Avec la contribution de Josh Nye, Vivien Lee, Sheena Khan et d’Aaron Ma
Le point sur les droits de douane
Les annonces sur les droits de douane ont été un peu moins fréquentes après la mise en place, début août, d’ententes et de sanctions. Depuis lors, on parle surtout des dommages économiques de plus en plus visibles causés par les droits de douane, d’un jugement cherchant à bloquer ceux voulus par le président Trump, de l’ajout progressif de droits de moindre importance et du resserrement de l’écart entre droits théoriques et droits perçus.
Décision judiciaire
Le 29 août, la Cour d’appel des États-Unis a rejeté, à sept voix contre quatre, le recours à la loi International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) par la Maison-Blanche pour imposer des droits de douane. Il s’agit du deuxième palier judiciaire à rendre un tel jugement. L’IEEPA est la législation invoquée pour mettre en place des droits de douane, comme ceux qui visent maintenant la plupart des pays.
Par conséquent, la suppression de ces droits représenterait un événement majeur. L’IEEPA autorise l’application de droits de douane uniquement en cas d’urgence ; le débat consiste donc à déterminer si les déficits commerciaux de longue date représentent une telle urgence. Une loi différente est utilisée pour les droits de douane sectoriels, comme ceux sur l’acier, l’aluminium, les automobiles et le cuivre.
Nous avons traité de ce sujet en détail le 27 mai. (Voir le dernier paragraphe intitulé « Contre-offensive juridique aux droits de douane du président Trump ».) La situation est à peu près la même qu’à ce moment-là, hormis quelques nouveautés. Bien que le jugement rende les droits de douane illégaux, ils demeureront en vigueur jusqu’à la mi-octobre, afin de laisser le temps à la Cour suprême de rendre un jugement définitif.
D’un côté, deux tribunaux ont consécutivement rejeté les droits de douane adoptés en vertu de l’IEEPA, et la Cour suprême, d’après sa composition actuelle, devrait se montrer encline à défendre la délimitation des pouvoirs, dans ce cas, le fait que les décisions en matière de fiscalité et de droits de douane relèvent avant tout du Congrès.
De l’autre, la décision de la Cour d’appel n’a pas été unanime, laissant entrevoir une marge de manœuvre juridique considérable en ce qui concerne la définition d’une situation d’urgence. De plus, les membres actuels de la Cour suprême sont plutôt de droite, ce qui pourrait favoriser les politiques du président Trump.
Cela dit, même si la Cour suprême bloque les droits adoptés en vertu de l’IEEPA, nous nous attendons à ce que des droits de douane considérables soient en vigueur dans les années à venir. Comment ?
M. Trump pourrait arriver à persuader le Congrès de mettre en place des droits de douane dans le cadre de l’IEEPA, en particulier pour les pays qui ont conclu un accord commercial avec les États-Unis.
Les droits de douane sectoriels pourraient être considérablement augmentés et étendus à d’autres pans de l’économie, reproduisant à peu près le régime actuel, mais en limitant la possibilité de favoriser un pays par rapport à un autre.
La Maison-Blanche dispose également d’autres outils dans son arsenal tarifaire. La solution la plus simple pourrait être de recourir temporairement à l’article 122, permettant d’imposer des droits de douane de 15 % pendant une période pouvant aller jusqu’à 150 jours sans l’approbation du Congrès. Cela permettrait de gagner du temps pour mettre en place de façon plus permanente des droits en vertu de l’article 301. Ceux-ci s’appliquent déjà à la Chine et au Brésil, et visent à remédier aux pratiques commerciales déloyales. Ils exigent toutefois beaucoup de travail préparatoire, de sorte que les droits provisoires pourraient être nécessaires.
Cela dit, l’annulation des droits de douane adoptés en vertu de l’IEEPA et leur remplacement par d’autres types de taxes pourraient avoir plusieurs conséquences :
Les États-Unis devraient indemniser toutes les parties qui ont payé les droits de douane imposés en vertu de l’IEEPA, ce qui représente des centaines de milliards de dollars. Ce serait une manne pour certains, mais aussi un gouffre budgétaire pour le gouvernement fédéral. Comme le coût des droits de douane a été largement répercuté sur les consommateurs et les fabricants étrangers, les importateurs en sortiraient gagnants.
La question de savoir si les droits temporaires prévus à l’article 122 pourraient être prolongés au-delà de 150 jours est discutable sur le plan juridique. Si ce n’est pas le cas, il pourrait s’écouler un certain temps entre le moment où les droits de douane provisoires de l’article 122 prendront fin et celui où les droits de douane de l’article 301 commenceront. Notons aussi que les taux des droits de douane prévus par l’article 122 seraient inférieurs à ceux appliqués actuellement aux termes de l’IEEPA à des pays comme l’Inde, le Canada, le Mexique et une grande partie de l’Asie. Tout cela est pertinent, parce qu’en cas d’écarts, on pourrait assister à un redressement temporaire de l’économie.
Nouveaux droits de douane
Le #MacroMémo ne serait pas complet s’il n’y avait pas quelques nouveaux droits de douane à présenter. Bien que ces dernières semaines aient été moins mouvementées à ce chapitre, nous devons en aborder plusieurs qui, ensemble, portent le taux moyen des droits de douane américains à 18,6 % (voir le graphique suivant).
Le taux moyen des droits de douane américains est proche de 19 %
Les taux effectifs des droits de douane sont estimés en fonction des droits de douane en vigueur à la date précisée et jusqu’au 4 septembre 2025 ; les taux annoncés ne sont pas pris en compte. Exclut l’effet du droit de minimis – suspension de l’exemption de minimis pour la Chine et Hong Kong en mai 2025 et entrée en vigueur le 29 août pour tous les autres pays. On suppose que toutes les exportations d’acier du Royaume-Uni vers les États-Unis sont couvertes par le mécanisme de quotas. On suppose une mise en œuvre instantanée et complète des droits de douane attendus (compte non tenu des délais d’expédition, de mise en œuvre, etc.). Sources : Evercore ISI Tariff Tracker ; FMI, Macrobond, RBC GMA
Fin de l’exemption de minimis
L’exemption de minimis des États-Unis, qui annulait les droits de douane sur les marchandises d’une valeur inférieure à 800 $ US, a été suspendue pour tous les pays à compter du 29 août. Les produits concernés sont désormais assujettis aux mêmes droits que les autres. C’est un dur coup pour les petites entreprises étrangères et américaines et pour les consommateurs américains.
