Dans cet épisode, Marcello Montanari, premier directeur général et premier gestionnaire de portefeuille, Actions nord-américaines, et Rob Cavallo, premier gestionnaire de portefeuille, Actions nord-américaines, se penchent sur les inquiétudes croissantes selon lesquelles le secteur technologique pourrait être en pleine bulle alimentée par l’IA, rappelant l’époque de la bulle technologique. Ils analysent les conditions actuelles du marché en les comparant aux cycles historiques, identifient les facteurs clés de l’élan actuel et partagent leurs perspectives sur les occasions et les risques auxquels les investisseurs pourraient être confrontés.
(En anglais seulement)
Durée : 24 minutes, 58 secondes
Transcription
Jordan Wong :
Bonjour à tous et à nouveau bienvenue à Parlons technologie. Mon nom est Jordan Wong. Je suis analyste de portefeuille au sein du groupe Services-conseils en produits de placements, RBC GMA. Et, comme toujours, je suis accompagné de Marcello Montanari et de Rob Cavallo, qui sont tous deux gestionnaires de portefeuille au sein de notre équipe Actions nord-américaines basée à Toronto, en plus d’être responsables de stratégies comme le Fonds de sciences biologiques et de technologie RBC et le Fonds mondial de technologie RBC, ainsi que d’un certain nombre d’autres stratégies de placements axées sur la croissance. Si vous ne connaissez pas déjà notre balado, nous avons pour habitude de nous réunir une fois par mois pour discuter de tout ce qui touche à la technologie et aux soins de santé, des secteurs très innovants, dynamiques et en constante évolution. Nous estimons qu’il s’agit là d’un excellent moyen de vous tenir au courant et de demeurer informés de ce qui se passe dans ces secteurs.
Marcello et Rob, permettez-moi de vous souhaiter de nouveau la bienvenue.
Alors, c’est assez drôle, n’est-ce pas ? Comme vous le savez, nous avons déjà parlé un peu de cela, mais nous nous étions dit que nous nous retrouverions éventuellement dans une situation où le moment serait bien choisi pour nous demander si nous sommes dans une bulle technologique alimentée par l’IA similaire à celle des sociétés point-com de la fin des années 90 et du début des années 2000. C’est sur ce sujet que j’aimerais que porte principalement l’épisode d’aujourd’hui. Bien évidemment, si nous avons le temps à la fin, je pense qu’il serait intéressant de parler du récent accord d’exclusivité anticoncurrentiel conclu entre les sociétés Apple et Google et de ses répercussions pour ces deux entreprises. Mais peut-être pourrions-nous commencer par ce sujet lié à la bulle de l’IA. En effet, des investisseurs, des économistes et des hommes d’affaires, en nombre sans cesse croissant, font valoir que nous entrons peut-être dans une bulle liée aux technologies. Si je me fie à ce que je lis à gauche et à droite, je pense qu’il y a beaucoup de comparaisons qui peuvent être établies avec la bulle des sociétés point-com pour ce qui est des valorisations très élevées et de la forte concentration du marché dans les 10 principaux titres de l’indice S&P 500. En parallèle, nous constatons un formidable mouvement en matière de dépenses en immobilisations. Nous assistons également à une croissance des revenus et des bénéfices qui dépasse de loin celle dont nous avons été témoins lors de la bulle des sociétés point-com. Pour commencer, peut-être pourriez-vous nous expliquer votre point de vue et nous exposer votre opinion quant à la situation où nous nous retrouvons actuellement, qui consiste à déterminer si nous vivons ou non une bulle, quels sont certains des facteurs dont vous tenez compte, en plus de voir si vous pouvez comparer la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui à celle qui prévalait au début des années 2000. Je pense que cela nous aiderait à mieux comprendre la situation qui est actuellement la nôtre.
Marcello Montanari :
Merci de nous accueillir. Peut-être pourrais-je commencer. Allons-nous vraiment nous pencher sur ce sujet aujourd’hui ? Je veux dire en date d’aujourd’hui, puisque je suppose que notre discussion sera publiée plus tard. Nous sommes aujourd’hui le 10 septembre, n’est-ce pas ? Hier soir, la société Oracle a annoncé avoir signé des contrats d’une valeur totale de 455 milliards de dollars. J’ai bien parlé de milliards. Quant à elle, la société Microsoft vient de signer un accord avec une petite entreprise apparentée à l’infonuagique appelée Nebius, cet accord étant d’une valeur de 10 milliards de dollars. Si je ne me trompe pas, TSMC vient de publier des chiffres mensuels plutôt intéressants, à moins que je ne me trompe, Rob.
