La technologie n’est plus confinée à un seul secteur et touche presque toutes les entreprises. Partant de ce fait, l’équipe Actions européennes RBC a approfondi ses recherches et découvert ce qu’elle considère comme une « auto-perturbation ». Dans ce webinaire, Dominic Wallington, chef, Actions européennes, et Freddie Fuller, spécialiste de produit, Actions européennes, à RBC Global Asset Management (UK) Limited, discutent des bouleversements que connaît le commerce du fait des nouvelles technologies. L’équipe établit des parallèles historiques pour mieux comprendre la situation et explore la complémentarité de la technologie et de la durabilité que nous croyons possible.
Durée : 21 minutes 32 secondes
Transcription
Bienvenue et merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd’hui pour ce deuxième webinaire sur les actions européennes en compagnie de Dominic Wallington, chef, Actions européennes.
Dominic, nous avons parlé de technologie récemment. La première question qui me vient à l’esprit est : pourquoi revenir sur le sujet ?
Nous avons en effet discuté du fait que, selon nous, la technologie était le moteur des marchés boursiers.
Et ce, au moment où la plupart des investisseurs et des commentateurs se focalisent sur les signaux macroéconomiques pour savoir dans quelle phase du cycle économique nous nous trouvons. En général, on estime que les données économiques et financières finissent toujours par revenir à leur moyenne.
Mais nous avons fait valoir que parfois, les gagnants continuent de s’envoler et les perdants, de s’enfoncer, surtout en période de grand bouleversement, comme une révolution technologique. C’est exactement ce que nous vivons en ce moment.
Selon nous, on ne voit que la pointe de l’iceberg. La transformation qui est en train de s’opérer est sous-estimée et il y a encore beaucoup de confusion.
Vous et moi en avons déjà parlé, mais effectivement l’impact de la technologie semble être sous-estimé. C’est ce qu’on appelle parfois la « loi d’Amara », mais elle peut avoir d’autres noms, comme c’est souvent le cas avec ce genre de théorie.
Cette loi dit que nous avons tendance à surestimer les répercussions d’une nouvelle technologie à court terme, et à les sous-estimer à long terme.
Comment s’explique ce phénomène, selon vous ?
C’est une bonne question. Et un bel exemple. En toute franchise, je ne suis pas en mesure de répondre, sauf peut-être en mentionnant que nous pouvons souvent observer cette sorte de latence. Je crois toutefois que la situation actuelle a quelque chose d’unique. Nous avons d’ailleurs tenté de faire des parallèles historiques pour l’expliquer et le comprendre nous-mêmes.
Fait intéressant à savoir : jusqu’à récemment, on croyait que dans l’antiquité classique, qui a vu naître de grandes civilisations, la technologie n’était pas particulièrement bien utilisée. Et quand je parle de l’âge classique ici, je pense surtout à l’Occident, c’est-à-dire à la Grèce antique, à l’époque hellénistique ou encore à l’Empire romain.
En fait, on a compris que l’utilisation et l’impact de la technologie à l’ère classique avaient été sous-estimés par les historiens parce que ces derniers avaient étudié la question à travers le prisme de la révolution industrielle.
Selon eux, seules les répercussions d’ordre matériel comptaient. Ils considéraient que la technologie devait servir à construire des choses, comme des avions, des automobiles, des trains, des usines, des machines. Les Romains ont bien sûr construit des aqueducs, des routes et de l’équipement militaire, mais la grande majorité des avancées technologiques qui ont eu des effets spectaculaires durant l’antiquité consistait plutôt en des idées. Elles portaient sur l’information.
C’est l’invention de l’alphabet, de la géométrie et de la sténographie qui ont apporté de véritables changements. La révolution technologique actuelle est similaire à bien des égards. Elle est dématérialisée. Elle repose sur la diffusion de l’information. Et elle est sans doute sous-estimée pour des raisons similaires.
De nombreux économistes reconnus aux États-Unis parlent de stagnation séculaire. Beaucoup de professionnels du secteur, des gestionnaires de fonds, se sont trompés en établissant la répartition de l’actif des portefeuilles, justement parce qu’ils sous-estiment ce qui se passe actuellement.
