Tandis que les sondages, les marchés de pari et les modèles avaient universellement prédit une victoire du candidat démocrate Joe Biden par une marge assez importante, la course se révèle en fait beaucoup plus serrée que prévu. Pour une deuxième élection de suite, le président républicain Donald Trump surpasse largement les attentes.
Cela ne signifie toutefois pas qu’il a gagné la course. Cependant, compte tenu de ses résultats bien meilleurs que prévu en Floride et dans plusieurs autres États du sud-est, ses chances de gagner sont bien réelles. Une grande incertitude règne, comme en témoigne l’énorme variation des probabilités pendant toute la nuit sur le site de pari PredictIt. Après qu’une chance de victoire de 80 % eut été attribuée à M. Trump à un certain moment, la tendance s’est renversée en faveur de M. Biden, dont la probabilité de victoire serait maintenant de 79 %, toujours selon ce site. C’est encore une fois loin d’être chose certaine, bien qu’il s’agisse de l’issue la plus probable.
Le résultat définitif semble maintenant dépendre de la Pennsylvanie, du Wisconsin, du Michigan, du Nevada, de la Géorgie et de l’Arizona. Joe Biden a besoin de gagner dans plusieurs de ces États. Cela dit, il devrait y arriver : selon les nouvelles probabilités attribuées par le marché, M. Biden devrait reprendre chacun de ces États, pour lesquels ses chances de victoire se situent actuellement entre 57 % pour la Géorgie et 95 % pour l’Arizona. Bien entendu, il est difficile d’oublier la contre-performance de M. Biden dans de nombreux autres États. En Pennsylvanie, un État-charnière important où se livre une lutte particulièrement serrée (PredictIt attribue actuellement une probabilité de victoire de 63 % à M. Biden) on ne devrait pas connaître le résultat définitif avant plusieurs jours. Par conséquent, il faudra probablement attendre un certain temps avant de pouvoir se faire une idée plus précise.
Par ailleurs, les résultats incomplets de certains États sont moins utiles que d’habitude pour traduire les préférences générales de chacun d’entre eux, compte tenu des pratiques qui diffèrent d’un endroit à l’autre en ce qui concerne le dépouillement des votes effectués le jour de l’élection, qui peut avoir lieu soit avant soit après celui des bulletins de vote envoyés par la poste. Les premiers sont considérés comme fortement favorables à Donald Trump, tandis que les seconds devraient avantager Joe Biden dans une mesure très similaire. Ainsi, le résultat réel pourrait toujours s’écarter sensiblement des résultats provisoires, même si assez peu de bulletins n’ont pas encore été comptés.
De plus, une course aussi serrée augmente considérablement la probabilité que les résultats soient contestés, ce qui pourrait retarder le résultat de quelques semaines. Il faut se rappeler que les élections américaines de 2000 n’ont pas été résolues avant la mi-décembre. Pour compliquer les choses, le président Trump s’est déclaré victorieux prématurément, a déjà affirmé que des fraudes électorales avaient été commises et menace de porter l’affaire devant les tribunaux.
Le résultat le plus probable au Sénat est maintenant que les démocrates ne remportent qu’un seul siège, ce qui porte à 83 % la probabilité que les républicains conservent la majorité. Il s’agit d’une nette augmentation par rapport à 46 % de chances avant les élections. Cependant, les démocrates semblent en voie de rester largement majoritaires à la Chambre des représentants, même si le parti pourrait avoir perdu quelques sièges.
Si le président Trump remporte un second mandat, diverses répercussions provisoires sont à prévoir. M. Trump a principalement fait campagne en proposant un maintien des politiques, ce qui signifie qu’aucun changement majeur ne serait attendu. Néanmoins, ce résultat représenterait tout de même un avenir sensiblement différent de celui embrassé par M. Biden. Le président a promis d’autres baisses d’impôt et davantage de mesures de relance budgétaire, bien que ces dernières ne seraient pas comparables aux engagements pris par le Parti démocrate. Les mesures de déréglementation devraient se poursuivre. Les États-Unis conserveraient probablement une trajectoire isolationniste, ce qui limiterait l’immigration et entraverait le libre-échange. La réponse des États-Unis à la COVID-19 demeurerait probablement plus modérée que dans de nombreux autres pays, ce qui est positif à très court terme sur le plan économique, mais sans doute négatif à long terme dans la mesure où le virus pourrait continuer de circuler librement. N’ayant pas à se soucier de nouvelles élections, compte tenu de la limite de deux mandats imposée aux présidents américains, M. Trump pourrait se sentir libre de poursuivre des politiques plus audacieuses qu’au cours de son premier mandat.