Nouveaux droits de douane sur l’acier et l’aluminium
Le 18 août, les droits visant l’acier et l’aluminium ont été élargis pour englober les composants métalliques de 400 produits en aval, dont les motocyclettes, les systèmes de climatisation et la machinerie. Cette décision augmente d’environ 1 point de pourcentage (pp) le taux moyen des droits de douane américains.
Les droits de douane applicables à l’Inde ont doublé
Le 27 août, les droits visant l’Inde ont été doublés, de 25 % à 50 %, en guise de représailles, car le pays continue d’importer de grandes quantités de pétrole russe. Pour l’Inde, les États-Unis sont la principale destination de ses exportations, bien que son économie soit assez diversifiée, avec un important secteur des services (assujetti à aucun droit).
Écart dans les droits de douane
Les données sur les revenus générés en juillet par les droits de douane aux États-Unis ont enfin été publiées. Bien qu’elles soient déjà un peu obsolètes dès leur publication, elles révèlent quelques éléments intéressants.
L’écart entre les droits de douane américains théoriques et les droits effectivement perçus par le gouvernement est passé de 5,1 pp en juin à 4,5 pp en juillet. Ce rétrécissement montre que la convergence attendue a lieu, comme cela a été expliqué dans un précédent numéro du #MacroMémo (voir le paragraphe intitulé « Le taux des droits de douane américains moyens restent inférieurs au taux théorique »). Même si les droits de douane n’ont pas augmenté, leurs répercussions s’accroissent de mois en mois, à mesure que cette convergence se produit.
On s’est brièvement étonné qu’un si grand nombre de produits canadiens puissent entrer aux États-Unis sans droits de douane, alors que seulement un peu plus de la moitié d’entre eux étaient officiellement conformes à l’Accord États-Unis–Mexique–Canada (AEUMC), le principal critère pour l’imposition des droits américains. Le mystère a été résolu en juillet. Alors que seulement 56 % des produits canadiens entrant aux États-Unis étaient classés comme étant conformes à l’AEUMC en juin, ce chiffre a grimpé à 84 % en juillet et nous soupçonnons que la part a encore augmenté en août.
-EL
Contexte de la faiblesse de l’emploi
Nous continuons de prévoir un ralentissement marqué de la croissance de l’économie américaine au cours des prochains trimestres, principalement en raison des dommages causés par les droits de douane. Selon l’indice de variation des données économiques Citi, ce processus semble déjà amorcé (voir le graphique suivant).
Une légère détérioration des données économiques des États-Unis est amorcée
Au 5 septembre 2025. Sources : Citigroup, Bloomberg, RBC GMA.
Parmi les données sous-jacentes, c’est sans doute celles de l’emploi qui affichent le déclin le plus marqué (voir le graphique suivant). En août, seulement 22 000 emplois ont été créés. C’est moins du tiers des prévisions consensuelles (+75 000). Ces dernières n’étaient d’ailleurs pas très élevées par rapport au nombre de postes créés habituellement, soit un peu plus de 100 000.
Les marchés financiers ont sans doute été encore plus perturbés par la révision à la baisse des données de juin, qui a fait passer un résultat légèrement positif à la perte déplorable de 13 000 emplois. Il s’agit du premier mois de pertes nettes depuis décembre 2020.
Le rapport mensuel sur l’emploi aux États-Unis signale un déclin
En date d’août 2025. Sources : Bureau of Labor Statistics (BLS) des États-Unis, Macrobond, RBC GMA.
Les détails du rapport n’avaient rien d’impressionnant non plus, montrant la création de 46 800 emplois dans les soins de santé et l’assistance sociale. Ce nombre représente plus du double du gain net total pour le mois d’août. La plupart des autres secteurs ont enregistré des gains modestes ou de faibles pertes. La création d’emplois aux États-Unis n’est pas généralisée, puisque seule une poignée de secteurs embauchent (voir le graphique suivant).
Seule une poignée de secteurs embauchent aux États-Unis
En date d’août 2025. On détermine qu’une hausse a eu lieu si la variation mensuelle de la moyenne mobile sur trois mois est positive. Sources : Federal Reserve Bank de St. Louis, BLS, Macrobond, RBC GMA.
Lorsque nous divisons le marché du travail américain en composantes cycliques et non cycliques, nous constatons que la quasi-totalité des emplois créés au cours de la dernière année a eu lieu dans les activités non cycliques. Autrement dit, les entreprises tributaires de la conjoncture économique se montrent très prudentes, ce qui n’est pas de bon augure (voir le graphique suivant). Pourtant, curieusement, c’est le cas depuis plus d’un an. De plus, le ralentissement de l’embauche a lieu parce que les composantes non cycliques commencent à être moins robustes. Mais encore une fois, la faiblesse cyclique n’a rien de nouveau.
Aux États-Unis, la croissance de l’emploi ralentit tant dans les secteurs cycliques que non cycliques
En date d’août 2025. Sources : BLS, Macrobond, RBC GMA.
Les données sur l’emploi pourraient exagérer la faiblesse du marché du travail : l’indicateur composite de croissance des emplois de RBC GMA a nettement ralenti, mais reste largement supérieur aux chiffres de l’emploi (voir le graphique suivant). Autrement dit, les autres enquêtes sur l’emploi, c’est-à-dire l’enquête sur l’emploi auprès des ménages, l’enquête sur l’emploi d’ADP et les demandes d’assurance-chômage hebdomadaires, sont moins négatives.
Le marché du travail américain ralentit, mais moins que le laissent supposer les données sur l’emploi
En date d’août 2025. Indicateur composite fondé sur les données de paie, le sondage auprès des ménages, les nouvelles demandes d’assurance-chômage et les données sur l’emploi d’ADP. Sources : BLS, Department of Labor des États-Unis, ADP, RBC GMA.
