Des fissures sont apparues dans le système financier, et les investisseurs craignent que les tensions du système bancaire soient de mauvais augure pour l’ensemble de l’économie. Les problèmes ont commencé il y a plusieurs semaines, lorsque les pertes sur les placements à revenu fixe de Silicon Valley Bank (SVB) ont déclenché une fuite des dépôts et soulevé des inquiétudes quant à la santé des autres banques régionales. Les regards se sont alors tournés vers l’Europe, où les doutes sur la santé de Credit Suisse ont attisé la volatilité du marché financier. Les craintes des investisseurs se sont quelque peu apaisées lorsque les autorités suisses ont forcé UBS à racheter Credit Suisse, en même temps que les banques centrales intervenaient pour fournir une liquidité abondante aux banques et aux déposants. Bien que les problèmes les plus urgents aient été réglés, la pression exercée sur le système financier nous incite à anticiper une plus grande faiblesse économique. Le contexte macroéconomique nous paraît encore plus incertain qu’avant, et les événements des dernières semaines nous rappellent que les hausses de taux massives de l’année dernière auront un effet à retardement susceptible de ralentir l’économie dans l’année à venir. À notre avis, la prudence reste de mise. Nous continuons de penser que les économies des pays développés plongeront dans la récession au cours de la prochaine année. Nos attentes de croissance et d’inflation demeurent inférieures aux prévisions générales (figures 1 et 2).
Figure 1: PIB réel moyen pondéré selon les prévisions générales
Estimations de croissance des principaux pays développés
Figure 2: IPC moyen pondéré selon les prévisions générales
Estimations d’inflation pour les principaux pays de l’OCDE
Les décideurs fournissent une liquidité abondante
L’un des principaux facteurs de tension sur le système financier a été le déclin de la valeur des titres d’État à revenu fixe – souvent considérés comme les plus sûrs – dans le sillage de la rapide hausse des taux d’intérêt. Les banques américaines sont aux prises avec près de 700 milliards de dollars de pertes de placement latentes. Même si les titres du Trésor achetés à des taux plus bas rapporteront toujours leur pleine valeur à l’échéance, toute vente forcée d’obligations avant leur échéance, dans un contexte de taux d’intérêt plus élevés, aurait pour effet de cristalliser les pertes (figure 3). Si les actifs en question ont été affectés à des dépôts, cela représente une menace au cas où les déposants décideraient soudainement de retirer leur argent en grande quantité, comme dans les jours qui ont précédé l’effondrement de SVB.
Afin d’éviter que l’effondrement de SVB ait un effet de ricochet sur l’ensemble des marchés financiers, la Réserve fédérale américaine (Fed) a pris l’initiative de fournir autant de liquidité que nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du système financier. La Fed a ouvert une facilité de crédit d’urgence permettant aux banques d’emprunter jusqu’à la valeur nominale de leurs obligations, au lieu de leur valeur de marché actuellement déprimée. Cette facilité a été utilisée à hauteur de 300 milliards de dollars au cours des deux dernières semaines, soit plus du double du montant tiré au début de la crise COVID-19, et les trois quarts de ce qui a été utilisé pendant la crise financière de 2008 (figure 4). Apparemment, cette facilité de crédit est parvenue à satisfaire la demande de liquidité immédiate, ce qui est essentiel pour maintenir la confiance des investisseurs, des particuliers et des entreprises quant au fait que leur épargne ou leur fonds de roulement est en sécurité et toujours accessible. La Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne (BCE) ont également exprimé leur volonté de fournir de la liquidité aux banques européennes, tandis que la secrétaire au Trésor des États-Unis, Janet Yellen, a laissé entendre que le gouvernement pourrait soutenir les dépôts non garantis si le besoin se faisait sentir.
L’inflation demeure insoutenable
Une liquidité abondante a été déployée pour apaiser les tensions du système financier, mais les banques centrales ont fait savoir qu’elles ne perdaient pas de vue leur lutte contre l’inflation. L’inflation continue de galoper à un rythme inacceptable qui représente de deux à trois fois la cible de 2 % de la Fed (figure 5), selon la mesure prise en compte. En outre, la résilience du marché du travail est impressionnante, ce qui suggère que la demande pourrait rester élevée et que les pressions sur les prix seront plus difficiles à réprimer. Le taux de chômage américain demeure près de son niveau le plus bas de l’histoire et bien que la croissance de l’emploi ait ralenti au cours de la dernière année, sur une base mensuelle les créations d’emplois se sont accélérées au cours des trois derniers mois (figures 6 et 7). Compte tenu de la vigueur du marché du travail et du fait que l’inflation demeure élevée, le risque est que les banques centrales assouplissent leurs politiques trop tôt et, ce faisant, échouent à ramener l’inflation à sa cible dans un délai raisonnable.
