Les monnaies n’ont pas été épargnées par les turbulences frénétiques qui ont secoué d’autres pans des marchés financiers lorsque les craintes liées au coronavirus ont culminé en mars et en avril. Ces fluctuations se sont estompées en mai et la plupart des monnaies des pays du G10 ont évolué dans des fourchettes relativement étroites, mais ce ne sont pas toutes les monnaies qui ont connu un répit. Les monnaies des pays émergents, qui suivent des règles différentes, ne se sont pas si bien comportées, étant donné que les préoccupations concernant le virus déstabilisent encore plus les économies émergentes. Il semble que la pandémie a été l’occasion pour le marché haussier du dollar américain d’enregistrer un dernier soubresaut, ce marché perdant graduellement de sa vigueur.
Selon de nombreux économistes, le dollar américain représente une « valeur refuge ». Il serait peut-être plus juste de parler de « valeur liquide », puisque la plus grande partie du financement du commerce et des investissements dans le monde est libellée en dollars américains. Compte tenu de ce rôle, le billet vert traverse des phases de demande très élevée en période de tension financière. C’était de toute évidence le cas en 2008. La vigueur du dollar a alors persisté jusqu’à ce que les banques centrales soient enfin en mesure de satisfaire l’appétit de liquidité dans le monde. Les choses ont été bien différentes dans la première moitié de 2020. Les banques centrales, y compris la Réserve fédérale américaine (Fed), la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque du Canada ont vite fait d’injecter des liquidités, enrayant l’accumulation de billets verts et empêchant la hausse des coûts d’emprunt qui y est associée. La figure 1 illustre la stabilisation du billet vert résultant du recours accru aux accords de swaps de devises par les banques centrales afin de prêter des dollars américains sur les marchés étrangers. En raison de la mise en place de ces mesures, le dollar américain s’est apprécié de seulement 4 % par rapport à un panier de monnaies mondiales depuis le début de l’année. Cette progression est faible, compte tenu des fortes fluctuations récentes sur les marchés financiers. Cependant, les injections exceptionnelles de liquidités n’expliquent vraisemblablement pas à elles seules pourquoi la valeur du billet vert n’a pas augmenté sensiblement. La surévaluation de la monnaie a aussi joué un rôle important, de même que d’autres facteurs à long terme qui continueront probablement de faire reculer le billet vert au cours des prochaines années.
Figure 1 : Les accords de swaps de devises des banques centrales réduisent la forte demande de dollars
Nota : Au 5 mars 2020. Sources : Réserve fédérale, Bloomberg, RBC GMA
Surévaluation
Le choix du moment est crucial, comme le montre une comparaison de la performance du dollar en 2008 et en 2020. Au début de la crise financière de 2008-2009, le dollar se trouvait dans la sixième année d’un marché baissier et il devenait relativement peu cher face aux monnaies des autres pays du G10. Au milieu de mars 2020, le dollar américain pondéré en fonction des échanges avait dépassé son creux de 2011 depuis neuf ans et, selon notre modèle de parité des pouvoirs d’achat (figure 2), approchait des niveaux extrêmes de surévaluation. En fait, le dollar se situait à l’extérieur des fourchettes d’évaluation de 20 % face à certaines monnaies de pays du G10. Selon des études, l’évaluation des monnaies est déterminante pour le comportement économique des ménages et des entreprises, de sorte que les taux de change restent très peu de temps au-delà de ces limites avant de rebrousser chemin. Nous savons que le marché des changes se situe dans les toutes dernières étapes du marché haussier du dollar (figure 3), dont le passage récent en territoire de surévaluation est un nouvel élément qui laisse entrevoir une baisse du dollar américain.