À l’inverse, si M. Biden réussit à l’emporter, plusieurs aspects importants sont à envisager du point de vue économique. M. Biden est fondamentalement un démocrate modéré, et il est donc peu probable qu’il poursuive des politiques radicales. Néanmoins, sa vision des États-Unis est beaucoup plus à gauche que celle de M. Trump. Un élément clé de sa plateforme est la mise en œuvre de mesures de relance budgétaire d’envergure visant à assurer la poursuite de la reprise aux États-Unis. Il s’est également engagé à hausser les impôts, à la fois pour payer pour ces largesses et pour s’attaquer aux inégalités. M. Biden adopterait une approche sanitaire plus prudente à l’égard de la COVID-19, même si, à vrai dire, la plupart des politiques relatives à la pandémie semblent mises en place par les administrations d’État et locales. Une victoire de Joe Biden se traduirait vraisemblablement par une immigration accrue et une amélioration progressive du contexte du commerce international. Nous avons estimé qu’un gouvernement Biden aurait somme toute un effet positif modéré sur la croissance économique par rapport à une victoire de M. Trump, et ce, à court et à long terme.
Peu importe le vainqueur de l’élection présidentielle, il semble de plus en plus probable qu’il devra composer avec un Congrès divisé. Cela limitera les mesures audacieuses, notamment la stimulation budgétaire adoptée pendant la période de transition ou au début de 2021.
Les marchés financiers ont eu tendance à considérer que la victoire de Trump aurait un effet négatif sur les taux obligataires, mais peut-être aussi, depuis quelques mois, sur les actions. À l’inverse, l’accès à la présidence de Biden a été envisagé comme positif pour les taux des obligations et éventuellement pour le marché boursier. Hélas, la période d’incertitude postélectorale pourrait freiner l’appétit pour le risque jusqu’à ce que le résultat final soit connu.
Programme de M. Biden par rapport à celui de M. Trump et répercussions
Le résultat de ce scrutin est lourd de conséquences, non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour le reste du monde. Il pourrait en effet influer sur les relations entre les États-Unis et la Chine, les deux superpuissances mondiales. D’autres pays pourraient être touchés, car le président déterminera le degré de protectionnisme des États-Unis, le soutien accordé aux organismes internationaux et l’étendue de la coopération avec d’autres nations dans la lutte contre les changements climatiques.
Toutefois, au cours de l’année à venir, la façon dont l’épidémie de COVID-19 évoluera aura probablement un effet plus prononcé sur l’économie et les marchés financiers que l’occupant du Bureau ovale. De plus, à long terme, l’actualité politique suit des mouvements de va-et-vient. Après avoir penché dans une direction donnée pendant un certain temps, les préférences du public commencent à s’inverser. Bien entendu, le résultat de cette élection n’est pas sans importance et celui des prochains scrutins n’est pas préétabli. Toutefois, si les politiques s’éloignent trop du centre, le public américain se manifeste généralement pour les y ramener. Ainsi, il est fréquent que les élections de mi-mandat donnent des résultats opposés à ceux de l’élection présidentielle.
Nous ne nous risquerons pas à tirer des conclusions générales sur ce que cette élection peut vouloir dire de la société américaine dans son ensemble. Non seulement le résultat lui-même n’est pas encore connu, mais un léger changement de préférences en produirait un très différent. D’ailleurs, le candidat qui a obtenu le plus de voix n’est pas forcément celui qui aura le plus de Grands électeurs.
Une dernière chose. Les économistes font généralement preuve d’empathie envers leurs confrères prévisionnistes, qu’il s’agisse d’épidémiologistes, de météorologues, de sondeurs, etc. Rien n’est plus complexe que prédire l’avenir. Toutefois, il devient de plus en plus difficile d’éprouver de la bienveillance à l’égard des sondeurs américains : voilà deux élections maintenant qu’ils se trompent complètement.