Il semble donc que le secteur de la technologie veuille poursuivre sur sa lancée. Je sais que Sam Altman a déclaré, lors d’une émission d’information, qu’il pensait que nous nous retrouvions peut-être dans une bulle. Je pense que ses propos ont été mal interprétés, comme s’il avait dit que nous étions vraiment dans une bulle. Plus tard, il a eu l’occasion de revenir sur le sujet et de formuler un certain nombre de commentaires visant à clarifier les choses, en affirmant qu’il pensait davantage à l’exubérance des marchés, aspect qui, bien évidemment, est important pour nous. Cependant, lorsqu’il est revenu sur le sujet, il a affirmé que le secteur des technologies ne se retrouvait pas en tant que tel dans une bulle. Il estimait que ce que nous vivions actuellement constituait probablement la chose la plus importante qui ait pu arriver au cours de son existence sur le plan technologique. Manifestement, la situation que nous vivons est comparable, voire plus importante encore, à celle qui correspond au développement des semi-conducteurs, d’Internet et de la téléphonie mobile, si ce n’est, comme je viens de le dire, encore plus importante que ces transformations.
J’ai connu la première bulle technologique d’Internet, et je peux affirmer que celle-ci est très différente. Pour en revenir au point soulevé par Altman, je ne pense pas que la technologie en soi se retrouve dans une situation de bulle. Nous observons cependant une certaine exubérance. En effet, les technologies constituent une indéniable réalité et elles n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Peut-être leur utilisation semble-t-elle exploser. À titre d’exemple, lors de leur dernière conférence téléphonique, Sundar Pichai, de la société Google, a mentionné – il faut savoir que l’utilisation est mesurée en fonction du nombre de jetons traités – qu’en mai, Google avait utilisé 480 mille milliards de jetons et, qu’à la fin du mois de juillet, ce chiffre avait atteint les 980 mille milliards de jetons par mois. La croissance est donc manifeste.
Si vous suivez le secteur et que vous écoutez les personnes qui y sont activement impliquées, chaque fois que de la capacité devient disponible, elle est consommée. Cette utilisation propulse bien évidemment les dépenses en immobilisations. Je suis sûr que Rob aura des choses à dire à ce sujet, mais les dépenses en immobilisations augmentent d’un trimestre à l’autre. Oracle a annoncé hier soir avoir augmenté ses dépenses en immobilisations d’au moins 7 ou 8 milliards de dollars cette année. Ce que nous observons donc sur le plan des dépenses en immobilisations constitue indéniablement une réalité.
Ce qui distingue cette période de celle de la bulle technologique de l’an 2000 tient au fait que ces dépenses en immobilisations sont engagées par des entreprises qui génèrent des revenus réels. Il est ici question des plus grandes entreprises du monde qui génèrent des revenus, des bénéfices et des flux de trésorerie réels. Ce sont elles qui sont les principaux vecteurs de ce phénomène, à tout le moins pour le moment. Et cette réalité contraste avec celle qui était associée à la bulle de l’an 2000, alors que de nombreuses nouvelles entreprises étaient financées par les marchés, mais qu’elles ne s’appuyaient pas en soi sur des activités fonctionnant de manière parfaitement autonome. Aujourd’hui, le financement est entre de très bonnes mains. Pour ma part, j’estime que nous n’en sommes encore qu’au début de ce phénomène. Je ne perçois aucun indice permettant de croire que la situation est appelée à changer, mais peut-être Rob sera-t-il en mesure de nous faire part de son point de vue éclairé à cet égard.