Nous pensons que leur erreur a été d’analyser la situation à travers le prisme de la révolution industrielle.
D’accord. Quand vous soulignez la différence entre une révolution « matérielle » et une révolution « immatérielle », je ne peux pas m’empêcher de penser au projet du génome humain. Après le premier séquençage du génome humain, le gouvernement américain ainsi que le gouvernement britannique ont fait un certain nombre de déclarations assez audacieuses selon lesquelles il s’agissait d’une grande avancée pour l’humanité, que nous allions entrer dans une nouvelle ère, que nous avions franchi des barrières et d’autres allégations du genre.
Or, il a fallu attendre une vingtaine d’années pour que cette avancée commence à donner des résultats concrets. Il faut regarder du côté de l’oncologie, des produits pharmaceutiques et aussi, je présume, des maladies rares, pour voir les retombées de la médecine génomique.
En effet. C’est un bel exemple, encore une fois. Et cela nous ramène à votre allusion de tout à l’heure à la loi d’Amara.
Lorsqu’il y a une période de latence, c’est-à-dire lorsque les retombées de la nouvelle technologie se font sentir plus tard, et surtout si elles ne peuvent pas se voir, se conduire, se prendre ou être utilisées tous les jours, alors les gens ont tendance à passer à autre chose et, par la suite, à sous-estimer les effets de la technologie.
Oui. En général, nous évitons habituellement de dire qu’une situation est unique ou différente. Cependant, les changements que nous observons en ce moment s’accompagnent d’une transformation d’un tout autre ordre, quoique tout aussi drastique : la durabilité.
Vous le savez, les décideurs politiques vont maintenant relever d’un cran leur stratégie macroéconomique actuelle de façon à favoriser le développement durable. D’ailleurs, il y a quelques semaines à peine, la Chine et l’UE ont annoncé de nouveaux objectifs en matière d’émissions de carbone.
Si la tendance en matière de durabilité macroéconomique existe vraiment, elle pourrait s’appuyer sur les facteurs que vous avez observés, et qui relèvent beaucoup plus de la microéconomie.
On dit souvent qu’un iPhone d’aujourd’hui contient plus de puissance de traitement et de calcul que la toute première navette spatiale. C’est impressionnant, mais qu’en est-il de la durabilité et des avantages potentiels ?
Oui. De plus, au sujet du téléphone cellulaire, la densité énergétique des nouvelles technologies, des appareils électroniques, n’a jamais été aussi élevée. Par contre, je pense que nous sommes beaucoup plus conscients que par le passé de l’impact des technologies que nous utilisons.
C’est flagrant. Il est impossible d’en nier les effets. À mon avis, ces conséquences sont en grande partie attribuables à notre capacité ou à notre pouvoir de produire toujours plus et en grandes quantités. Le plastique en est un excellent exemple. La production de plastique est rendue si volumineuse qu’elle est en train de faire mourir nos océans. Je ne crois pas qu’un impact de cette ampleur avait été envisagé lorsque cette industrie a vu le jour. Personne n’a pu prévoir que nous aurions le pouvoir d’en produire en si énorme quantité.
Lorsque Thomas Newcomen a mis au point sa machine à vapeur, qui a donné le coup d’envoi de la révolution industrielle, il ne pensait sûrement pas que la combustion du charbon pour générer la vapeur nuirait à l’environnement. Que les gaz produits entraîneraient des changements climatiques. Il n’en avait aucune idée.
La situation actuelle est donc un peu différente, car nous savons. Et comme nous le savons, nous cherchons à créer des solutions de rechange.
Non seulement comprenons-nous un peu mieux les choses, mais nous avons de surcroît un meilleur contrôle, je pense, et de meilleures pistes de vérification qu’autrefois. À l’heure actuelle, 7 milliards d’appareils sont connectés à Internet, notamment des capteurs et des caméras. Ces appareils nous permettront de surveiller les chaînes logistiques et les processus de fabrication, et de les contrôler d’une manière qui n’était pas envisageable jadis.