Figure 2 : Le dollar américain est cher
Évaluation selon la PPA
Nota : Au 27 mai 2020. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Figure 3 : Cycles à long terme du dollar américain
Nota : Au 22 mai 2020. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Surplus budgétaires et monétaires
L’expansion budgétaire et monétaire sans précédent observée cette année dans le monde devrait sonner l’alarme pour les détenteurs d’une monnaie fiduciaire ; c’est probablement l’une des raisons pour lesquelles les prix de l’or frôlent des sommets records. Les États-Unis mènent la charge à cet égard, étant donné que la Fed élargit son bilan et que les déficits budgétaires gonflent plus vite qu’ailleurs (figures 4 et 5). À court terme, ces efforts atténueront les dommages économiques causés par la pandémie, mais des conséquences à long terme suivront presque certainement, car d’un point de vue politique, il est difficile de mettre fin à de telles mesures. Les questions liées à la viabilité de la dette et à la capacité de faire face aux crises futures reprendront le devant de la scène. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une source de préoccupation dans l’immédiat, ces mesures de relance soulèvent la perspective d’une hausse des attentes inflationnistes et suscitent des questions : cette situation pourrait-elle commencer à influer sur l’appétit pour les actifs américains dans le monde ? L’apogée de la mondialisation est-il passé ? Ces risques sont-ils correctement pris en compte dans l’évaluation d’une monnaie qui se négocie selon une prime de près de 20 % par rapport à sa juste valeur ?
Figure 4 : Variation du bilan des banques centrales
Nota : Au 22 mai 2020. Sources : Citigroup, RBC GMA
Figure 5 : Déficits budgétaires gouvernementaux
Nota : Au 20 mai 2020. Sources : Citigroup, FMI, RBC GMA
Lent déclin de l’hégémonie du dollar américain
À court terme, la vigueur du dollar américain, l’intervention des banques centrales sur le marché des changes et le rééquilibrage des réserves forment une puissante boucle de rétroaction, et incitent les banques centrales des pays émergents à vendre des euros pour rééquilibrer leurs portefeuilles après avoir dépensé des dollars américains pour soutenir leurs monnaies en mars et en avril. À long terme, certains signes montrent que le dollar américain perd de son attrait pour les banques centrales, car la part de billets verts dans les portefeuilles de réserves de ces importants détenteurs à long terme a fléchi, passant de 66 % à 61 % en quatre ans (figure 6).
Figure 6 : Part des réserves de change mondiales en dollars américains
Nota : Au 31 oct. 2019. Sources : Bloomberg, FMI, RBC GMA
Une partie du « privilège exorbitant »1 dont bénéficie le dollar américain découle de l’acceptation par les États-Unis, depuis la Deuxième Guerre mondiale, du devoir de maintenir l’ordre mondial. L’écart se creuse pourtant entre les États-Unis et leurs alliés, comme le Japon, la Corée du Sud et l’Arabie saoudite. Sous la houlette du président Donald Trump, les États-Unis menacent de retirer leur appui à des institutions mondiales comme l’Organisation mondiale du commerce, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et l’Organisation mondiale de la Santé. Le fait que les États-Unis se servent de leur monnaie comme d’une arme en restreignant l’accès de l’Iran et du Venezuela au système de paiement en dollars représente un dangereux précédent, qui incite la Chine à redoubler d’efforts pour accélérer la circulation du renminbi afin d’accroître son influence financière dans le monde. Le renminbi n’est certainement pas près de remplacer le dollar américain au rang de première monnaie mondiale, mais la perte de terrain des États-Unis, enclenchée depuis quelques décennies, constituera un obstacle considérable et persistant pour le billet vert au cours des dix prochaines années.