En ce qui concerne la question des valorisations, puisque j’ai moi-même connu la bulle de l’an 2000, je dois dire que la situation qui prévaut aujourd’hui est très différente. Manifestement, les valorisations sont en train d’être étirées dans certains domaines. Mais avant d’aborder ce sujet, permettez-moi d’en évoquer un autre. Lorsque nous parlons de bulle ou d’exubérance, dans un nouvel écosystème, ce qui a tendance à se produire est un processus que Michael Mauboussin qualifie de « fill and kill ». En fait, se produit en quelque sorte un phénomène de spéciation alors que toutes ces entreprises (ou que ces espèces) se manifestent et affirment haut et fort qu’elles sont actives dans le domaine de l’IA. Mais plusieurs d’entre elles ne sont en vérité que des prétendants. En effet, si elles ne joueront pas un rôle significatif, elles souhaitent néanmoins profiter de cette période d’exubérance, être reconnues comme des joueurs dans le domaine de l’IA et, ce faisant, attirer des capitaux. Il arrive même que certains de ces titres deviennent des actions-mèmes et connaissent de fortes embellies.
Je tiens à opérer une distinction en la matière. Tel n’est absolument pas un jeu auquel nous nous attardons. Nous mettons plutôt l’accent sur les grands noms dont nous estimons qu’ils ont vraiment leur place dans ce cycle technologique. À l’évidence, ces cycles aux cours desquelles des entreprises se manifestent avant éventuellement de disparaître donneront lieu à un élagage… Car le marché n’appuiera pas tous ces acteurs. Si l’on se pose donc la question de savoir si prend forme une bulle en périphérie de cet écosystème, je répondrais que c’est probablement le cas. Cependant, en ce qui concerne les acteurs les plus importants du domaine, j’entends par là les principaux intervenants, je pense que ne se pose encore aucun problème.
Revenons maintenant à la question des valorisations. Je n’ai pas vraiment examiné celles de certains de ces acteurs de second rang puisque, pour moi, elles sont tout simplement injustifiables. Et probablement absurdes. Cependant, pour les noms qui nous intéressent principalement, si les valorisations ont peut-être un peu augmenté, elles ne sont pas pour autant parfaitement injustifiées. Elles ne ressemblent certainement pas à celles qui ont caractérisé la bulle technologique de 2000. En effet, elles se fondent sur des indicateurs réels, sur des bénéfices réels, sur des flux de trésorerie réels, ainsi que sur d’authentiques BAIIA. Peut-être que, dans le cas des entreprises plus jeunes, ces valorisations sont-elles uniquement fondées sur le chiffre d’affaires, mais nous parlons à tout le moins ici de quelque chose de bien tangible.
Alors qu’à l’époque de la bulle de l’an 2000, les entreprises étaient évaluées sur la base de critères comme le prix par ingénieur, le prix par immobilisations corporelles, le prix par kilomètre de fibre optique, voire le prix par page consultée. Tous ces paramètres de mesure absurdes n’avaient absolument aucun sens. Aujourd’hui, la situation qui prévaut est tout à fait différente.
Peut-être en resterai-je là pour l’instant sur la question des valorisations. Je ne doute pas que Rob aura quelques commentaires intéressants à ajouter à ce propos.
Jordan Wong :
Pardonnez-moi, mais avant de céder la parole à Rob, vous avez tantôt parlé des dépenses en immobilisations. Y a-t-il des inquiétudes en ce qui concerne le rendement du capital investi (RCI) et les dépenses en immobilisations ? Nous avons appris que les dépenses en immobilisations avoisinaient les 600 milliards de dollars. Les revenus liés à l’IA ne représentent encore qu’une très petite fraction de ce montant. S’agit-il là de quelque chose qui, à votre avis, devrait générer des dividendes à l’avenir ?
Marcello Montanari :
Dans l’ensemble, disons que certaines entreprises ont déjà recours à l’IA et à l’apprentissage automatique pour améliorer leurs opérations. Nous parlons ici des suspects habituels, c’est-à-dire les entreprises qui dépensent le plus. Qu’il s’agisse de Meta ou de Google, ces sociétés ont recours à l’IA pour alimenter l’ensemble de leurs algorithmes de recherche et tout ce qui permet de diffuser des annonces au moment opportun et à la bonne personne. Tout cela est alimenté par l’IA et l’apprentissage automatique. Ces entreprises commencent déjà à constater les résultats de cette approche.
Les sociétés Microsoft et AWS tirent également parti de l’IA. Par exemple, AWS d’Amazon y a recours pour offrir des services, et elle a commencé à observer une inflexion à la hausse de ses revenus au cours du dernier trimestre. Pour certaines de ces entreprises, les dépenses sont assez importantes et le coût d’élaboration de ces modèles, notamment ceux qui sont plus à la pointe de la technologie, a été assez élevé.