La croissance démographique des États-Unis a ralenti en raison du resserrement des contrôles de l’immigration. Par conséquent, la création mensuelle « normale » d’emplois est moins élevée, puisqu’il y a moins de nouveaux chercheurs d’emploi. Alors que la création d’environ 150 000 nouveaux emplois par mois était la norme il y a quelques années, les États-Unis pourraient désormais n’avoir besoin que de 50 000 nouveaux emplois par mois pour suivre le rythme de la croissance démographique. À la lumière de ces données, les données récentes sur l’emploi restent décevantes, mais pas catastrophiques.
Cette interprétation correspond à celle du taux de chômage, qui est passé de 4,2 % à 4,3 % en août. Le chômage suit une tendance résolument haussière, mais qui se situe encore à un niveau relativement normal pour le moment.
Faut-il s’inquiéter de la politisation des données sur l’emploi après le congédiement de la directrice du Bureau of Labour Statistics des États-Unis, le mois dernier ? C’est un risque pour l’avenir, mais rien n’indique qu’il s’est concrétisé pour le moment.
-EL
Autres données économiques : ce n’est pas si mal
Alors, une récession est-elle imminente si la création d’emplois s’essouffle ? Pas nécessairement. Trois autres indicateurs économiques ne concordent pas avec le début d’une récession, bien qu’ils n’aient rien de réjouissant.
L’indice de l’Institute for Supply Management (ISM) du secteur manufacturier a quelque peu augmenté en août, passant d’un niveau, certes faible, de 48,0 à 48,7. À tout le moins, ce n’est pas le signe d’un effondrement soudain de l’économie.
L’indice ISM des services a aussi progressé, dans une mesure nettement plus importante, pour s’établir à un niveau plus solide. L’indice est passé de 50,1 à 52,0, ce qui ne représente pas un mauvais point final. La composante des nouvelles commandes est passée de 50,3 à 56, ce qui témoigne de l’accroissement de la demande.
Le livre beige de la Fed est resté stable par rapport à l’édition précédente. Quatre districts ont fait état d’un léger recul de l’activité économique, deux d’une stagnation de l’activité, et six de gains modestes (voir le graphique suivant).
L’indicateur du climat économique selon le livre beige reste stable
En date de septembre 2025. L’indicateur quantifie les réponses de points de contact locaux en attribuant des pondérations différentes à un éventail de mots positifs et négatifs utilisés dans le livre beige de la Réserve fédérale pour décrire le climat économique global. Sources : Réserve fédérale américaine, RBC GMA.
La question n’est pas de savoir si l’économie s’accélère. Ce n’est probablement pas le cas, et les analyses macroéconomiques comportent toujours des indicateurs contradictoires. Cependant, ces données contredisent l’idée selon laquelle l’économie serait soudainement confrontée à d’immenses difficultés.
-EL
Prévisions concernant la Fed
Quels sont les choix de la Fed ? Sans pour autant céder à la panique, la Fed sera sans doute attentive à la faiblesse du marché de l’emploi et à la décélération de l’ensemble de l’économie. Lors de la conférence de Jackson Hole fin août, avant la dernière publication des chiffres sur l’emploi, le président de la Fed, Jerome Powell, a déclaré qu’il deviendrait peut-être nécessaire de réduire les taux, que la Fed était moins préoccupée par l’inflation provoquée par les droits de douane, en raison de leur nature temporaire, et que la balance des risques pour l’emploi penchait maintenant du côté négatif. La suite des événements lui a donné raison.
Le marché ne se demande plus s’il y aura une baisse de taux le 17 septembre, mais plutôt quelle sera l’ampleur de la baisse. Une baisse de 25 pb est beaucoup plus probable qu’une baisse de 50 pb, mais cette dernière option n’est pas invraisemblable. Les données sur l’inflation publiées cette semaine devraient pousser vers l’une ou l’autre de ces deux solutions.
Le marché anticipe désormais deux baisses de 25 pb les 29 octobre et 10 décembre, et près de six baisses de 25 pb au cours de la prochaine année. Dans le contexte d’un ralentissement économique conjugué à une intensification des pressions politiques, le scénario d’une importante réduction des taux est tout à fait plausible. Toutefois, nous anticipons pour le moment un assouplissement légèrement moins important que ce que prévoit le marché (notons que nous étions les plus affirmatifs à l’égard de l’assouplissement jusqu’à ce que le marché révise profondément ses prévisions au cours des dernières semaines).
– EL
Actualité économique internationale
Passons en revue quelques événements clés survenus dans les pays que nous suivons de près.
Instabilité en France :
Le 8 septembre, le Premier ministre français Bayrou a subi un vote de confiance négatif à l’encontre de son projet budgétaire, ce qui a précipité la fin de son mandat après neuf mois en fonction. Le président Macron devra donc nommer son cinquième Premier ministre en deux ans seulement.
Le problème tient au fait que M. Bayrou a proposé un budget incluant des mesures d’austérité telles que la suppression de deux jours fériés, la hausse de l’impôt pour les retraités et le gel des dépenses à l’exception du budget de défense. Les mesures en question visaient à contenir l’énorme déficit budgétaire de la France, qui depuis quelque temps préoccupe le marché obligataire.
Le prochain Premier ministre français devra sans doute suivre une ligne moins austère, à la faveur de la population et de l’économie sur le court terme, mais susceptible de rebuter les investisseurs en obligations.
Faiblesse de l’économie en Allemagne :
Même s’il reste plausible que l’Allemagne parvienne à accélérer quelque peu son économie à mesure qu’elle relâchera ses freins sur la dette et s’engagera à accroître ses dépenses militaires et d’infrastructures, les récents chiffres économiques ne sont pas vraiment encourageants. Les commandes des usines ont chuté de 2,9 % d’un mois sur l’autre dans le dernier relevé mensuel. Les exportations ont fléchi de 0,6 % et les importations, de 0,1 %.
Politique du Japon :
Le Premier ministre japonais. M. Ishiba a démissionné le 7 septembre dans l’anticipation du vote de confiance de son parti qui était prévu pour le lendemain. Son Parti libéral-démocrate (PLD) a obtenu de piètres résultats aux élections de la chambre basse en octobre dernier, et aux élections de la chambre haute en juillet.
Le PLD doit maintenant choisir un nouveau Premier ministre. Les marchés financiers se sont montrés enthousiastes à la nouvelle de ce changement, dans l’espoir d’une politique budgétaire plus souple et de pressions politiques plus lourdes envers la Banque du Japon pour qu’elle maintienne des taux d’intérêt à un niveau bas.