Une conjoncture moins favorable
Outre les évaluations élevées et l’expansion débridée des bilans, il existe d’autres facteurs à court terme qui justifient que les investisseurs se tournent vers les actifs libellés en d’autres monnaies. Même lorsque la vie reprendra son cours normal, le dollar restera entravé par l’incertitude concernant l’élection aux États-Unis, et il ne fait guère de doute que la Maison-Blanche manifestera une fois de plus sa préférence pour une monnaie plus faible. Fait important, la pandémie a effrité les rares points d’appui dont le billet vert bénéficiait auparavant. Ainsi, l’avantage de taux du dollar s’est estompé (figure 7). La diminution des taux aux États-Unis a une incidence sur la façon dont le billet vert se négocie par rapport à l’euro et au yen, non seulement puisqu’il s’agit des deux rivaux les plus importants et les plus liquides du dollar, mais aussi parce que le Japon et l’Europe possèdent des investissements considérables en dollars américains. Les détenteurs de ces actifs sont susceptibles de vendre leurs dollars américains pour accroître les couvertures, étant donné que la baisse des taux d’intérêt aux États-Unis diminue le coût de cette opération.
Figure 7 : Avantage lié au taux des obligations américaines à 2 ans
Nota : Au 22 mai 2020. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Enfin, paradoxalement, les États-Unis ont atteint l’indépendance énergétique ces dernières années, au moment même où le monde commençait à considérer les ressources pétrolières comme un fardeau plutôt que comme un atout. Outre ce point de vue à long terme, l’incidence à court terme sur les prix du pétrole du ralentissement de la croissance économique mondiale découragera la production de pétrole de schiste aux États-Unis et pèsera aussi sur le dollar.
Le dollar canadien
Depuis le début de l’épidémie, le dollar canadien s’est montré plus résilient que d’autres monnaies de pays producteurs de marchandises (figure 8). Cette situation s’explique en partie par le fait que l’extraction des matières premières représente une plus grande part du PIB de ces autres pays et que bon nombre de ces monnaies, qui appartiennent à des pays émergents, sont mises à mal par d’autres questions, comme la sortie de capitaux, l’instabilité politique et la piètre crédibilité des banques centrales. Cependant, l’opinion à l’égard du huard a évolué considérablement, et la plupart des investisseurs reconnaissent désormais le parcours semé d’embûches qui attend la monnaie canadienne. Les positions de change sont devenues fortement baissières en raison des craintes que les difficultés du secteur pétrolier, l’endettement des consommateurs et la forte dépendance envers les investisseurs étrangers pour financer le déficit budgétaire et celui du compte courant entraînent une dépréciation de la monnaie. Ces positions semblent s’être rétrécies à la fin de mai, mais nous croyons que le huard pourrait baisser davantage. Notre scénario de base table sur un taux de change de 1,40 $ CA pour 1 $ US d’ici un an. À ce niveau, le huard sera probablement incapable de profiter de la faiblesse du dollar américain, compte tenu de divers problèmes sur la scène intérieure.
Figure 8 : Monnaies de pays producteurs de marchandises
Nota : Indexation à 100 le 31 déc. 2019. Au 22 mai 2020. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Depuis dix ans, le Canada affiche constamment un déficit du compte courant, lequel a été financé en grande partie par l’achat d’obligations canadiennes par des investisseurs étrangers (figure 9). Le fait que le Canada accroît aussi ses investissements directs à l’étranger davantage que ceux qu’il attire exacerbe le fardeau du financement du pays. En 2019, les placements canadiens en portefeuille ont reculé de 75 % par rapport au niveau où ils se situaient deux ans plus tôt, et ce, précisément au moment où les déficits budgétaires du pays étaient sur le point de grimper. Dans ce contexte, il est réjouissant que la Banque du Canada ait décidé d’acheter des obligations gouvernementales et provinciales dans le cadre des programmes d’assouplissement quantitatif qu’elle a récemment annoncés. Malheureusement, les efforts déployés pour faire baisser les taux obligataires à long terme ne soutiendront pas le huard, car ils limiteront l’avantage procuré par les taux d’intérêt, qui diminue déjà. En l’absence de taux relativement élevés, la faiblesse de la monnaie est le facteur qui permettra de restaurer l’attrait des actifs canadiens.