Il importe de noter que tout cela prend du temps. Si vous édifiez un barrage pour produire de l’électricité, vous ne pouvez espérer un RCI avant que le barrage ne soit pleinement opérationnel. J’aime faire une analogie avec ce genre de situations. Dans bien des cas, il s’agit d’un scénario du type « construisez-le maintenant et ils viendront ». Si je n’aime pas du tout employer cette expression, il n’en reste pas moins que l’on s’attend à ce que des entreprises se développent à terme grâce à cette technologie.
Il serait donc un peu déplacé d’espérer dès aujourd’hui un RCI du fait de bon nombre de ces efforts.
Jordan Wong :
Très bien. Parfait. Et Rob, si je me tourne maintenant vers vous, et en soulevant un aspect qui est en quelque sorte lié à cette bulle de l’IA, il se trouve que vous couvrez le secteur des semi-conducteurs. Nous venons de découvrir les résultats trimestriels des sociétés Nvidia et Broadcom, soit deux acteurs clés du développement de l’infrastructure de l’IA. Ces résultats nous ont permis de tirer un certain nombre de conclusions assez importantes, dont les commentaires évoquant l’engagement de sommes comprises entre 3 000 à 4 000 milliards de dollars en dépenses en immobilisations d’ici 2030. Peut-être pourriez-vous nous faire part de ce que vous avez retenu des résultats de Nvidia et de Broadcom ?
Rob Cavallo :
Merci. Je vais répondre à cette question mais j’aimerais ajouter quelques remarques en rapport avec la question précédente portant sur la bulle. Pour replacer les choses dans leur juste contexte, il faut savoir que Sam Altman a formulé ces commentaires et que, si l’on se fie à certaines rumeurs, ils auraient en fait augmenté leur taux d’utilisation de la trésorerie de 80 milliards de dollars au cours des quatre prochaines années. Certaines prévisions évoquent un taux de combustion d’environ 35 milliards de dollars en 2027 et de 45 milliards de dollars en 2028. De sorte que ses propos ne sont pas entièrement désintéressés.
Mais je pense également qu’il est utile de tirer les leçons de l’an 2000. À l’époque furent observées une bulle technologique et une bulle des télécommunications. La bulle technologique peut être comparée à la bulle des mèmes ou du métavers de 2021-2022. Elle n’a pas eu d’énormes ramifications sur l’ensemble du marché – peut-être a-t-elle eu une incidence sur l’écosystème du capital de risque, mais non sur le marché dans son ensemble. Le problème le plus grave survenu en 2000 tenait à la bulle des télécommunications et du haut débit, qui ressemble davantage à la bulle des dépenses en immobilisations dont on parle aujourd’hui. La différence est significative.
Bien évidemment, il ne faut jamais dire jamais ; ce n’est qu’après le fait que l’on peut déterminer si une bulle est bel et bien survenue. Il faut donc prendre cela avec des pincettes. Cependant, si vous prenez le cas de la société Cisco en 2000, il s’agissait de l’entreprise phare de cette époque, cotée bien au-dessus de 100 fois ses multiples prévisionnels. En fait, le marché estimait que s’annonçait une très longue période de croissance, celle-ci ne devant poser aucun problème prévisible pour les activités de Cisco. Aujourd’hui, prenons le cas de la société Nvidia. Elle se négocie environ 40 fois les bénéfices de l’année civile 2025, et environ 27 ou 28 fois les bénéfices de l’année prochaine. Malgré cela, un important sentiment d’inquiétude concernant 2027 et les dépenses futures prévaut toujours.
Je pense que le marché s’estime satisfait de ce à quoi ressembleront les dépenses de 2026 du point de vue des dépenses en immobilisations. Cependant, pour des sociétés comme Nvidia, Broadcom et d’autres, ce sentiment d’inquiétude persiste. Les données dont nous disposons permettent de croire que, même si le taux de croissance ralentit, les dépenses absolues en dollars continuent d’augmenter. D’après ce que nous pouvons voir pour l’an prochain, et probablement pour 2027-2028, les dépenses continueront d’augmenter. Cela semble particulièrement évident lorsqu’on porte attention aux commentaires formulés par les sociétés Nvidia, Broadcom et Oracle, comme vous l’avez mentionné hier soir.
