Les marchés émergents ont connu ce qu’on a surnommé « une décennie perdue », puisque durant cette période, leurs actions ont été surclassées par celles des marchés développés. Cela s’explique en partie par le ralentissement de croissance de leurs bénéfices par rapport aux marchés développés, même s’ils continuent d’augmenter dans l’ensemble.
Selon les données historiques, les marchés émergents se comportent mieux à long terme lors des « supercycles » de bénéfices, c’est-à-dire lorsque la croissance du bénéfice par action (en dollars américains) demeure supérieure par rapport aux États-Unis. C’est ce qui est arrivé par exemple au début des années 1990 lors de l’industrialisation des « tigres asiatiques », ainsi qu’au début des années 2000, quand la Chine a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce.
Pour créer le prochain supercycle de croissance ou de BPA supérieur à long terme, il faudra une combinaison de facteurs structurels tout aussi importants que ceux qui ont propulsé les supercycles précédents. Or, à l’heure actuelle, il ne semble y avoir aucun grand thème capable de favoriser un tel cycle dans un avenir proche. Trois évolutions à long terme pourraient jouer ce rôle : une nouvelle accélération des échanges intra-asiatiques, l’urbanisation de l’Inde, et la propagation des services financiers dans de plus grands segments de la population. Cependant, tout cela se déroulera sur plusieurs décennies et non sur quelques années. À court terme, les facteurs sont concentrés en Chine : assouplissement progressif des restrictions imposées en raison de la COVID-19, diminution de la répression sur les plateformes Internet, et plan de redressement complet pour le secteur immobilier. Et à moyen terme, la croissance des bénéfices sera favorisée par une amélioration de la productivité attribuable à des réformes et par l’énergie verte. Bien que certains de ces facteurs ne soient pas encore en place, nous croyons qu’ensemble, ils permettront aux marchés émergents de connaître une période soutenue de croissance supérieure en dollars américains.
À court terme, il convient d’examiner les prévisions du FMI pour la croissance du PIB des marchés émergents et développés.
Au quatrième trimestre de 2021, l’écart entre les taux de croissance des bénéfices des marchés développés et ceux des marchés émergents a été le plus faible depuis 1989, mais il a commencé à s’élargir depuis, en faveur des marchés émergents. Il devrait s’élever à 3,4 points de pourcentage d’ici la fin de 2023, selon les prévisions du FMI et d’Oxford Economics, alors qu’il n’y avait presque aucune différence à la fin de 2021. Selon les données historiques, un contexte dans lequel les marchés émergents croissent à un rythme supérieur de trois points de pourcentage à celui des marchés développés se traduit habituellement par des rendements supérieurs pour les marchés émergents. Si les prévisions de croissance du PIB réel du FMI se révèlent exactes, un écart de 3,4 % se solderait par une amélioration du rendement relatif des actions des marchés émergents.
Dans le contexte du cycle de resserrement monétaire mondial, il importe d’examiner la différence entre les taux d’intérêt réels des marchés émergents et développés. Nombre de marchés émergents ont des réserves de change et des excédents de compte courant beaucoup plus élevés que lors des cycles de resserrement précédents de la Réserve fédérale américaine (Fed). Il est donc logique que les banques centrales des marchés émergents puissent suspendre les hausses de taux tandis que la Fed continue son resserrement. À l’exception de la Chine, les marchés émergents ont maintenu les taux d’intérêt réels à un niveau qui est de quatre points de pourcentage supérieur à celui des marchés développés, en fonction de leur moyenne pondérée.
Lorsqu’on examine les bénéfices des marchés émergents, il est important de penser aux rendements des capitaux propres et aux marges bénéficiaires. La création de valeur, définie comme le rendement des capitaux propres diminué de leur coût, stimule le rendement relatif des marchés émergents à long terme. Cette mesure a chuté au cours des deux dernières années dans le cas des marchés émergents, puisque le recul des bénéfices a commencé plus tôt que dans les marchés développés. Toutefois, nous nous attendons à ce que ces comparaisons se stabilisent, et le consensus veut qu’elles s’amélioreront en 2023 et en 2024 au point où il y aura un écart de trois points de pourcentage en faveur des marchés émergents.
Les perspectives de croissance relative des marchés émergents comportent trois risques. Le premier, c’est que la façon dont les investisseurs ont envisagé la croissance économique dans les 20 dernières années pourrait ne plus s’appliquer dans un monde caractérisé par une inflation plus forte et des taux d’intérêt plus élevés. Cela dit, les rendements des capitaux propres des marchés émergents sont nettement plus élevés que dans les années 1980, alors que l’inflation et les taux d’intérêt étaient aussi élevés qu’ils le sont aujourd’hui. Les modèles d’affaires de nombreuses sociétés des marchés émergents sont plus robustes et mieux gérés qu’à l’époque. En général, les sociétés des marchés émergents ont une portée plus grande et des avantages concurrentiels plus solides.
MSCI Marchés émergents : niveau d’équilibre
Valorisations et bénéfices normalisés
Le deuxième risque est la Chine. Il faut se demander si son ralentissement de croissance pourrait se transformer en un ralentissement structurel plus près de celui qu’a connu le Japon après 1990 que d’un ralentissement cyclique typique. La croissance du PIB chinois a ralenti de façon assez marquée cette année. Il s’agit d’un facteur de risque, puisque la Chine est le plus grand partenaire commercial de la plupart des marchés émergents et un important moteur de croissance mondiale. Ensemble, les politiques zéro-COVID prolongées et les répercussions de la crise de l’immobilier pourraient avoir un effet négatif important non seulement sur les autres marchés émergents, mais aussi sur l’expansion mondiale.
Le troisième et dernier risque à prendre en compte est l’intensification des tensions géopolitiques. Taïwan et la guerre entre la Russie et l’Ukraine ne sont que deux exemples. Taïwan et la Corée du Sud font partie des marchés émergents qui dépendent le plus du commerce avec l’Europe, où les prix élevés de l’énergie menacent d’aggraver la récession de l’an prochain en raison du conflit russo-ukrainien ayant commencé il y a 10 mois. De plus, la position militaire de la Chine à l’égard de Taïwan, de même que l’incidence négative du différend sur les relations entre la Chine et les États-Unis, sont en partie responsables de la baisse des valorisations des actions chinoises et taïwanaises cette année. Le deuxième facteur de risque est évidemment bien plus difficile à quantifier.
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