Figure 9 : Balance fondamentale des paiements du Canada
Nota : Au 31 mars 2020. Sources : Statistique Canada, RBC GMA
Au bout du compte, le dollar canadien devrait profiter d’une liquidation du dollar américain, mais nous croyons que dans l’ensemble, il tirera de l’arrière par rapport aux autres grandes monnaies, compte tenu de l’intensification des obstacles intérieurs et extérieurs. La forte vulnérabilité du pays au commerce mondial sera problématique dans la foulée de la pandémie, qui entraîne un resserrement des frontières et le ralentissement, voire la fin de la mondialisation. Le secteur pétrolier, aux prises avec des contraintes de transport et des litiges en matière d’environnement, souffre beaucoup du fait que les prix du pétrole brut sont inférieurs aux coûts de production. Avant même la pandémie, le nombre de petites entreprises qui déclaraient faillite augmentait. Or, les petites entreprises génèrent 70 % des emplois au pays. De plus, les ménages très endettés sont mal préparés à affronter à la fois les pertes d’emplois et la destruction de la richesse. Tout cela n’est pas de bon augure pour le Canada. Selon nous, les statistiques sur l’économie canadienne s’amélioreront plus lentement qu’ailleurs, ce qui pèsera sur le huard pendant la reprise.
L’euro
Nous continuons de voir l’euro d’un œil favorable et sommes convaincus que l’excédent du compte courant de la région sera tôt ou tard bénéfique à la monnaie unique, à présent que l’avantage lié aux taux d’intérêt des États-Unis s’est considérablement réduit. Il se peut que l’excédent important du compte courant soit un des facteurs ayant permis à l’euro de résister lorsque les marchés ont plongé dans un contexte de resserrement des liquidités mondiales et d’inquiétudes quant à la dette des États. En ce qui concerne ce dernier point, nous pensons que les dirigeants européens finiront par faire le nécessaire pour maintenir la solidarité au sein de la zone euro, comme ils l’ont fait pour la Grèce, l’Irlande et le Portugal il y a une dizaine d’années. Même s’il faut s’attendre à ce que les pays nordiques protestent, les coûts d’une rupture seraient tellement ruineux qu’il resterait préférable d’opter pour les options moins douloureuses que sont les fonds de sauvetage ou l’émission de nouveaux titres de créance garantis par la zone euro, appelés « corona-obligations ». La proposition récente par l’Allemagne et la France d’un fonds de secours de la zone euro de 500 milliards d’euros montre que la région serait plus près d’un compromis sur la question qu’on ne l’estime en général.
Il importe de savoir si la reprise du programme d’achat d’actifs de la BCE incite les investisseurs à étoffer leur portefeuille d’actifs étrangers. Cette éventualité pourrait être défavorable à l’euro, comme elle l’avait été lorsque l’institution avait instauré son programme d’assouplissement quantitatif en 2015 (figure 10). L’attrait des placements étrangers pourrait toutefois diminuer, car la chute des taux d’intérêt dans les autres régions a réduit les écarts de rendement. Les taux que pouvaient espérer les investisseurs européens achetant des titres du Trésor américain se sont effondrés, que ce soit avec ou sans couverture (figure 11). Certains défendent l’idée que l’accentuation récente de la volatilité soutient en réalité la monnaie unique, car les investisseurs sont obligés de se défaire de leurs positions financées en euros dans les marchés émergents. D’autres affirment que les investisseurs se tourneront plutôt vers leurs marchés nationaux lorsque la crise sera dissipée, ce qui indique qu’une partie de la valeur des importants portefeuilles d’actifs étrangers détenus en Europe pourrait être rapatriée. La sous-évaluation de l’euro au départ milite également en faveur d’une appréciation de la monnaie unique.
