaines. Ce qui sera très positif pour les marchés que nous ciblons.
Le dollar américain commence à s’affaiblir assez rapidement, après avoir été surévalué en raison de la ruée vers la sécurité qui s’est produite pendant le pire de la pandémie. Parallèlement, la monnaie de nombreux pays émergents s’apprécie, ce qui fait augmenter considérablement les rendements. L’écart de croissance est un autre facteur qui pourrait expliquer la situation. Ce graphique montre qu’il y a une très forte corrélation entre l’écart de rendement des actions de marchés émergents et celles de marchés développés et l’écart de croissance du PIB de ces deux types de marchés. En regardant le graphique, on comprend très bien la contre-performance des marchés émergents pour les 10 dernières années, car l’écart de croissance est passé d’environ 8 % à 2 %.
Mais sur le graphique suivant, qui illustre ce qui devrait se produire en 2020, la situation est tout autre. D’après les plus récentes données du FMI – qui, je suppose, seront mises à jour dans les prochains mois –, les marchés émergents devraient être en réalité beaucoup plus résilients que les marchés développés. Selon le FMI, donc, l’économie des marchés émergents ne se contractera que de 1 % environ, alors qu’on s’attend à une baisse de 6 % pour les marchés développés. L’écart de croissance du PIB va donc se creuser en 2020, ce qui se traduira par un rendement relativement supérieur pour les marchés émergents. Surtout sur le plan des valorisations : les marchés émergents sont environ 35 % derrière les marchés développés à l’heure actuelle, comparativement à une moyenne d’environ 10 % à long terme.
Maintenant, voici les meilleures occasions dans la catégorie des actions des marchés émergents, selon les pays. Ce graphique montre le rendement inscrit depuis le début de l’année par certains pays que nous ciblons. On peut constater que la dispersion est forte. En haut, ce sont les pays les plus résilients au chapitre de la pandémie. Les meilleurs résultats ont été enregistrés par la Chine, Taïwan et la Corée – où le virus semble avoir été réellement maîtrisé. À l’opposé, les pays que j’ai mentionnés plus tôt sont ceux qui ont connu les pires résultats. Je rappelle qu’ils devraient commencer à voir une amélioration, car le virus devrait y être maîtrisé d’ici quelques semaines.
Le prochain graphique montre que les valorisations sont elles aussi très inégales. Elles n’ont jamais été aussi basses à certains endroits, comme le Mexique, le Chili, la Turquie et la Corée, et sont donc très intéressantes. Elles ne semblent pas aussi attrayantes ailleurs, par exemple à Taïwan – il vaut donc mieux être prudent, surtout avec les sociétés domiciliées dans le pays.
Sur le plan sectoriel, comme le montre ce graphique, la dispersion des rendements est aussi très grande. Les secteurs des soins de santé et des services de communication sont en hausse pour l’année. Ce sont eux qui ont le plus profité de la pandémie. À l’autre bout du spectre se trouvent l’énergie et la finance. Sur cet autre graphique où l’on voit les valorisations, on constate encore une fois que les actions liées à l’énergie et à la finance n’ont jamais été aussi abordables. Nous sommes assez optimistes à l’égard de la finance, notamment des banques. Pour ce qui est de l’énergie, nous allons faire preuve d’un peu plus de prudence, car les prix du pétrole ont déjà remonté à environ 40 $.
Enfin, parlons des devises. Les devises sont un facteur très important pour les marchés émergents, car elles génèrent jusqu’à 70 % des rendements. Encore une fois, on observe une grande disparité. Les monnaies qui ont eu les pires résultats sont en bas : le réal brésilien et le rand sud-africain. Sur le plan de l’évaluation, vous pouvez voir sur l’axe des X de ce graphique les monnaies qui valent le moins par rapport aux autres et sur l’axe des Y, les monnaies qui valent le moins par rapport aux données historiques. Il y a des monnaies très intéressantes ici. Plus particulièrement, le peso chilien. Nous aimons la structure solide et stable du Chili. À l’opposé, il vaut mieux être un peu plus prudent avec la livre turque et le rand sud-africain, en raison des problèmes structurels de la Turquie et l’Afrique du Sud.
En résumé, les actions des marchés émergents ont tiré de l’arrière lors du rebond, mais s’il n’y a pas de deuxième vague du virus dans les semaines ou les mois à venir, alors elles devraient rattraper les actions des marchés développés. Tandis que le dollar continue de se déprécier, les retardataires remontent. Mais cette catégorie d’actif a encore d’autres obstacles à surmonter. La volatilité pourrait demeurer élevée au cours des prochains mois.
Je passe la parole à Zeena. Elle va vous parler des incidences du virus sur les consommateurs des marchés émergents.
Merci Laurence. Au cours de la décennie écoulée, la consommation intérieure a été un thème important pour les marchés émergents représentés dans notre portefeuille. L’histoire nous enseigne que les crises peuvent entraîner des changements durables et modifier en profondeur le comportement des consommateurs.