– EL
L’économie canadienne manque de vigueur
De même que les États-Unis, le Canada a publié un rapport sur l’emploi décevant pour le mois d’août. Le Canada a perdu 65 500 emplois au cours du mois, ce qui est très loin du gain de 5 000 emplois qui était attendu. Les données sur l’emploi au Canada sont connues pour être volatiles, mais il est difficile de ne pas prendre ce chiffre au sérieux, d’autant plus qu’il fait suite à un résultat tout aussi préoccupant de 40 800 emplois perdus le mois précédent.
Même en tenant compte de la forte hausse des emplois observée le mois précédent, la moyenne mobile sur trois mois pointe vers des pertes d’emploi (voir le graphique suivant).
La situation de l’emploi au Canada s’est détériorée récemment
En date d’août 2025. Sources : Statistique Canada, Haver Analytics, Macrobond, RBC GMA.
Il y a tout de même quelques signes positifs. Premièrement, les pertes d’emplois d’août se sont concentrées dans les postes à temps partiel et les rôles de travailleurs autonomes, ce qui signifie qu’elles ont surtout concerné des emplois de qualité inférieure. Ensuite, la croissance démographique du Canada est pratiquement au point mort, de sorte qu’un taux d’embauche « normal » pourrait signifier qu’il n’y a aucune création d’emplois dans un mois donné.
Néanmoins, nous constatons des pertes d’emplois nettes et un bond du taux de chômage à 7,1 %. Il s’agit du niveau le plus élevé depuis août 2021, ce qui indique que l’économie canadienne est aux prises avec des capacités excédentaires importantes et croissantes (voir le graphique suivant).
Le taux de chômage au Canada est en hausse
En date d’août 2025. La zone ombrée représente une récession. Sources : Statistique Canada, Haver Analytics, Macrobond, RBC GMA.
Après l’emploi, si nous examinons le produit intérieur brut (PIB), nous constatons que le PIB du Canada au deuxième trimestre s’est avéré inférieur aux prévisions consensuelles avec un recul de 1,6 % en rythme annualisé. L’existence d’un déclin n’est pas surprenante, compte tenu du recul observé lorsque les États-Unis ont commencé à brandir la menace de droits de douane, puis à les imposer. Cependant, l’ampleur de ce recul est beaucoup plus grave que prévu.
Il n’y a pas si longtemps, nous nous demandions si l’économie canadienne réussirait à rebondir quelque peu lorsque les droits de douane se seraient stabilisés à un niveau plus bas que ce que l’on craignait initialement. Hélas, il ne semble pas que ce soit le cas. Nous voyons maintenant que le PIB du troisième trimestre pourrait aussi afficher une baisse. L’estimation provisoire pour juillet faisait état d’un modeste repli de 0,1 % par rapport au mois précédent. Pour sauver le trimestre, il faudrait enregistrer des gains d’une taille conséquente en août et en septembre. Du fait que l’emploi a reculé en août, nous ne pouvons pas espérer un tel rattrapage, du moins pour ce mois.
Étant donné la règle générale selon laquelle une récession est définie comme un repli du PIB pendant deux trimestres d’affilée, nous entendrons bientôt parler d’une menace de récession au Canada. En réalité, la définition d’une récession est un peu plus nuancée et comprend un recul marqué de la production, d’importantes pertes d’emplois et une faiblesse touchant de multiples secteurs. Cependant, une telle récession « en bonne et due forme » est une possibilité très réelle à court terme, même si nous supposons qu’elle serait plutôt modérée.
Le marché anticipe actuellement la probabilité d’une baisse des taux par la Banque du Canada lors de sa réunion du 17 septembre, et nous croyons que les baisses de taux de la prochaine année pourraient être plus importantes que ce qu’imagine le marché.
Enfin, le Canada a supprimé une grande partie des droits de douane de représailles imposés aux États-Unis, à compter du 1er septembre, ce qui constitue l’un des rares points positifs pour l’économie. Cette décision peut être considérée comme un geste de bonne foi, alors que les négociations commerciales se poursuivent entre les deux pays. Ou encore, comme une politique canadienne faisant écho à la politique existante des États-Unis, qui consiste à ne pas imposer de droits de douane aux produits conformes à l’AEUMC traversant la frontière.
– EL
Transformation de l’économie de l’Argentine
L’économie de l’Argentine, troisième en Amérique latine après le Brésil et le Mexique, a subi une transformation majeure sous l’auspice du président Javier Milei, entré en fonction en décembre 2023. Les dépenses publiques et l’inflation ont diminué. Les mesures de contrôle des prix et des capitaux ont été assouplies. L’économie et les salaires réels progressent et la pauvreté a reculé. Cependant, l’austérité budgétaire a été douloureuse, et le chômage est à la hausse.
Les élections de mi-mandat au Congrès prévues à l’automne serviront de consultation à propos du programme de réforme de M. Milei. Les récentes élections régionales ont fait ressortir une certaine opposition, mais le succès de sa politique sera jugé sur une plus longue période.
M. Milei a hérité d’une économie argentine en déclin, aux prises avec des dettes et des déficits considérables, dont la monétisation a entraîné une inflation annuelle galopante à trois chiffres. À peine trois ans après son neuvième défaut de paiement, le gouvernement utilisait des fonds provenant d’un nouveau programme (le 22e) du Fonds monétaire international (FMI) pour rembourser les prêts contractés antérieurement, et ses réserves internationales étaient négatives.
M. Milei avait fait campagne en proposant un ambitieux programme de réforme promettant des coupes à la tronçonneuse dans les dépenses publiques (il a littéralement brandi une tronçonneuse lors de rassemblements politiques). Il s’était également engagé à maîtriser l’inflation, à alléger la réglementation, et à remplacer le peso argentin par le dollar américain. Bien que cette dernière proposition ait été abandonnée en faveur d’un régime de gestion du taux de change, M. Milei a réussi à mettre en œuvre plusieurs aspects de son programme, malgré la faible représentation de son parti au Congrès.
