Le début de l’année 2022 a été pénible pour les actions américaines. Au 30 juin 2022, l’indice S&P 500 affichait des pertes de 20,0 % sur six mois et de 16,1 % sur trois mois seulement. La faiblesse des actions s’explique par les craintes que suscite l’inflation la plus forte en 50 ans et les efforts que la Réserve fédérale américaine (Fed) déploie pour la juguler, en augmentant les taux d’intérêt à court terme et en réduisant la taille de son bilan. Il est compréhensible que les investisseurs soient inquiets. Nous avons donc récemment rencontré Brad Willock, vice-président et premier gestionnaire de portefeuille, Actions nord-américaines, pour connaître son point de vue sur la situation du marché américain.
Que suivez-vous de plus près lorsque vous évaluez les possibles trajectoires des actions ?
La Fed et sa lutte contre l’inflation sont, et ont été, le principal facteur influant sur les marchés. La Fed est chargée d’un double mandat de plein emploi et de maîtrise de l’inflation à 2 %. Elle a atteint son premier objectif. Le chômage demeure près d’un creux de 50 ans. Mais la Fed n’est pas parvenue à maîtriser l’inflation. La Fed s’est engagée à relever les taux à court terme à un rythme soutenu pour freiner la croissance économique, afin que le niveau des prix décélère de sommets datant de plusieurs décennies vers la cible à long terme de la banque centrale, fixée à 2 %.
Pour juguler l’inflation, la Fed doit davantage faire correspondre la demande à l’offre en resserrant les conditions financières. La hausse des taux d’intérêt entraîne une augmentation du coût d’emprunt, ce qui réduit les dépenses et exerce une pression sur le prix des actifs. Lorsque les gens se sentent moins riches, ils ont tendance à dépenser moins. Le marché du logement, qui est la principale source d’endettement et de richesse pour la plupart des particuliers, est le premier visé. Aux États-Unis, le taux des hypothèques de 30 ans a bondi à près de 6 % en raison des mesures prises par la Fed. À ce niveau, aucune hypothèque existante ne peut être refinancée à un taux inférieur. Les prix des maisons ont résisté jusqu’à présent. Les activités de vente ont toutefois ralenti et l’appréciation des prix devrait ralentir.
La Fed a également indiqué qu’elle pourrait maîtriser l’inflation sans provoquer de récession. Cependant, de nombreux investisseurs en doutent, ce qui a plombé les actions, notamment dans les secteurs cycliques et a entraîné l’inversion de la courbe des taux.
Quand la Fed pourrait-elle cesser de relever les taux ?
Il est difficile de déterminer le niveau auquel le taux des fonds fédéraux américains plafonnera. La Fed elle-même n’en est pas encore certaine, alors qu’elle continue d’évaluer la réaction de l’inflation à ses interventions. Au moment de la rédaction du présent rapport, le marché obligataire fixait le taux maximal des fonds fédéraux à environ 3,55 % en février 2023. Il semble probable qu’il n’y aura pas de pause dans les hausses tant que la Fed n’aura pas vu de signes clairs montrant que l’inflation ralentit pour se rapprocher de sa cible de 2 %.
Bien que la Fed ait agi avec vigueur jusqu’à présent, les hausses de taux ont un effet décalé sur l’inflation. L’inflation à court terme devrait donc rester élevée. Toutefois, d’après le taux d’inflation sur cinq ans reflété dans le marché, les attentes ont diminué pour se rapprocher de la cible de 2 % de la Fed après avoir atteint un sommet au début du deuxième trimestre. C’est là un signe de confiance à l’égard des mesures prises jusqu’à présent par la Fed et de son engagement à contenir l’inflation.
Quelles sont les conséquences pour l’économie et les marchés américains ?
Malgré les aspirations de la Fed quant à un atterrissage en douceur, le resserrement expéditif de la banque centrale fait planer un risque accru de récession sur l’économie. Cela ne veut pas dire, cependant, que la Fed commet une erreur. Bien qu’une faiblesse économique ne soit pas souhaitable, une inflation systémique serait probablement beaucoup plus problématique.
Le marché boursier américain a subi un ajustement à la baisse rapide jusqu’à maintenant cette année, car les investisseurs ont pris en compte le risque accru d’un scénario économique négatif. Jusqu’à présent, l’ajustement a surtout visé le ratio cours/bénéfice (C/B), qui indique le montant que les investisseurs acceptent de payer pour chaque dollar de bénéfices. Depuis janvier, le ratio C/B prévisionnel du S&P 500 est passé de 21 à un niveau plus raisonnable de 16. Cette contraction du ratio représente une baisse d’environ 20 % à 25 % des cours boursiers, ce qui correspond à peu près à ce que nous avons connu.
Désormais, le risque porte en grande partie sur les bénéfices. Malgré les craintes de récession, les prévisions de bénéfices ont continué de grimper à des niveaux records. Cette situation peut, dans une certaine mesure, être attribuée à l’inflation élevée récente. Toutes choses étant égales par ailleurs, à mesure que les prix augmentent, les revenus des entreprises augmentent également. Toutefois, dans un scénario de récession, les bénéfices des sociétés pourraient subir des pressions. Les investisseurs porteront une attention particulière aux prochains résultats qui seront publiés, afin de tenter d’évaluer la trajectoire future.
Comment positionnez-vous vos stratégies d’actions américaines ?
Nous avons surpondéré les secteurs défensifs, qui ont tous surclassé l’indice général S&P 500 depuis le début de l’année. À l’exception peut-être des soins de la santé, le rendement relatif des secteurs défensifs pourrait baisser rapidement lorsque le marché estimera que la Fed approche de la fin de son cycle de relèvement des taux. Nous surveillons de près le moment où cela se produira et maintenons notre position défensive, tout en équilibrant les risques économiques accrus.
Les titres cycliques ont obtenu de piètres résultats en raison des craintes de récession. Le secteur de l’énergie, un secteur que nous avons surpondéré, a fait exception. Les producteurs d’énergie, à qui la hausse des prix profite, engrangent d’énormes flux de trésorerie disponibles, qu’ils utiliseront pour réduire leurs dettes, augmenter les dividendes et financer des rachats d’actions. Sur le plan de l’offre, le sous-investissement dans la production de pétrole brut soutiendra les prix élevés pendant longtemps. À court terme, la forte augmentation du prix de l’essence pourrait entraîner une baisse de la demande, mais la demande de pétrole devrait continuer de croître pendant de nombreuses années. Nous avons profité du récent repli du secteur énergétique par rapport à son sommet de mars pour accroître notre pondération.