Donc, même si prévalent un sentiment d’inquiétude et différents niveaux de valorisation, il se pourrait fort bien que nous ne soyons pas en présence aujourd’hui d’une bulle. Mais s’il s’agit d’une bulle, il se pourrait fort bien que la situation devienne encore plus folle avant que nous ne traversions la première période de perturbations. Si nous nous fions sur ce que nous observons aujourd’hui pour ce qui est des cycles de produits, des commentaires des équipes de direction, et en rassemblant divers éléments d’information concernant le secteur, nous ne percevons pas encore de rupture sur le plan des dépenses pour 2026 ou 2027. Au-delà de cette échéance, il est plus difficile de voir clairement, mais, pour l’heure, aucun indice clair de rupture n’est observé dans le cycle des dépenses en immobilisations.
Par exemple, le chef de la direction de la société Broadcom vient à peine de signer un contrat prévoyant qu’il demeure en poste jusqu’à la fin de la décennie, son salaire étant entièrement lié aux revenus générés par l’IA. Cette année, Broadcom devrait générer des revenus d’environ 20 milliards de dollars, et de plus de 40 milliards de dollars en 2026. La rémunération du chef de la direction est basée sur l’objectif avoué de Broadcom d’atteindre les 90 milliards de dollars de revenus, ce qui signifierait que ses revenus auraient plus que doublé en trois exercices financiers, la fourchette supérieure se rapprochant d’un quadruplement des revenus, lesquels passeraient de 40 à 120 milliards de dollars. Et ces chiffres pourraient augmenter beaucoup plus encore avant que ne survienne un ralentissement des dépenses.
Voilà qui nous ramène à votre question portant sur le RCI. Si le profil du RCI devait être vérifié dans trois à cinq ans, ce qui serait en soi vraiment transformationnel, tant sur le plan de la réduction des coûts que de l’expansion des marchés ou de la découverte de nouveaux marchés verticaux, les dépenses pourraient se poursuivre beaucoup plus longtemps encore que plusieurs ne le pensent. Il se pourrait fort bien que les prévisions des pessimistes et des théoriciens de l’apocalypse se voient ainsi contredites.
Nous devons faire preuve de discernement et adopter une approche sélective, en évitant les domaines les plus sensibles à la concurrence ou dans lesquels il se pourrait fort bien que le profil des marges ne puisse jamais rattraper le profil des revenus. C’est à cet égard que nous essayons de nous montrer diligents et responsables. Mais, pour l’instant, nous prévoyons toujours une croissance des dépenses au moins au cours des deux prochaines années. Au-delà de cette échéance, nous devrons attendre, observer et continuer à actualiser notre interprétation de la situation.
Jordan Wong :
J’aimerais changer quelque peu le sujet. J’aimerais parler de cette décision judiciaire en matière antitrust touchant les sociétés Google et Apple. Peut-être pourriez-vous nous expliquer la décision qui a été rendue et nous en dire plus sur ce que cela signifie pour ces deux entreprises depuis lors. Comme vous le savez, les deux titres ont grimpé en flèche. Google a poursuivi sa tendance à la hausse. Pour sa part, le titre d’Apple a quelque peu reculé. Que se passe-t-il donc entre ces deux entreprises et quel est votre sentiment à l’égard de cette décision ?
Marcello Montanari :
En fait, nous en sommes plutôt ici à l’étape du recours. En effet, une décision établissant que Google exerçait une sorte de monopole avait déjà été rendue. Nous en étions donc à l’étape du recours, et vous pouvez observer le cours des titres pour déterminer comment cette décision a été interprétée. En substance, comme l’a dit quelqu’un, on s’attendait à ce que cet événement permette de clarifier les choses. En effet, étaient envisagées certaines conséquences assez draconiennes dans un contexte d’incertitude qui donnait à réfléchir à certains. En définitive, la sentence a été interprétée comme relevant plutôt d’une simple tape sur les doigts. Et quelqu’un a d’ailleurs estimé qu’il s’agissait d’« une tape sur les doigts assénée avec une plume ».
En résumé, Google n’est pas obligée de vendre Chrome ou de se séparer d’Android. Apple est autorisée à vendre l’accès par le truchement de son système d’exploitation, bien que la durée des contrats ait été ramenée à des périodes d’un an. Pour l’heure, il semblerait que Google continuera à conserver cette position. De ce fait, un obstacle important a été dissipé pour l’ensemble du secteur.