Austérité budgétaire : Le gouvernement Milei a supprimé 50 000 postes dans le secteur public, a suspendu les dépenses relatives aux projets d’infrastructure et a réduit les subventions pour l’énergie et le transport ainsi que les transferts aux provinces. Les soldes budgétaires auparavant très déficitaires sont devenus des excédents. Le FMI prévoit que le gouvernement est en passe de dégager un excédent primaire (c.-à-d. hors versements d’intérêts) de 1,6 % cette année. Voilà une bonne, et sans doute la moins mauvaise option. Cela dit, elle renvoie partiellement le problème budgétaire à l’échelle provinciale. Par ailleurs, la stagnation des dépenses d’infrastructure pourrait entraîner des conséquences négatives ultérieures.
Déréglementation : M. Milei a assoupli les contrôles des capitaux et réduit certaines taxes à l’exportation ainsi que les droits de douane et les exigences relatives aux licences d’importation. Il a en outre offert des allègements fiscaux pour les investissements importants. Dans la foulée, les investissements directs étrangers (IDE) dans les secteurs des mines et de l’énergie ont été encouragés. Le Congrès a toutefois repoussé la privatisation des entreprises d’État, ce qui a incité M. Milei à s’orienter vers des partenariats entre le secteur public et le secteur privé. Par ailleurs, les efforts de déréglementation du marché du travail et d’affaiblissement du pouvoir des syndicats se sont également avérés difficiles.
Diminution de l’inflation : La restriction de la croissance de la masse monétaire, qui met un terme à la monétisation des déficits budgétaires au moyen de la planche à billets, a contribué à réduire l’inflation mensuelle à 2 %, alors qu’elle dépassait auparavant 10 %. La suppression des contrôles des loyers a augmenté l’offre de logements locatifs et abaissé les loyers réels. À présent, les salaires ajustés à l’inflation augmentent.
Retour à la croissance : Lors de la première année du mandat de M. Milei, l’économie argentine s’est contractée de 1,9 % en 2023, puis de 1,3 % en 2024. Toutefois, l’activité a repris en 2025, l’expansion économique s’établissant maintenant à 5 % d’une année sur l’autre, portée par les investissements des entreprises et la consommation des ménages.
Réduction de la pauvreté : Avec son remède de cheval, M. Milei a fait bondir le taux de pauvreté en Argentine à 53 % au premier semestre de 2024, alors qu’il était de 42 % avant son arrivée au pouvoir. Celui-ci est néanmoins tombé à 38 % au deuxième semestre de 2024 quand les réformes économiques et les efforts visant à réduire l’inflation ont commencé à porter leurs fruits.
Politique de change : Une forte dévaluation du taux de change officiel USD/ARS s’est produite en décembre 2023. Elle a comblé partiellement l’écart par rapport au taux de change non officiel. Depuis, le peso argentin a suivi un système de rattachement contrôlé entraînant une dépréciation mensuelle de 2 %. En avril, le gouvernement a assoupli davantage les contrôles des capitaux et adopté un régime de flottement contrôlé qui a, dans les faits, éliminé le taux de change non officiel, contribuant ainsi à réduire les distorsions économiques.
M. Milei a réduit les déficits budgétaires argentins et mis un terme à la monétisation de la dette
En 2030. Sources : Fonds monétaire international (FMI), Macrobond, RBC GMA.
L’inflation argentine a considérablement ralenti grâce aux réformes de M. Milei
En date de juillet 2025. Sources : Institut national de la statistique et des recensements de l’Argentine (INDEC), Macrobond, RBC GMA.
En Argentine, l’économie renoue avec la croissance après s’être contractée en 2023 et en 2024
En date de juin 2025. Sources : Institut national de la statistique et des recensements de l’Argentine (INDEC), Macrobond, RBC GMA.
Ces réformes ont aidé M. Milei à obtenir un autre prêt de 20 milliards de dollars US auprès du FMI (dont l’Argentine est le plus gros débiteur) et un soutien extérieur supplémentaire. Les réserves du gouvernement se voient ainsi renforcées, malgré l’épuisement des réserves internationales résultant des efforts de soutien du peso dans le système de flottement contrôlé et la non-atteinte de la cible du FMI à la mi-juin par l’Argentine. Puisque le système précédent de parité à crémaillère n’est pas parvenu à suivre l’inflation et que le taux de change réel est de ce fait surévalué, l’Argentine jongle entre dépréciation supplémentaire et limitation de l’inflation par les prix à l’importation.
Malgré ses réussites, M. Milei a suscité des manifestations contre les mesures d’austérité et des critiques et réactions négatives sur le plan de ses réformes. En Argentine, le taux de chômage officiel a augmenté de 2,2 points de pourcentage depuis l’arrivée au pouvoir de M. Milei. Il a maintenant atteint un sommet depuis quatre ans. Les retraités sont particulièrement touchés du fait de l’austérité : les prestations de retraite sont à la traîne de l’inflation. L’abolition du contrôle des loyers a nui à certains locataires. Reste également à savoir si les compressions budgétaires, p. ex., l’arrêt des projets d’infrastructure, sont durables. En plus de contrecarrer une partie du programme de déréglementation de M. Milei, le Congrès s’oppose à l’austérité en tentant d’augmenter les prestations de retraite et d’invalidité.
L’Argentine représente moins de 1 % du PIB mondial. Son passage de la contraction à l’expansion n’ajoute donc que quelques points de base à la croissance mondiale. Toutefois, les portefeuilles d’obligations des marchés émergents se soucient habituellement beaucoup des résultats argentins. Toute réussite économique importante dans un pays en difficulté depuis longtemps serait accueillie favorablement non seulement par le pays lui-même, mais serait aussi considérée comme un modèle pour les nombreux autres pays pauvres qui n’ont pas réussi à renouer avec la prospérité.
Cela dit, l’Argentine a tenté des transformations similaires dans le passé. Les défis économiques et budgétaires ont néanmoins fini par refaire surface quand les électeurs ont moins toléré l’amertume de ces réformes.
Comparativement à ses prédécesseurs réformistes tels que M. Alfonsin (1983-1989) et M. Menem (1989-1999), M. Milei s’empresse plus d’adopter des politiques plus radicales. Faut-il en conclure que les politiques pourraient porter leurs fruits plus rapidement et transformer les dégâts par des gains économiques ? La politique de M. Milei sera mise à l’épreuve que ce soit sur le plan de la viabilité des finances publiques ou sur celui de la réduction de l’inflation et de la pauvreté pendant plusieurs années.