Figure 3: Gains (pertes) non réalisés sur les placements en titres
Figure 4: Total des prêts accordés par la Réserve fédérale
Figure 5: Mesures de l’inflation aux États-Unis
Figure 6: Taux de chômage aux États-Unis
Moyenne mobile de 3 mois
Figure 7: Marché de l’emploi aux États-Unis
Les banques centrales multiplient les hausses de taux, et le cycle de resserrement tire à sa fin
Les banques centrales ont continué de relever les taux d’intérêt comme elles l’avaient prévu. Cependant, les investisseurs sont sceptiques quant à la nécessité de poursuivre le resserrement, et ils s’attendent même à des baisses de taux à court terme. La semaine dernière, la BCE a haussé les taux d’intérêt de 50 points de base, et la Banque d’Angleterre et la Fed ont chacune procédé à des hausses de 25 points de base. Ces initiatives ont fait grimper les taux d’intérêt à court terme à leur plus haut niveau en 15 ans (figure 8). Toutefois, les taux d’intérêt pourraient approcher du sommet de ce cycle, d’autant plus que les tensions liées à SVB dans le système bancaire induiront une surveillance réglementaire accrue avec un effet similaire à celui d’un resserrement monétaire (figure 9). Powell a reconnu que les récents événements liés à SVB pourraient avoir des retombées équivalentes à une certaine hausse des taux, mais il n’a pas mis de chiffres sur cette déclaration. Cela dit, des hypothèses circulent sur le marché. Dans la semaine qui a suivi l’effondrement de SVB, les attentes relatives au taux des fonds fédéraux ont ainsi cédé 150 points de base pour l’année à venir (figure 10). C’est-à-dire que le taux des fonds fédéraux est déjà au plus haut, de l’avis des investisseurs, lesquels attendent une réduction des taux d’intérêt d’ici l’été.
Figure 8: Taux d’intérêt à court terme
Taux directeurs des banques centrales
Figure 9: Sondage sur les pratiques de crédit bancaire auprès des premiers agents des prêts
Agents des prêts signalant un resserrement des normes de crédit
Figure 10: Taux implicite des fonds fédéraux
Contrats à terme sur 12 mois
Les rendements obligataires sont plombés par l’aversion pour le risque, et une baisse des taux se profile
Les obligations d’État ont vu s’écrouler leurs rendements en mars, en particulier dans la partie à court terme de la courbe, en raison d’une baisse de la confiance dans la capacité des banques centrales à relever les taux face au ralentissement de la croissance et à l’incertitude accrue. Le taux des obligations américaines à 10 ans a chuté à 3,37 %, alors qu’il était de 4,05 % au début du mois. Notre modèle d’équilibre laisse entendre que les rendements pourraient encore baisser si l’inflation continuait de fléchir comme nous le pensons (figure 11). En outre, la volatilité des rendements a été extrême. Le taux des obligations du Trésor à 2 ans a chuté à 3,79 %, alors qu’il était de 5,07 % au début de mars, avec de brutales variations intrajournalières de plus de 50 points de base depuis l’effondrement de SVB (figure 12). Par conséquent, la courbe de rendement a connu une accentuation haussière, c’est-à-dire que les rendements à court terme ont chuté plus rapidement que ceux des obligations à long terme. En général, un tel phénomène se produit lorsque les investisseurs prévoient une récession et des baisses de taux imminentes (figure 13).
Figure 11: Taux des obligations du Trésor américain à 10 ans
Fourchette d’équilibre
Figure 12: Taux de l’obligation américaine à 2 ans
Graphique en chandeliers quotidien
Figure 13: Courbe de rendement des effets du Trésor
américain
Écart de taux entre titre à 10 ans et titre à 2 ans
Les signes de tensions demeurent ponctuels sur les marchés du crédit
Malgré les difficultés du secteur bancaire, les signes de tensions qui se manifestent sur les marchés du crédit semblent bénins et ponctuels, uniquement visibles dans les sociétés confrontées à des problèmes qui leur sont propres. Les écarts sur les obligations américaines à rendement élevé se sont légèrement creusés, mais ils demeurent inférieurs à leur moyenne à long terme, ce qui laisse penser que les investisseurs ne s’inquiètent pas trop de la capacité des sociétés à rembourser leurs dettes (figure 14). En Europe, les comportements n’ont pas été aussi calmes sur les marchés du crédit. Cela dit, les tensions se sont plutôt concentrées sur Credit Suisse. Le 16 mars, le coût de l’assurance contre un éventuel défaut de paiement de Credit Suisse s’est envolé, comme en témoignent les écarts des swaps sur défaillance de crédit, pour atteindre plus du quadruple des sommets observés pendant la crise financière mondiale puis pendant la crise de la dette européenne deux ans plus tard (figure 15). Face à la multiplication des demandes de retraits de dépôts qui ont frappé Credit Suisse, et compte tenu de l’importance de cette banque dans le système financier mondial, la Banque nationale suisse a déployé des liquidités d’urgence de plus de 50 milliards de dollars américains en faveur de Credit Suisse, ce qui a conduit au rachat de la banque par UBS.