Figure 10 : Balance fondamentale des paiements en Europe et euro
Nota : Au 31 déc. 2019. Sources : Bloomberg, BCE, RBC GMA
Figure 11 : Taux à 10 ans offert aux investisseurs européens
Nota : Au 27 mai 2020. Sources : Bloomberg, Macrobond, RBC GMA
Le yen
Il est difficile de comprendre pourquoi le yen ne s’est pas plus apprécié qu’il ne l’a fait dans le contexte actuel d’aversion pour le risque. Le regain d’appétit des caisses de retraite japonaises pour les actifs étrangers pourrait expliquer cette baisse d’attrait temporaire de la monnaie nippone comme valeur refuge (figure 12). Comme en Europe, l’attitude des investisseurs du pays est un facteur déterminant important du comportement du yen.
Le fonds de pension du gouvernement japonais, la plus importante caisse de retraite du pays grâce à des actifs de 1 500 milliards de dollars américains, a récemment reclassé ses obligations étrangères couvertes dans une catégorie nationale afin d’augmenter sa capacité disponible d’achat d’obligations étrangères non couvertes. L’opération, imitée par des caisses de retraite japonaises de moindre importance, a temporairement plafonné le potentiel de redressement du yen. Le fait que le fonds de pension du gouvernement japonais annonce maintenant publiquement ses achats d’obligations pourrait-il signifier que l’organisme a désormais achevé sa migration vers les obligations étrangères ? Si tel est le cas, les facteurs fondamentaux à long terme du yen pourraient encore soutenir la monnaie, qui bénéficie d’une certaine sous-évaluation et du solide excédent du compte courant du pays. Comme nous l’avons déjà indiqué, la convergence des taux d’intérêt lors des derniers mois pourrait encourager d’autres investisseurs japonais, notamment ceux qui sont les plus sensibles à la fluctuation des taux de change, à couvrir une part plus importante de leurs positions en dollars américains.
Figure 12 : Flux nets de portefeuille au Japon
Nota : Au 31 oct. 2019. Bloomberg, RBC GMA
La livre sterling
Au Royaume-Uni, où se conjuguent un important déficit du compte courant, un endettement excessif des consommateurs et un manque d’investissements des entreprises nationales, la livre sterling loge à la même enseigne que le dollar canadien. Au lieu de composer avec la baisse des cours du pétrole, la monnaie britannique est aux prises avec la saga du Brexit, que la pandémie a éclipsée. L’ombre de la fin de 2020, date butoir pour trouver un accord sur la sortie du pays de l’UE, plane toujours. Plus les jours passent, plus la probabilité de voir les deux parties parvenir à un accord diminue.
Le bilan de la pandémie est particulièrement lourd au Royaume-Uni, qui a enregistré un des taux de décès par habitant les plus élevés en Europe (figure 13). Les consommateurs britanniques, occupés à consolider leur épargne, sont moins enclins à dépenser au lendemain du confinement. Les perspectives de croissance économique au Royaume-Uni restent donc relativement sombres, même en tenant compte des mesures de relance considérables annoncées par le gouvernement.
Figure 13 : Courbe des décès causés par la COVID-19
Nota : Au 3 juin 2020. Sources: Université d’Oxford, RBC GMA
Des perspectives contrastées pour les marchés émergents
Ceux qui investissent sur les marchés émergents ont eu toutes les raisons de s’inquiéter depuis l’arrivée du coronavirus : croissance mondiale faible, hausse des dettes libellées en dollars américains, détérioration des conditions du commerce international, baisse des envois d’argent par les travailleurs, effondrement du tourisme et manque relatif de ressources budgétaires pour combattre la crise. Les banques centrales des marchés émergents, qui auraient en principe dû relever leurs taux d’intérêt pour retenir les capitaux dans le pays, ont préféré assouplir leur politique monétaire pour soutenir la demande intérieure. Malgré les efforts de la Fed pour réduire la rareté des dollars et contribuer à alléger les tensions financières, les investisseurs ont continué de vendre inlassablement leurs actifs des marchés émergents (figure 14).