Dans le cas de la société Apple, si l’on se tourne vers l’avenir, elle se retrouve probablement en bonne position. Il se pourrait qu’elle exerce éventuellement son influence pour négocier de meilleures conditions avec d’autres détenteurs de moteurs de recherche, qu’il s’agisse de Google ou d’autres acteurs. Cependant, il s’agirait plutôt ici d’un effet secondaire. Pour le moment, je ne pense pas que quiconque soit en mesure de supplanter Google. Les sommes versées par Google à Apple sont tout simplement trop importantes. Bien que je puisse bien évidemment me tromper, je ne vois personne qui serait en mesure de les détrôner à court terme.
Comme je l’ai dit à d’autres, il existe une différence entre le fait de vouloir s’emparer de ce marché et en avoir vraiment les moyens. Google dispose de toute l’infrastructure nécessaire pour gérer ce trafic et le traiter. À mesure que l’IA s’intègre davantage, les besoins en matière de traitement ne font qu’augmenter. C’est probablement pour cette raison, comme je l’ai évoqué plus tôt, que le nombre de jetons chez Google explose. Peu d’acteurs sont en mesure de gérer ce type de risques et de prendre en charge une telle échelle. Nous verrons comment la situation évoluera, mais Apple conserve pour l’instant son statut de contrôleur et peut facturer ces services. Pour sa part, Google continuera à proposer des contrats renouvelables d’un an. Bien qu’elle puisse être éventuellement détrônée, une telle issue ne semble pas imminente.
Ce qui semble plus intéressant, ce sont les effets secondaires de cette situation. En effet, d’autres acteurs entreprendront vraisemblablement de se repositionner dans ce nouvel environnement. À titre d’exemple, il semble probable qu’OpenAI finisse par lancer une stratégie basée sur la publicité. Cette entreprise a clairement besoin de plus de revenus et les secteurs que sont la recherche et la publicité constituent des cibles toutes naturelles. OpenAI a récemment embauché une personne qui assumait des fonctions clé chez Google, ce qui permet de croire que quelque chose se trame vraisemblablement. Voilà qui pourrait constituer une mauvaise nouvelle pour Google à l’avenir.
Entre-temps, d’autres acteurs, tels que Bing, OpenAI et Anthropic, sont tous susceptibles de se repositionner dans ce nouvel environnement en pleine mutation. Il se pourrait fort bien que Google perde éventuellement une partie de sa position auprès d’Apple. Cependant, un récent article publié par Bloomberg laissait entrevoir le fait qu’Apple et Google discutent d’une éventuelle collaboration, qui pourrait peut-être même impliquer Gemini. Bien que le produit puisse à terme ne pas être appelé Gemini, l’idée est que Google pourrait devenir le moteur d’IA d’Apple. Cela s’explique du fait que les efforts d’Apple en matière d’IA semblent vaciller, être entachés de controverses et offrir de piètres résultats. Si Apple demeure en excellente position en tant que contrôleur, ses progrès en matière d’IA n’ont pas été remarquables jusqu’à présent.
Nous allons donc voir comment tout cela évoluera. Les effets secondaires seront particulièrement intéressants à observer. Pour l’instant, l’action de Google continue à progresser tandis que celle d’Apple est en baisse. Cela s’explique vraisemblablement par le récent lancement des nouveaux téléphones d’Apple, qui a été un peu décevant et qui semble avoir pesé sur le cours de l’action.
Jordan Wong :
Formidable. Rob, aimeriez-vous ajouter quelque chose avant la conclusion de cet épisode ?
Rob Cavallo :
Non, je pense que tout a été dit. Il y a évidemment des rumeurs selon lesquelles Apple envisagerait une fusion-acquisition importante pour se lancer dans le domaine des grands modèles de langage. Cependant, cette situation change clairement la donne et renforce l’idée selon laquelle Apple peut continuer à fournir le réseau ou l’écosystème tout en laissant d’autres acteurs s’y livrer concurrence.
Vous avez également mentionné la possibilité d’une collaboration entre Google et Apple dans le domaine de l’IA. Je pense qu’il est important de souligner les rumeurs selon lesquelles Siri pourrait être alimentée par Google Gemini. Si cela devait être vrai, cela pourrait représenter une occasion tout à fait intéressante pour Google, d’autant plus que cette situation semble en voie de s’orienter vers une forme quelconque de règlement.