Ils nous permettront aussi de veiller à ce que ces processus demeurent conformes à la réglementation imposée par les gouvernements et aux exigences des consommateurs qui s’intéressent au développement durable.
Oui. C’est un point intéressant que nous négligeons souvent, n’est-ce pas ?
Revenons à ce que vous avez dit plus tôt à propos de la révolution de l’information, pensez-vous que nous en traversons une ? En plus d’une révolution technologique ?
Oui, nous sommes selon moi au cœur d’une révolution informationnelle. Et ce qui est intéressant, c’est que beaucoup des technologies que nous utilisons aujourd’hui sont du type habilitant.
Oui. L’électricité est un exemple par excellence d’une technologie habilitante, n’est-ce pas ? Elle a permis à la production industrielle à grande échelle de décoller et entraîné la création de nombreux nouveaux produits. On est passé de l’automobile et d’une explosion du transport jusqu’au téléphone mobile moderne.
Oui. C’est un bon exemple. À mon avis, l’élément habilitant des technologies actuelles, qui n’est pas visible ni annoncé, résidera essentiellement dans la réduction des frictions et des coûts pour les entreprises. Dans les relations entre les entreprises, mais également entre les entreprises et les consommateurs.
La technologie de l’information joue effectivement ce rôle maintenant. Les progrès technologiques s’accélèrent partout de nos jours, dans la mesure où, comme vous l’avez mentionné, l’innovation stimule l’innovation.
Dans le passé, j’ignorais d’ailleurs ce fait, les améliorations apportées au mécanisme des horloges ont permis de mettre au point des moulins à vent plus efficaces, et les mécanismes inventés pour fabriquer des orgues ont été appliqués aux métiers à tisser. Avec le temps, les mécanismes et les métiers à tisser sont devenus des logiciels.
Exactement. Je pense que les gens ne sont souvent pas conscients du tremplin qu’une nouvelle technologie fournit à une autre. Et souvent, on trouve de nouveaux usages pour une technologie.
L’électricité, pour reprendre votre exemple, a contribué à la révolution technologique qui a commencé en 1875 : des réseaux électriques localisés ont donné lieu à la construction d’usines et à une forte hausse de la productivité.
Lors de la révolution technologique suivante, en 1908, l’électricité a été utilisée d’une toute nouvelle façon, en devenant un service public universel dans de nombreux marchés développés. À partir de là, l’électricité a été utilisée dans les entreprises, mais dans les maisons également. L’accès à cette technologie a impulsé d’innombrables innovations au fil du temps.
Nous n’aimons pas vraiment chiffrer les choses, car cela finit toujours par nous rattraper. Je sais par expérience que les cycles de ce type prennent près de 50 ans pour arriver à maturité. N’est-ce pas ?
Oui. Vous avez raison. De nombreuses technologies individuelles importantes ont eu des cycles de cette durée. Les canaux, par exemple. Le chemin de fer a connu un marché haussier de près de 50 ans après son invention en 1829.
On peut aussi considérer que la révolution industrielle a duré plus d’une centaine d’années, mais un tel scénario ne tiendrait pas compte des technologies et des thèmes discrets, alors qu’ils ont indéniablement stimulé la croissance.
Même là, rétrospectivement, certaines technologies discrètes ont eu des cycles bien plus longs que 50 ans. Vous avez mentionné l’électricité. Nous en avons parlé un peu. Si elle a déclenché une révolution en 1875 et une autre en 1908, qui a probablement duré entre 20 et 30 ans, son cycle serait d’au moins 70 ans environ.
En ce qui concerne la révolution de l’information qui, selon certains, a commencé en 1971 par l’invention des transistors et la miniaturisation des composants électroniques, une grande période pourrait s’écouler avant que ce cycle arrive à maturité.
L’un de ses principaux outils, c’est-à-dire Internet, n’existe dans sa forme actuelle que depuis 25 ou 26 ans. Nous aurions très difficilement pu organiser et réaliser ce webinaire voilà dix ans. Il y a aussi cette terrible pandémie. Le commerce serait tombé au point mort sans la technologie et il aurait été impossible de faire du télétravail.