En vertu de l’accord de rachat conclu avec UBS, les actionnaires de Credit Suisse ont reçu 3,2 milliards de dollars environ. En revanche, les porteurs d’obligations à conversion conditionnelle (« CoCo ») de Credit Suisse, dont les placements étaient estimés à 17 milliards de dollars, ont vu la valeur de leurs titres ramenée à zéro, ce qui a attisé des inquiétudes quant au risque associé à ces instruments nés de la crise financière de 2008 et devenus populaires en tant qu’outils de mobilisation de capitaux. Aussi appelées obligations additionnelles de catégorie 1, les obligations CoCo sont des titres à revenu fixe qui peuvent être convertis en actions, ou, dans le cas des banques suisses exclusivement, peuvent être annulés afin de renflouer les bilans des banques si leurs ratios de fonds propres tombent en dessous de seuils clés.
L’annulation de cette dette a suscité de grandes préoccupations à l’égard du marché des obligations additionnelles de catégorie 1, qui représente 275 milliards de dollars. En effet, les porteurs d’obligations additionnelles de catégorie 1 de Credit Suisse n’ont rien reçu dans le cadre du rachat par UBS, tandis que les actionnaires ont reçu une certaine compensation (figure 16). Or, une telle affectation des fonds propres contredit le principe selon lequel, en situation de crise, les investisseurs en titres de créance devraient avoir priorité sur les actionnaires. Néanmoins, la BCE et la Banque d’Angleterre ont réitéré que cette annulation intégrale des obligations additionnelles de catégorie 1 relevait d’une exception, en raison d’une clause particulière à la Suisse dûment précisée dans le prospectus de Credit Suisse. Les décideurs de ces territoires ont rassuré les investisseurs en confirmant que les porteurs d’obligations additionnelles de catégorie 1 étaient prioritaires par rapport aux actionnaires. Ce message a entraîné un regain de confiance, accompagné d’un rebond des obligations additionnelles de catégorie 1 et des actifs à risque de façon générale.
“Les prévisions de bénéfices du S&P 500 ont fléchi d’un mois à l’autre, et à présent les analystes attendent une croissance nulle des bénéfices en 2023 par rapport à 2022.”
Figure 14: Écart de taux des obligations à rendement élevé
Figure 15: Courtiers principaux européens
Écarts des swaps sur défaillance de crédit à 5 ans
Figure 16: Prix des obligations additionnelles de catégorie 1 des banques européennes
La volatilité des actions s’est envolée, mais les principaux indices ont bien résisté
Les marchés boursiers ont affiché une forte volatilité à la suite des problèmes rencontrés par SVB, mais les principaux indices ont bien résisté et sont restés plutôt stationnaires au cours du dernier mois. Depuis le début du mois de mars, le S&P 500 est stable, le MSCI EAEO est en hausse de 1 % et le NASDAQ, fortement axé sur la technologie, a gagné 3 % (figure 17). Les actions des marchés émergents se sont repliées de 2 % et le TSX, fortement pondéré dans la finance, a tiré de l’arrière avec une perte de 4 % depuis début mars. Cette résilience des principaux indices suggère que les tensions des marchés ont été confinées au groupe des actions les plus touchées par les difficultés financières. De plus, selon nos modèles, les actions mondiales demeurent raisonnablement évaluées et dans les régions autres que les États-Unis, elles se négocient à des prix particulièrement intéressants par rapport à leur juste valeur (figures 18 et 19).
