On ne s’ennuie jamais sur les marchés financiers, et ce constat s’est vérifié ces dernières semaines en Europe. Nous avons demandé à David Lambert, chef de notre équipe Actions européennes, comment son équipe envisage l’année à venir.
Ma première question ne vous surprendra pas : que pensez-vous des récents événements dans le secteur bancaire européen ?
La situation fluctue beaucoup et tout peut changer très vite, si bien que notre visibilité n’est pas idéale, mais nous pensons que les récents événements n’ont pas un caractère systémique et que les problèmes rencontrés par Silicon Valley Bank et Credit Suisse sont propres à ces établissements. Cela faisait déjà plusieurs années que Credit Suisse était mal géré et en pleine restructuration. La décision prise nous semble donc être une solution favorable à court terme.
Dans l’ensemble, la réglementation européenne est toujours très stricte. Nous restons toutefois prudents et nous attendons à un accroissement des examens réglementaires pour l’ensemble du secteur, ainsi qu’à une hausse des coûts de financement. Or, avec cette augmentation du coût du capital, il sera plus difficile de générer des rendements excédentaires.
La confiance des investisseurs restera probablement fragile à court terme, et bien que nous estimions que les événements récents sont propres à chacun de ces établissements, des craintes plus générales relatives aux tensions dans certains segments du secteur continueront à se manifester.
Vous soulignez un point intéressant : le coût en capital. Pourriez-vous développer et mettre cet élément en perspective ?
Lors du choix des sociétés en portefeuille, nous privilégions un rendement du capital plus élevé au coût du capital. Nous recherchons particulièrement la régularité et la durée des rendements, associées à une croissance de l’actif. Ce sont là les ingrédients fondamentaux pour augmenter la valeur de l’avoir des actionnaires à moyen et à long terme. Cette dynamique est toujours difficile à trouver dans les banques européennes, et les événements récents vont encore nous compliquer la tâche. Au cours des 18 derniers mois, la performance des banques a été dopée par la hausse des taux et le rendement du capital (soit les dividendes élevés, associés aux rachats d’actions). Or, ces deux outils se sont aussi émoussés.
Autre corollaire possible de la crise : le fardeau réglementaire imposé à certaines banques européennes pourrait se révéler adéquat pour protéger la majeure partie du système. Si ce scénario se confirme, certaines banques européennes pourraient sembler très attrayantes.
Si nous envisageons maintenant le marché boursier dans son ensemble, il est clair que la prime de risque sur actions a augmenté, mais la révision à la baisse des attentes en matière de hausse des taux sera favorable aux actifs à plus longue duration, qui, sur le marché des actions, sont généralement synonymes de qualité et de croissance.
Quelles sont actuellement les raisons d’être optimistes en ce qui concerne vos investissements dans les actions européennes ?
En tant qu’agents sélectionneurs de titres axés sur une approche ascendante, nous continuons de mettre l’accent sur l’aspect microéconomique, soit les caractéristiques propres à chaque entreprise. Nous sommes optimistes vis-à-vis de nombreux secteurs, dans lesquels nous voyons que les bénéfices progressent bien et que les valorisations sont attrayantes. Les titres européens se négocient autour de 11,5 fois les bénéfices1, les bénéfices de l’an prochain se situent toujours bien en deçà de la moyenne à long terme et les valorisations sont bien moins onéreuses qu’aux États-Unis : les valorisations sont dès lors bien étayées et une révision des bénéfices est probable.
Les valeurs européennes ont régulièrement surperformé leurs homologues des États-Unis, notamment, sur les six à neuf derniers mois, ce qui est dû, selon nous, aux valorisations intéressantes tant sur le plan absolu que relatif, associées aux bénéfices extraordinaires.
Ce n’est pas la première fois que les titres européens sont bon marché, mais ils n’avaient jamais atteint des niveaux de valorisation si faibles pendant si longtemps. En termes de valorisations, que pensez-vous de la zone euro par rapport aux États-Unis ?
