Comment les gestionnaires se préparent à un choc énergétique.
Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, l’Europe peine à réduire sa dépendance à l’énergie russe. Les coûts de l’énergie poussent l’inflation à la hausse, ce qui accentue la menace d’un rationnement.
En Allemagne, des pourparlers ont déjà commencé quant à la façon de gérer l’offre réduite de gaz pendant l’hiver. Les implications d’une telle issue seraient de grande ampleur et plomberaient la confiance. Pour discuter de la probabilité de ce scénario et des mesures que nos gestionnaires prévoient prendre pour protéger leurs portefeuilles, nous nous sommes adressés à Elma de Kuiper, gestionnaire de portefeuille, Actions européennes, RBC Global Asset Management (UK) Limited, et à Robert Lambert, gestionnaire de portefeuille, Catégorie investissement, BlueBay Asset Management LLP.
L’Allemagne est le moteur de la production industrielle en Europe. Si elle commence à rationner l’énergie dont ont besoin ses principales industries, il y aura des répercussions importantes sur la production, la confiance et les investissements des entreprises. Qui seront les gagnants et les perdants de ce scénario s’il se concrétise ?
Elma de Kuiper (EK) : Depuis un certain temps déjà, nous communiquons avec la direction des sociétés dans lesquelles nous investissons pour comprendre comment elles composent avec les dérèglements des chaînes d’approvisionnement. Dans une certaine mesure, le rationnement de l’énergie est une extension du même problème. Cela fait des mois que nous faisons face à des pénuries de matières premières, à des goulets d’étranglement et à des perturbations logistiques qui ont fait grimper les coûts d’exploitation. Les pénuries d’énergies viendraient s’ajouter aux facteurs dont les entreprises doivent tenir compte. Ces dernières risquent d’avoir à redoubler d’efforts pour garantir l’approvisionnement, voire à adapter leur modèle d’affaires ou leurs processus de production afin de continuer à fonctionner et de répondre aux demandes des clients.
Les sociétés gérées par des équipes de direction prévoyantes seront donc les plus susceptibles de réussir, même si cela nécessite des investissements supplémentaires pour rendre les usines moins énergivores. Selon nous, il s’agit par ailleurs d’une aubaine pour les entreprises qui se consacrent aux exigences en matière de durabilité. Bien qu’il y ait de nombreux facteurs différents qui déterminent en fin de compte le prix du gaz, il y a une chance que la situation profite aux sociétés gazières non russes qui sont capables de répondre à la demande à court terme.
Robert Lambert (RL) : En Europe, les gagnants du scénario de rationnement énergétique sont peu nombreux. En ce qui concerne l’augmentation des investissements, je m’attends à ce que les infrastructures gazières et électriques soient favorisées, compte tenu de la nécessité de remédier aux déséquilibres de transmission sur le continent et de l’urgence de raccorder les terminaux de GNL flottants au large de la côte allemande. Elles devraient bénéficier d’investissements accélérés et de subventions gouvernementales. Il est également possible que la concurrence industrielle en dehors de l’Allemagne, comme l’industrie automobile française, tire profit d’une production inférieure et de délais de livraison plus longs de la part des sociétés allemandes, incitant les clients à changer d’allégeance.
La liste des perdants du scénario de rationnement énergétique est exhaustive, à commencer par les utilisateurs résidentiels, qui devront limiter l’eau chaude et baisser le chauffage. L’impact le plus immédiat se fait déjà ressentir dans le secteur des services publics, comme en témoigne le sauvetage d’Uniper. Le problème persistera tant que les engagements d’approvisionnement en gaz resteront en place, lesquels engagements le secteur doit honorer au cours du marché.
Il y aurait un grand nombre de perdants dans l’industrie allemande, certains domaines comme ceux de l’acier et des produits chimiques ayant déjà émis des avertissements d’arrêt de production. À plus long terme, l’Allemagne risque de devenir un pays moins attrayant pour faire des affaires, tant qu’elle ne réglera pas sa dépendance gazière, car la facture à refiler aux consommateurs sera tout simplement trop élevée.
Quelles autres précautions prenez-vous en ce qui a trait à de possibles pénuries d’énergie ? Mettez-vous en œuvre une stratégie de couverture ou examinez-vous l’interdépendance des stocks ?
RL : Nous avons évalué notre exposition, qui est faible, et nous pourrions envisager d’acheter une protection dans le cadre d’un contrat de swap sur défaillance de crédit si nous estimions que les risques augmentaient. Plus nous approchons de l’hiver, plus nous comprenons les intentions de la Russie. Je crois que les compressions visent à éviter que l’Europe fasse des réserves et à accroître les moyens de négociation de la Russie cet hiver.
EK : Au cours de nos entretiens avec les équipes de direction, nous avons appris que les sociétés conservent plus de stocks, par exemple, et qu’elles augmentent leur fonds de roulement afin d’être en mesure de livrer leurs produits aux clients à temps, ce qui est souvent essentiel pour beaucoup d’entre elles. Il y a un bras de fer intéressant entre deux priorités : les conversions d’opérations au comptant écopent avec ce type d’investissement, mais autrement, le maintien des activités pourrait être en péril dans le contexte actuel. Vu l’incertitude qui plane en ce moment, les équipes de direction avisées priorisent cet aspect à court terme de façon à assurer leur survie et à créer de la valeur à long terme.
En ce qui concerne les pénuries d’énergie, les entreprises qui ont un pouvoir de fixation des prix pourront transférer les hausses de coûts à leurs clients. C’est pourquoi nous avons tendance à préférer investir dans des franchises plus stables. Bon nombre des sociétés dans lesquelles nous investissons sont très diversifiées à l’échelle internationale et pourraient donc être en mesure de déplacer leur production ailleurs qu’en Europe afin de continuer à fonctionner.
Selon vous, à quel point est-il probable que la Russie ferme le robinet du gaz ?
EK : Il y a beaucoup de facteurs qui influent sur cette probabilité, et nous ne pouvons pas tous les prédire avec exactitude. Notre approche de gestion du risque comporte de nombreuses facettes, dont l’ingénierie de portefeuille. Nous surveillons quotidiennement notre exposition à divers facteurs de risque et notre tolérance à l’égard de chacun d’eux. Bien qu’il soit difficile de modéliser la probabilité que la Russie coupe l’approvisionnement, nous pouvons mesurer l’exposition à certains éléments comme les devises, les styles ou les pays et faire des évaluations à partir de là.
RL : Nous surveillons activement et de manière continue les flux et les réserves de gaz dans toute l’Europe. De plus, nous communiquons avec les sociétés exposées au risque dans le but d’évaluer les répercussions potentielles.
EK : Nous tentons également d’éliminer les risques systémiques, mais difficiles à quantifier, avec notre approche ascendante. Les sociétés dans lesquelles nous investissons sont diversifiées à l’échelle internationale. Ainsi, nous sommes mieux protégés contre les fluctuations du prix du gaz que si nos placements en portefeuille étaient axés sur le marché intérieur.
En conclusion
Nous vivons actuellement une période marquée par une forte incertitude pour les marchés financiers et l’économie mondiale. Nous collaborons étroitement avec les sociétés pour voir à ce que les dirigeants soient bien préparés aux scénarios défavorables et positionnent leur entreprise en vue de la croissance quand les circonstances le permettront.
La génération de scénarios et la protection contre les baisses sont des volets importants de la gestion de portefeuille que nous prenons très au sérieux. En mettant en place de telles précautions, les gestionnaires peuvent réduire les risques au minimum et faire en sorte que leurs portefeuilles puissent tirer parti des occasions potentielles.
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