Toutefois, contrairement à de nombreux prédécesseurs, M. Milei ne bénéficie pas autant du soutien du Congrès. Sa capacité à mettre pleinement en œuvre le plan et donc à réussir s’en trouve donc potentiellement limitée. Les élections qui se tiendront au Congrès en octobre sont l’occasion de changer cette dynamique, même si les récentes élections provinciales laissent entrevoir une lutte difficile.
- JN
Comprendre les cryptomonnaies stables
Au cours des quinze dernières années, les cryptomonnaies ont gagné en notoriété. Le Bitcoin en particulier a généré des rendements remarquables pour les spéculateurs malgré des applications encore limitées dans le monde réel.
Aujourd’hui, un sous-ensemble assez nouveau de cryptomonnaies, dites les « cryptomonnaies stables », commencent à se démarquer. Globalement, leurs actifs s’élèvent à présent à environ 255 milliards de dollars américains. La récente adoption de la loi américaine GENIUS Act en juillet renforce leur légitimité et leur donne un cadre réglementaire.
En quoi les cryptomonnaies stables sont-elles différentes ?
Les cryptomonnaies stables diffèrent de leurs consœurs traditionnelles par le fait qu’elles ne sont pas vraiment des monnaies différentes. Alors que la valeur du Bitcoin fluctue indépendamment des monnaies traditionnelles, les monnaies stables sont censées être adossées à leur monnaie gouvernementale, soit le dollar américain dans la plupart des cas. Par conséquent, les cryptomonnaies stables éliminent l’élément spéculatif : il est peu probable qu’un détenteur s’enrichisse (ou s’appauvrisse).
Qu’est-ce qui fait donc la particularité des cryptomonnaies stables ?
Elles préservent un attrait clé des cryptomonnaies : la possibilité d’effectuer des opérations numériques presque sans heurts. Autrement dit, elles peuvent s’échanger assez vite et à peu de frais, même dans un contexte international.
Du fait de leur stabilité, les cryptomonnaies stables s’articulent bien avec d’autres applications de la chaîne de blocs. En tirant parti de la programmabilité de certaines chaînes de blocs, il est théoriquement possible d’établir une hypothèque qui automatise le calcul des intérêts et des pénalités, qui reçoit les versements et même qui transfère une version avec jeton d’authentification (version numérique) de l’acte de prêt du prêteur à l’emprunteur au moment du remboursement du prêt. Une telle hypothèque reste possible en l’absence de cryptomonnaies stables. Quoi qu’il en soit, le fait de libeller un prêt en Bitcoins peut s’avérer terrifiant compte tenu de la volatilité tristement célèbre de cette monnaie.
En revanche, les cryptomonnaies stables offrent une option de paiement par chaîne de blocs qui reste adossée au billet vert. La capacité à programmer des contrats et à authentifier des actifs réels par jeton devient beaucoup plus intéressante avec une cryptomonnaie stable.
L’enthousiasme de la Maison-Blanche
La Maison-Blanche est enthousiasmée par les cryptomonnaies, car elle entrevoit un potentiel de renforcement de la domination des États-Unis dans ce secteur grâce aux organismes de réglementation. Les cryptomonnaies stables adossées au dollar semblent en particulier avoir gagné la faveur de l’administration Trump, étant donné qu’elles complèteraient le dollar américain tout en rehaussant l’importance de celui-ci, alors que les cryptomonnaies plus traditionnelles lui feraient simplement concurrence.
Les États-Unis réagissent également aux efforts similaires déployés dans d’autres pays, qui espèrent aussi accroître l’importance de leurs propres monnaies. À un moment où le dollar américain perd sans doute un peu de son lustre, les cryptomonnaies stables lui étant adossées pourraient lui redorer partiellement son blason.
Inflation
Il serait totalement utopique de penser que les cryptomonnaies traditionnelles pourraient devenir la nouvelle monnaie d’échange dominante et instaurer un régime d’inflation différent. Par exemple, la cible d’inflation du Bitcoin est de 0,8 % seulement par an, ce qui correspond au rythme de la production programmée des nouveaux bitcoins En revanche, le volume des cryptomonnaies stables ne cesse de fluctuer. Les cryptomonnaies stables étant simplement arrimées à des devises existantes, elles subissent le même taux d’inflation que les économies de ces devises.
En pratique, davantage de jetons de cryptomonnaies stables sont créés lorsque la demande augmente et des jetons sont détruits lorsque la demande diminue. Leur volume n’a aucune incidence sur l’inflation, car les meilleures cryptomonnaies stables sont entièrement adossées à des actifs. Pour chaque dollar placé dans une cryptomonnaie stable, un dollar est réinvesti dans un actif liquide et sûr qui sert de garantie. Cette garantie sur la valeur totale vise à éviter les retraits massifs qui ont touché les cryptomonnaies stables émises précédemment qui n’étaient pas entièrement adossées à des actifs. Il y a moins de raisons de douter de la valeur d’une cryptomonnaie stable lorsqu’en théorie, tout le monde peut demander à être remboursé au même moment sans que la monnaie ne s’effondre.
Économie
D’un point de vue économique à long terme, un monde dominé par les cryptomonnaies stables éliminerait certaines frictions actuellement liées aux opérations financières, car les virements seraient établis plus facilement, coûteraient moins chers et seraient exécutés plus rapidement. De modestes gains de productivité seraient donc attendus. Bien entendu, pour y parvenir, il faudrait qu’un nombre important d’acteurs économiques soient disposés à effectuer leurs opérations en cryptomonnaies stables, ce qui n’est pas le cas actuellement.
De façon plus générale, l’accès aux capitaux pourrait se démocratiser. Les acteurs économiques étrangers pourraient avoir accès à des prêts en cryptomonnaies stables, dont les montants seraient équivalents en dollars. La possibilité de programmer des prêts pourrait permettre aux gens ordinaires et aux entreprises de se prêter en toute sécurité. Les emprunteurs à faible revenu auraient plus facilement accès au microcrédit. En théorie, le fait que davantage de capitaux deviennent accessibles et soient affectés plus efficacement est une autre incidence économique positive.
Ces possibles avantages doivent toutefois être mis en balance avec plusieurs conséquences économiques négatives.