On a, par exemple, encouragé les femmes à occuper des emplois pour le pays durant la Seconde Guerre mondiale ; ce changement a persisté une fois la guerre terminée, et on a pu observer une hausse de la participation féminine au marché du travail. Un autre exemple nous est donné par l’épidémie de SRAS qu’a connue la Chine en 2003, qui y a engendré une hausse permanente du magasinage en ligne.
Dans les minutes qui viennent, je vous parlerai de l’incidence structurelle qu’aura selon nous la COVID-19 sur la consommation intérieure et de la façon dont nous abordons ce thème dans nos portefeuilles.
Par le passé, les principaux moteurs de la consommation intérieure des marchés émergents étaient l’émergence de la classe moyenne, l’augmentation des revenus, la dynamique favorable des réformes, le faible endettement des ménages, l’avènement du numérique, la croissance de la population et l’urbanisation.
Dans un monde post-COVID-19, la question que nous devons absolument nous poser est celle-ci : ce thème est-il toujours d’actualité et, si oui, quels sont les facteurs qui restent favorables ? Après avoir analysé tous les facteurs cités précédemment, une conclusion s’impose : à court terme, la détérioration de la conjoncture macroéconomique freinera probablement l’essor de la consommation de la nouvelle classe moyenne.
Si vous regardez le graphique à gauche, vous observerez que les prévisions de croissance du PIB et du PIB par habitant ont diminué pour 2020 dans les marchés émergents. Bien que les répercussions de la crise sur le revenu disponible soient encore incertaines, une véritable croissance des salaires nous semble peu probable dans les marchés émergents en 2020. Cela dit, le revenu disponible suit les cycles et quatre facteurs nous permettent de penser qu’à long terme, les conditions structurelles continueront de soutenir la consommation dans les marchés émergents.
Premier facteur : les réformes. La crise a permis d’axer les réformes sur deux domaines essentiels : le transport et les soins de santé. D’autres réformes ont également été mises en œuvre pour stimuler la consommation intérieure. C’est le cas de la Chine, où des subventions sont accordées pour les achats importants ; nous pensons que des politiques comparables seront adoptées ailleurs dans notre univers de placement.
Deuxième facteur : la croissance démographique. L’ONU prévoit que la planète comptera 8,5 milliards d’habitants d’ici 2030 et que 97 % de la croissance démographique aura lieu dans les marchés émergents. Fait à souligner, deux groupes démographiques pèseront particulièrement lourd sur les tendances en matière de consommation dans les pays émergents, à savoir les milléniaux et la génération Z. Comme le montre le graphique à droite, ces groupes représentent près de 50 % de la population des marchés émergents.
Troisième facteur : l’urbanisation. Même si nous reconnaissons que l’expérience du télétravail est une réussite et que cela pourrait entraîner un ralentissement de l’urbanisation, nous estimons que ce phénomène touche surtout les marchés développés et que l’urbanisation a encore un bel avenir dans les marchés émergents, notamment en Amérique latine et en Afrique.
Quatrième facteur : l’endettement des ménages. Le crédit et l’accès au crédit sont depuis toujours les principaux moteurs de croissance de la consommation dans les marchés émergents. Néanmoins, malgré la hausse du crédit à la consommation durant la dernière décennie, l’endettement des ménages reste bas.
Et enfin, le numérique. L’expansion du commerce électronique a facilité les achats et stimulé la consommation dans les marchés émergents ; la pandémie accentuera cette migration.
Voici maintenant la question principale : comment miser sur ce thème dans les marchés émergents ? Selon nous, l’axe le plus intéressant est le commerce de détail en ligne. Sans surprise, les fermetures de magasins et les mesures de confinement ont entraîné une augmentation du nombre d’utilisateurs. Bien qu’une partie des consommateurs risque de retourner dans les magasins traditionnels, nous sommes d’avis que beaucoup d’entre eux continueront d’effectuer leurs achats en ligne.
Comme je l’ai indiqué plus tôt, nous avons déjà observé ce phénomène lors de l’épidémie de SRAS en 2003 en Chine. Nous attendons à ce que cette tendance s’affirme, notamment dans des pays comme le Brésil et le Mexique, où la part des achats en ligne reste très basse. Vous pouvez le constater sur ce graphique.
Le second axe pour miser sur ce thème est l’expansion du commerce de détail moderne. Ces dernières années, nous avons observé un recul graduel des commerces traditionnels, autrement dit des magasins d’entreprises familiales, au profit du commerce moderne. Cela tient à divers facteurs : urbanisation, aménagements plus attrayants des magasins, moyens de paiement plus pratiques et choix d’articles plus étendu. Nous nous attendons à ce que la pandémie accélère encore cette tendance. De façon générale, les détaillants modernes affichent des bilans plus solides et ont géré beaucoup plus efficacement les perturbations de la chaîne d’approvisionnement attribuables à la pandémie.
Une question gagne en importance depuis le début de la pandémie : l’expansion du commerce électronique nuira-t-elle aux résultats des magasins physiques dans le mode de prestation moderne ?