Figure 17: Principaux indices boursiers
Indices de l’appréciation cumulative des titres en USD
Figure 18: Point d’équilibre de l’indice S&P 500
Bénéfices et valorisations normalisés
Figure 19: Indice composite des marchés boursiers mondiaux
Indices des marchés boursiers par rapport au point d’équilibre
Figure 20: Vigueur relative
Indice Philadelphia Bank (KBW) par rapport au S&P 500
De grands changements se produisent sur les marchés boursiers, même s’ils passent inaperçus
Bien que les actions aient tenu le coup à l’échelle des indices, nous avons noté des changements importants, quoique discrets. Bon nombre des thèmes positifs qui avaient émergé depuis la fin de 2022 se trouvent au point mort, ou se sont inversés. Parmi les secteurs, la finance a enregistré un rendement nettement inférieur, avec une chute de l’indice KBW Bank de 28 % en mars, et sa force relative par rapport au S&P 500 a décliné au plus bas niveau jamais enregistré (figure 20). Les styles de placement ont également connu des changements importants. Les actions de valeur, qui ont dominé le marché la majeure partie de l’année dernière en raison de la hausse des taux d’intérêt, tirent de l’arrière depuis le début de 2023 et plus particulièrement depuis le mois dernier (figure 21). Les actions de sociétés à petite capitalisation ont également perdu beaucoup de terrain par rapport à celles des sociétés à grande capitalisation, comme en témoigne l’indice S&P 500 équipondéré qui a perdu tous ses gains par rapport à l’indice S&P 500 pondéré en fonction des capitalisations boursières depuis le début de 2022 (figure 22). Ces changements de tendance pourraient indiquer que les investisseurs choisissent une position défensive en privilégiant les actions de croissance de sociétés à grande capitalisation, lesquelles ont tendance à mieux résister en cas de ralentissement de la croissance économique.
Les bénéfices des sociétés pourraient se dégrader
L’une des raisons pour lesquelles nous pensons qu’une hausse des actions est peu probable à court terme est que les prévisions de bénéfices des sociétés se sont détériorées, et pourraient encore s’aggraver. Les prévisions de bénéfices du S&P 500 ont fléchi d’un mois à l’autre, et à présent les analystes attendent une croissance nulle des bénéfices en 2023 par rapport à 2022 (figure 23). À notre avis, ces estimations ne reflètent toujours pas la forte probabilité d’une récession. Les prévisions de bénéfices sont donc susceptibles d’être abaissées, surtout si nous tenons compte des problèmes apparus dans le système bancaire.
Figure 21: Rendement des titres de croissance par rapport aux titres de valeur
Indice S&P 500 Value/indice S&P 500 Growth
Figure 22: Ampleur de l’indice S&P 500
Indice équipondéré c. indice pondéré en fonction de la capitalisation boursière
Figure 23: Estimations des bénéfices de l’indice S&P 500
Estimations générales des bénéfices
Composition de l’actif : annulation de la surpondération des actions et passage à une répartition neutre
Les perspectives sont de plus en plus incertaines, et l’éventail des résultats possibles s’est élargi. De nombreuses décisions prises dans le contexte des faibles taux d’intérêt qui ont persisté après la crise financière sont aujourd’hui remises en question face à l’augmentation rapide et soudaine des taux d’intérêt au cours de l’année écoulée. Nous nous attendions à ce que l’économie ralentisse, mais les récentes difficultés du secteur bancaire renforcent notre conviction qu’une récession se profile. Dans ce contexte, nous pensons que les banques centrales ralentiront le rythme des hausses de taux, et qu’elles pourraient même passer à un assouplissement au cours de l’année à venir. Aujourd’hui, les rendements élevés des titres à revenu fixe rendent les obligations plus attrayantes qu’elles ne l’ont été depuis de nombreuses années. Par conséquent, nous avons progressivement augmenté nos placements en titres à revenu fixe, et notre sous-pondération des obligations est moins importante qu’auparavant. Bien que nous attendions toujours un rendement supérieur des actions à long terme, nous reconnaissons que les prévisions de bénéfices des sociétés sont sensibles à un éventuel ralentissement de l’économie, et que cela pourrait faire baisser les prix des actions à court terme. Nous avons réduit le risque associé à notre composition de l’actif au cours des derniers trimestres. Ce mois-ci, nous avons décidé de réduire notre pondération en actions de 100 points de base de plus, ce qui a éliminé notre surpondération des actions, et d’affecter la moitié du produit aux obligations et l’autre moitié aux liquidités. À la suite de ce changement, notre composition de l’actif est entièrement conforme à la pondération neutre stratégique de la société. Nos recommandations actuelles de répartition de l’actif d’un portefeuille équilibré mondial sont les suivantes : 60 % en actions (pondération stratégique « neutre » de 60 %), 38 % en obligations (pondération stratégique « neutre » de 38 %) et 2 % en liquidités (figure 24).
Figure 24: Composition d’actifs recommandée
Comité des stratégies de placement RBC GMA