On pourrait observer une recrudescence des activités illégales compte tenu du caractère pseudo-anonyme des cryptomonnaies. Autrement dit, les risques d’opérations sur le marché noir, de blanchiment d’argent, de fraude, et autres méfaits similaires pourraient augmenter. Il deviendrait alors plus difficile pour les gouvernements de faire appliquer les règles financières et de percevoir des impôts.
Les cryptomonnaies stables pourraient créer une distorsion importante sur le marché obligataire et causer un préjudice potentiel aux institutions financières traditionnelles, en raison de la désintermédiation. Ces deux aspects seront abordés dans les sections suivantes de ce bulletin. Les institutions financières attirant moins de capitaux, elles pourraient notamment ne plus être en mesure de prêter à l’économie autant qu’auparavant, ce qui limiterait la croissance économique.
Alors que les précédentes générations de cryptomonnaies nécessitaient de grandes quantités d’électricité pour traiter les opérations, les nouvelles cryptomonnaies ont réduit cette dépendance de plus de 99 %. Dans ce domaine, les incidences négatives sur l’économie et l’environnement sont désormais relativement limitées.
Marché obligataire
La nouvelle génération des cryptomonnaies stables garantit la valeur totale de leurs jetons avec des placements dans des actifs liquides et sûrs. On constate que les bons du Trésor américain représentent environ la moitié de ces placements. Aux États-Unis, les cryptomonnaies stables détiennent déjà 149 milliards de dollars américains en titres du Trésor, ce qui en font le 18e plus important détenteur externe de titres du Trésor. Les autres placements sont essentiellement des pensions sur titres et des dépôts bancaires.
Cette situation peut entraîner plusieurs conséquences. Tout d’abord, le gouvernement américain pourrait sans difficulté accumuler des déficits plus importants, puisqu’il existe une autre source de demande pour les titres de créance du pays. Les taux obligataires à court terme seraient plus bas qu’ils ne le seraient autrement, et la courbe des taux pourrait être plus accentuée que prévu.
Bien entendu, une partie de l’argent investi dans les cryptomonnaies stables aurait déjà pu être placée dans un fonds du marché monétaire (investissant dans ces mêmes bons du Trésor) ou dans un compte bancaire (avec une fraction des actifs de la banque investie en bons du Trésor à titre de réserve). Globalement, le montant investi en bons du Trésor devrait être plus élevé, tandis que les montants dans les fonds du marché monétaire et dans les comptes bancaires devraient être plus faibles.
Les cryptomonnaies stables pourraient accroître la volatilité sur le marché obligataire, car d’importantes rentrées ou sorties de cryptomonnaies stables provoquent également des mouvements significatifs de fonds qui rentrent et qui sortent du marché obligataire.
Institutions financières
Si les cryptomonnaies stables gagnent en popularité, les banques risquent une désintermédiation : elles perdront une partie de leurs activités liées aux paiements, virements et dépôt.
Pour le consommateur moyen, les opérations sur carte de crédit semblent déjà assez fluides. Elles sont instantanées, permettent de décaler les paiements jusqu’à un mois et offrent souvent des remises en argent. En revanche, les détaillants voient les choses différemment : ils doivent payer des frais élevés et reçoivent les fonds avec un certain décalage. Les cartes de débit sont bien moins onéreuses pour le vendeur, mais elles offrent moins d’avantages à l’acheteur. En outre, pour utiliser une carte de crédit ou de débit, les consommateurs doivent payer des frais de tenue de compte à leurs banques.
À l’inverse, les cryptomonnaies stables peuvent en principe être utilisées moyennant des frais d’opération minimes et sans frais de tenue de compte sur une plateforme d’échange de cryptomonnaies. Évidemment, l’argent liquide engendre également relativement peu de frais, ne nécessite pas de détenir un compte et est un moyen de paiement déjà largement répandu et accepté.
Dans le cas de virements, surtout s’ils sont importants, les systèmes de paiement traditionnels facturent souvent des frais élevés. Les cryptomonnaies stables pourraient permettre d’éviter ces frais. Elles pourraient également réduire les coûts et les délais associés aux virements transfrontières, ce qui constitue un avantage particulièrement intéressant. Un autre point positif est que ces opérations peuvent être exécutées à tout moment, et non seulement pendant les heures d’ouverture.
Bien entendu, reste à savoir si les économies réalisées en réduisant les infrastructures existantes et les marges bénéficiaires (une aubaine pour l’utilisateur, mais pas pour les institutions financières traditionnelles) seront de nature à justifier un environnement moins propice à l’arbitrage réglementaire, dans lequel les opérations en cryptomonnaies dérogent aux obligations habituelles de vérification concernant le contrôle des capitaux, la fraude, le blanchiment d’argent et d’autres méfaits financiers (une régression pour la société).
Les cryptomonnaies stables pourraient attirer une partie de l’argent destiné aux dépôts bancaires. S’il devenait facile d’être payé directement et d’acheter ou de vendre des choses en utilisant la devise, il ne serait plus absurde d’également conserver des liquidités à court terme en cryptomonnaie stable. Certains émetteurs de cryptomonnaies stables cherchent même à obtenir une charte bancaire, ce qui estomperait la distinction avec les banques traditionnelles et constituerait une nouvelle menace pour celles-ci.
Les banques recevraient certes une partie de leurs dépôts précédents sous la forme d’actifs en cryptomonnaies stables laissés en dépôt bancaire. Ce sont toutefois des passifs généralement moins attrayants pour les banques. Ils exigent des paiements d’intérêts plus élevés que ceux payés par les banques traditionnelles sur les dépôts des ménages, et sont peut-être aussi plus inconstants.
Les cryptomonnaies stables peuvent-elles livrer concurrence aux produits bancaires et à revenu fixe en versant des intérêts ? C’est compliqué. En théorie, les cryptomonnaies stables rapportent effectivement des intérêts. Après tout, les actifs sous-jacents des cryptomonnaies stables sont des produits qui génèrent des rendements en revenu, comme les bons du Trésor.
En pratique cependant, les cryptomonnaies stables les plus populaires ne versent pas d’intérêts (sauf certaines de moindre importance). En fait, le versement d’intérêts par les cryptomonnaies stables est maintenant interdit aux États-Unis, conformément à la GENIUS Act, récemment adoptée.
Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Il semble toujours possible pour les cryptomonnaies stables de verser de l’argent aux bourses de cryptomonnaies pour leurs services. Il est également possible que ces bourses offrent des primes ou d’autres avantages financiers aux parties qui détiennent de l’argent auprès d’elles. Ainsi, une forme de versement d’intérêts pourrait toujours être possible.
De plus, les autorités réglementaires d’autres pays pourraient ne pas imposer la même règle d’absence de rendement en revenu. Les versements d’intérêts feraient assurément des cryptomonnaies stables une menace plus redoutable pour les opérations de dépôt des banques.
Face à tous ces défis, les institutions financières sont également raisonnablement bien placées pour revitaliser leurs activités financières en utilisant la technologie de la chaîne de blocs. Un tel changement pourrait leur permettre de réaliser des gains d’efficacité et d’être plus concurrentielles dans les secteurs des paiements, des virements et des dépôts. Plusieurs banques expérimentent déjà des produits commerciaux liés à la chaîne de blocs. Les grandes banques sont peut-être en meilleure position que les petites pour réussir le saut.
Gouvernements
Bien que le gouvernement américain apprécie la possibilité d’emprunter de l’argent à court terme à moindre coût grâce aux bons du Trésor détenus par les cryptomonnaies, d’autres casse-têtes politiques surgissent si les cryptomonnaies stables se multiplient :
La conformité fiscale pourrait s’amenuiser, puisque les acteurs économiques contourneraient les canaux financiers officiels au profit des cryptomonnaies stables pseudo-anonymes.
Les activités illégales pourraient s’intensifier en raison de l’augmentation de l’économie parallèle, du blanchiment d’argent et de la fraude, une fois de plus en raison de la nature pseudo-anonyme des cryptomonnaies.
On pourrait devoir stabiliser les institutions financières et le système financier du pays si des pans importants des activités bancaires sont brusquement désintermédiés.
Dans les pays où les capitaux sont assujettis à des mesures de contrôle, les cryptomonnaies stables pourraient compromettre la capacité du gouvernement à contrôler ces flux (ce qui pourrait toutefois favoriser le secteur privé de ces pays).
Si les cryptomonnaies stables libellées en dollar américain finissaient par dominer le système, l’utilisation des monnaies locales pourrait grandement diminuer dans d’autres pays. Il en résulterait des répercussions diverses, comme la diminution de l’efficacité des politiques monétaires dans ces pays, la diminution de la capacité à imposer l’activité économique et la vulnérabilité des économies aux fluctuations des taux de change (supposons qu’une moitié de l’économie est payée en dollars et l’autre, en pesos, et que le taux de change fluctue fortement, débouchant sur une multitude de gagnants et de perdants).
Les gouvernements seraient peut-être moins à même d’imposer leurs propres règles financières, car l’arbitrage réglementaire transfrontalier deviendrait beaucoup plus simple grâce aux cryptomonnaies stables.
Quelle ampleur pourraient-elles prendre ?
Personne ne sait vraiment quelle ampleur le marché de la cryptomonnaie stable pourrait atteindre. Les estimations officielles laissent entrevoir une forte croissance, mais dans bien des cas, elles ne constituent que la projection linéaire des taux de croissance récents.
Les analystes de marché orienté vendeur estiment que le marché actuel, d’une valeur de 255 milliards de dollars, pourrait atteindre entre 500 milliards et 2 000 milliards de dollars d’ici 2028. La Maison-Blanche estime de son côté qu’il atteindra 3 700 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie. Rappelons que la valeur totale des actifs à court terme très liquides aux États-Unis s’élève à 14 100 milliards de dollars, ce qui constitue une limite de hausse théorique extrême. Nous définissons ces actifs comme M2, la combinaison de la monnaie physique, des comptes de chèques et d’épargne, et des fonds communs de placement du marché monétaire de détail.
Nous soulignons que les cryptomonnaies stables pourraient croître un peu moins rapidement que ces prévisions enthousiastes, même si notre évaluation s’accompagne à la fois de risques de hausse et de baisse. Si une masse critique d’utilisation était atteinte, l’augmentation de la demande pourrait bien dépasser les prévisions générales. À l’inverse, le bassin d’utilisateurs potentiels pourrait s’avérer limité, et les cryptomonnaies pourraient n’intéresser que les technophiles avertis.
La question fondamentale est de savoir comment les cryptomonnaies stables s’intégreront à l’économie et à la vie quotidienne. L’avantage de l’utilisation des cryptomonnaies stables pour des opérations économiques ordinaires semble relativement faible, et la fongibilité (la capacité d’échanger un actif contre un autre) est actuellement faible. Son utilisation dans le domaine des opérations est prometteuse, mais elle n’en est qu’à ses débuts. L’utilisation des cryptomonnaies stables comme substituts aux dépôts bancaires est également une pratique relativement nouvelle dont la valeur est incertaine.
Risques
Le monde serait-il plus dangereux si les cryptomonnaies stables occupaient une place prépondérante dans le système financier ? À certains égards, oui :
Des problèmes de stabilité financière pourraient survenir si la position des banques faiblissait considérablement, si d’importants flux monétaires transitaient rapidement entre les pays ou si les monnaies étrangères étaient affaiblies.
Cette situation pourrait également nuire à la stabilité financière, puisque l’argent pourrait rapidement entrer et sortir des cryptomonnaies stables (et donc des actifs sous-jacents détenus en garantie de ces cryptomonnaies).
Les cryptomonnaies stables sembleraient permettre un plus vaste éventail d’activités illégales. Leurs détenteurs pourraient aussi être plus à risque de piratage.
Les cryptomonnaies stables pourraient subir leur propre crise financière si les investisseurs venaient à perdre confiance en la fiabilité de la parité avec le dollar.
Dans un avenir lointain, les ordinateurs quantiques pourraient nuire à la cryptographie protégeant les cryptomonnaies stables.
De toute évidence, tous ces risques doivent être soupesés à la lumière de la possibilité d’opérations, de virements et peut-être même de dépôts moins coûteux et de meilleure qualité. Pour le moment, les cryptomonnaies stables sont sur une très belle lancée ; il est donc essentiel de bien les comprendre.