À notre avis, les consommateurs des marchés émergents prennent actuellement leurs décisions d’achat en fonction de leurs besoins plutôt qu’en fonction du mode de prestation. Ils n’hésiteront donc pas à utiliser différents modes de prestation, et à alterner entre magasins traditionnels et magasins en ligne. Nous pensons que les magasins physiques viendront en complément de la croissance structurelle du commerce électronique que nous anticipons dans le domaine alimentaire.
Nous pensons aussi que les marchés émergents suivront une voie légèrement différente de celle des pays développés, où l’on a observé l’apparition de détaillants de produits alimentaires qui vendent exclusivement en ligne. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer.
Tout d’abord, la valeur inférieure du panier moyen. Le revenu disponible est plus bas dans les marchés émergents que dans les marchés développés. Par conséquent, la valeur du panier moyen y est nettement inférieure au seuil de rentabilité du modèle de vente de produits alimentaires exclusivement en ligne.
Deuxièmement, le développement du commerce de détail dans les marchés émergents affiche encore un retard par rapport à celui des pays développés. Si nous nous arrêtons à la Chine, comme on peut le voir sur le diagramme à gauche, le commerce de détail traditionnel représente encore 60 % du total des ventes de produits alimentaires.
Troisièmement, les délais de livraison. La congestion routière demeure un problème dans la plupart des villes des marchés émergents, et il est vraiment difficile d’y mettre en place de grands centres d’exécution des commandes pour faire fonctionner ce modèle. Dès lors, les magasins physiques restent indispensables pour assurer la distribution.
Le troisième axe pour exploiter le thème de la consommation intérieure est celui des produits de santé et de bien-être. Ce segment devient de plus en plus important dans les marchés émergents, et nous sommes convaincus que la pandémie aura pour effet d’accélérer cette tendance, et ce, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, la crise a montré qu’il existe un décalage entre le financement prévu et celui réalisé dans le domaine des soins de santé. La pandémie nous conduit à penser que les dépenses publiques des marchés émergents en matière de santé ne peuvent qu’augmenter.
En second lieu, nous savons tous que l’obésité constitue un problème dans les marchés émergents. Pour rappel, la Chine et l’Inde comptent 50 % des personnes obèses dans le monde, et d’après nous, le fait que l’obésité soit apparue comme un facteur aggravant de la COVID-19 a braqué les projecteurs sur cet enjeu.
Nous avons aussi observé un accroissement de la numérisation des services liés à la santé et au bien-être, qu’il s’agisse de télémédecine ou de conditionnement physique en ligne. Ces éléments ont sensibilisé les consommateurs à l’achat en ligne de produits de santé et de bien-être.
L’enquête menée en Chine par CTR Market Research montre qu’une large proportion de consommateurs chinois continuera d’utiliser des services comme les services hospitaliers en ligne ou le conditionnement physique interactif une fois la COVID-19 passée.
Le quatrième axe pour tirer profit du thème de la consommation intérieure est celui des produits de qualité. Bien qu’une baisse des ventes à court terme soit inévitable pour certains articles, nous pensons que la recherche de la qualité se maintiendra dans certaines catégories, notamment aux rayons des aliments frais et biologiques et des produits de soins personnels. Dans le domaine alimentaire, un sondage mené en avril par Nielsen auprès des consommateurs chinois montre qu’une alimentation saine et l’achat de produits frais et « bio » seront encore plus privilégiés après la pandémie. Le graphique à gauche en fournit une illustration.
Au chapitre des soins personnels, nous avons observé ces dernières années une croissance des produits haut de gamme dans le segment des soins du visage et des soins personnels, et, là encore, nous nous attendons à voir cette tendance se poursuivre.
Le cinquième et dernier axe pour miser sur la consommation intérieure dans nos portefeuilles est celui des marques locales et « durables ». Nous sommes d’avis que les marques locales continueront de prendre l’ascendant sur les marques multinationales. Cela a été le cas en Inde dans le marché des soins personnels, comme le montre le graphique à droite. Plusieurs facteurs importants indiquent que cette tendance devrait se poursuivre.
Tout d’abord, la montée du nationalisme. Cela est particulièrement évident en Chine, où les marques locales bénéficient d’un engouement nationaliste grandissant. Près de 85 % des consommateurs auraient traditionnellement choisi des marques multinationales en 2011. Les choses se sont inversées du fait de la crise, alors quelque 85 % des consommateurs exigent à présent des marques locales.
L’autre facteur essentiel est la réduction de la chaîne d’approvisionnement. Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement ont conduit à préférer les fournisseurs locaux. Nous nous attendons à ce que ce changement soit permanent.
Enfin, la COVID-19 a pour autre conséquence durable l’intérêt croissant pour les marques soucieuses de l’environnement. La crise a stimulé la conscience sociale et nous remarquons de plus en plus que les consommateurs optent pour des marques qui font de l’environnement et de la société une priorité. Cela est illustré dans le tableau à gauche.
J’espère que cet exposé vous aura donné un bon aperçu de la manière dont nous abordons le thème de la consommation intérieure dans un monde post-COVID-19 et de quelques-unes des stratégies que nous mettons en œuvre pour exploiter ce thème dans le portefeuille.
Merci.
Cliquez ici pour consulter des perspectives de RBC Gestion mondiale d’actifs.