Les rendements sont indubitablement inférieurs en Europe, si bien que le ratio cours-bénéfice s’en trouve moins élevé. Toutefois, si l’on se base sur l’exposition sectorielle normalisée entre les deux régions, les valorisations actuelles témoignent d’une décote importante par rapport aux États-Unis. Il s’agit là, à notre sens, du plus important facteur de soutien pour les titres européens, dernièrement, et surtout depuis que les taux augmentent. Avec des taux plus élevés, la valeur actualisée des flux de trésorerie futurs diminue. L’Europe est beaucoup moins sensible à cette dynamique.
Les bénéfices européens sont inférieurs à ceux enregistrés aux États-Unis depuis la crise financière mondiale de 2008, mais nous avons récemment constaté de nouveaux sommets absolus et nous pensons que l’écart continuera de se réduire.
Après être restées très robustes pendant la majeure partie de l’année 2022, les prévisions du consensus pour l’Europe sont orientées à la baisse. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
L’Europe, et en particulier le Royaume-Uni, a connu une croissance des bénéfices supérieure à 10 % au cours des neuf premiers mois de 20222, tandis que les États-Unis ont enregistré un déclin régulier après le premier trimestre. Par conséquent, les bénéfices ont évolué de manière très divergente dans les deux régions l’an dernier. Ces trois derniers mois, les attentes ont quelque peu été revues à la baisse, mais les résultats publiés au titre du trimestre écoulé font état d’un taux annualisé de croissance des bénéfices toujours positif, même s’il s’approche de zéro.
Nous jugeons donc que les attentes du consensus ne sont pas assez élevées. Cette année tout comme l’année dernière, les prévisions de croissance des bénéfices réels par le marché n’avaient jamais été aussi pessimistes depuis 25 ans. Et pour l’instant, ces visions pessimistes ne se matérialisent pas.
Quels sont les indicateurs suivis par votre équipe pour comprendre la direction des marchés ?
Nous examinons les indices des directeurs d’achats (PMI), qui sont généralement des indicateurs fiables de la croissance des bénéfices, avec un effet dopant sur les marchés. Les indices PMI demeurent solides, ce qui apporte un certain soutien macroéconomique à la région. Cette robustesse s’explique en grande partie par la chute des prix du gaz et la réouverture de la Chine. Nous devons toutefois surveiller d’autres facteurs, et notamment le cycle des stocks, qui a été porteur pour de nombreuses entreprises. Nous étudions aussi attentivement les PMI pour détecter les signaux éventuels.
En outre, nous ne pouvons faire l’impasse sur l’inflation. Nous estimons que la descente sera rapide dans les mois à venir. Ce recul indiquerait que nous approchons de la fin du cycle de resserrement, malgré les récents événements survenus dans le secteur bancaire. En termes de style, cela pourrait soutenir les entreprises de qualité dépréciées. Nous y voyons d’excellentes occasions de placement, avec des valorisations beaucoup moins onéreuses que celles observées depuis un certain temps.
Nous étudions également les risques liés aux banques centrales. Le maintien de taux élevés pendant une longue période aurait des répercussions négatives pour les consommateurs, même si le chômage demeure résolument bas. Si les taux étaient relevés de façon agressive, les bénéfices pourraient reculer de manière plus importante. Pour l’instant, nous estimons que ce recul sera limité.
De nombreuses variables entrent actuellement en ligne de compte. Comment arrivez-vous à vous concentrer sur les éléments importants, en tant que sélectionneurs de titres suivant une approche fondamentale ?
Les marchés font grand bruit des enjeux macroéconomiques, mais notre priorité est de nous concentrer sur les entreprises dont les rendements à long terme sont élevés, durables et constants, et qui ont une faible intensité de capital. Ces entreprises ont tendance à avoir une bastille économique et une certaine force qui leur permet de tirer profit des ralentissements macroéconomiques.
L’accent mis sur les sociétés à rendement élevé et à écart positif, qui réinvestissent continuellement dans leur développement, demeure essentiel pour accroître les rendements sur le long terme pour les actionnaires. De nombreuses entreprises européennes ont vu leur valorisation diminuer sensiblement au cours des 18 derniers mois et nous pensons que cela augure des points d’entrée intéressants pour investir à long terme dans des sociétés attrayantes.
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