Figure 14 : Flux de capitaux vers les pays émergents
Nota : Au 21 mai 2020. Sources : IFI, RBC GMA
Quelles options ces pays conservent-ils pour soutenir leurs marchés et leur économie ? Certains d’entre eux ont essayé d’intervenir sur les marchés des changes, mais sans grand succès. D’autres se sont aventurés sur le terrain de l’assouplissement quantitatif (figure 15), mais beaucoup n’ont pas la crédibilité budgétaire et monétaire nécessaire pour mener à bien de tels programmes. Les investisseurs risquent de voir dans ces politiques peu traditionnelles un glissement des gouvernements vers un recours à la banque centrale pour financer leurs déficits budgétaires et un danger d’inflation galopante susceptible d’entraîner une déstabilisation de leur monnaie. Le contrôle des capitaux ou la demande d’une aide financière au FMI sont d’autres options possibles, mais nous pensons qu’il est peu probable de voir les marchés émergents stables et importants recourir à ces mesures. En baisse de 11 % dans l’ensemble en deux mois, les monnaies des marchés émergents ont réagi à la crise comme on pouvait s’y attendre ; ce chiffre cache toutefois des reculs variant de 1 % pour le peso philippin à 26 % pour le peso du Mexique. Cette faiblesse suffira-t-elle à aiguiser l’appétit des investisseurs alors que la COVID-19 épargne encore nombre de pays ? Il est trop tôt pour le dire, même si le dollar faiblit par rapport aux monnaies des principaux marchés développés. Aussi la prudence reste-t-elle de mise à court terme.
Figure 15 : Assouplissement quantitatif dans les pays émergents
Nota : Au 30 avril 2020. Sources : BRI, Barclays, RBC GMA
Les répercussions de la pandémie varieront d’un pays émergent à l’autre en fonction de la capacité de leurs systèmes de santé respectifs, de l’âge et de la densité de leur population, de l’accès à l’eau douce et de la structure de l’économie, notamment le poids du tourisme dans chaque pays. La reprise sera plus laborieuse pour les économies ouvertes étroitement liées aux chaînes d’approvisionnement mondiales et pour celles qui comptent de grandes quantités de travailleurs non déclarés n’ayant pas accès aux programmes d’aide de l’État. Nous sommes plus optimistes pour des pays comme la Chine et la Corée du Sud, qui peuvent tabler sur une forte épargne nationale et dont le nombre de nouveaux cas de COVID-19 est infime, voire nul. Il est aussi possible de renforcer ses positions dans des pays comme la Russie, la Colombie et le Mexique, qui offrent un accès aux marchandises, dans la mesure où leurs titres sont suffisamment bon marché. Nous restons pessimistes à l’égard de l’Inde et du Brésil, où la pandémie pourrait selon nous avoir les conséquences les plus défavorables à long terme, ainsi qu’à l’égard de la Turquie et de l’Afrique du Sud, où l’avantage de bénéficier d’importations de pétrole à faible coût est supplanté par une vaste gamme de problèmes systémiques.
Conclusion
Le manque de liquidités connu pendant les premiers jours de la crise de la COVID-19 a entraîné un ultime redressement du billet vert, qui a marqué la fin d’une période de neuf ans de progression. La dépréciation qui a suivi à la fin de mai et au début de juin a montré que les investisseurs avaient commencé à réagir à la surévaluation du dollar américain, ainsi qu’aux excès budgétaires et monétaires du pays. Des considérations à court terme, comme la baisse des taux d’intérêt et l’incertitude entourant les élections aux États-Unis, pourraient aussi peser sur le dollar américain. L’euro et le yen sont les monnaies qui devraient bénéficier le plus nettement de ce début de recul du billet vert, tandis que le dollar canadien et la livre sterling restent à la traîne. Pour les mois à venir, le rendement de chacune des devises des marchés émergents dépendra en grande partie de l’évolution de la pandémie.
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