Peu importe la véritable durée, il faut la mettre en contexte par rapport à la période moyenne de détention des actions aux États-Unis qui est inférieure à deux ans. Si vous vous intéressez à ce secteur, comment comprendre ces changements spectaculaires et marquants et en tirer parti si votre analyse ne porte que sur deux ans ?
Cela nous amène au point de tension que nous observons : comment les investisseurs peuvent-ils prendre la pleine mesure des changements ? Et quelles en sont les répercussions si votre horizon de placement est à court terme ? Cela dépend de ce que vous souhaitez faire
et de votre approche en tant qu’actionnaire. Vous savez, notre équipe a remarqué que les dialogues avec les équipes de direction sur ces tendances et enjeux stratégiques à long terme ont gagné en importance au fil des ans. Cela nous a permis de comprendre les entreprises dans lesquelles nous investissons.
Cette discussion nous amène peut-être à poser une question que se posent probablement les gens : sommes-nous par essence des investisseurs axés sur la technologie ou le sommes-nous devenus ?
Eh bien, cela dépend de la façon dont vous définissez la technologie. Si vous parlez du secteur de la technologie de l’information, il a manifestement offert un rendement exceptionnel au cours des dix dernières années environ. Au mois de mai de cette année, le secteur américain de la technologie a produit un rendement plus important que celui de l’ensemble du marché boursier européen.
Il est possible que les marchés ne représentent pas ce qui se passe dans les petites entreprises. Cependant, ce rendement montre l’importance potentielle de ce secteur, plutôt que de signaler une bulle.
Comme nous l’avons mentionné plus tôt, le secteur de la technologie s’accélère parce que ses réalisations sont cumulatives. Elles se construisent à partir d’autres technologies. Cela ne se produit pas uniquement dans le secteur de la TI, mais dans tous les autres domaines également. Prenons les segments de la biotechnologie et des produits pharmaceutiques. On constate une croissance de la médecine personnalisée et une évolution dans la production des médicaments, qui n’est plus fondée sur des composantes chimiques, mais sur des composantes biologiques complexes.
Le secteur de la TI a des retombées généralisées, puisqu’il est désormais possible de vendre du café, des articles de luxe ou des baskets, peu importe, directement au consommateur par Internet. Cela profite beaucoup aux fabricants de ces produits et aux clients, mais perturbe énormément le secteur traditionnel de la vente au détail.
Le secteur de la TI se porte très bien. Mais nous n’y investissons pas de façon exclusive. Nous investissons dans la technologie dans la mesure où elle touche chaque branche du commerce et tous les domaines de l’activité humaine. Et chaque fois que nous envisageons un nouveau placement dans le portefeuille, nous nous demandons l’impact qu’aura la technologie sur le placement.
Il peut avoir un aspect négatif à cet égard. Du point de vue des placements, la technologie comporte un risque inhérent, puisqu’elle progresse en détruisant ce qui précède ; les nouvelles technologies mettent les anciennes au rancart.
Vous avez cité la marque comme l’un des antidotes à cette autodestruction et un élément présentant une stabilité sous-jacente.
Oui, vous avez raison. La technologie progresse en s’autodétruisant, en quelque sorte. Elle devient superflue en évoluant. Les placements dans le secteur de la technologie se heurtent à de nombreux problèmes, car des événements peuvent nous surprendre.
La solution pour surmonter ces difficultés consiste à investir une grande partie de son portefeuille dans des marques, dont bon nombre sont grand public. Les marques peuvent théoriquement être perpétuelles, mais pas seulement en théorie. Un certain nombre d’entreprises japonaises existent depuis près d’un millier d’années, beaucoup d’entre elles reposent sur des services de marque.
Nous analysons donc la situation de deux façons différentes. En premier, la dynamique de la demande, qui, selon nous, semble très positive. Nous estimons que probablement 1,8 milliard de personnes viendront grossir les rangs de la classe moyenne dans la prochaine décennie.
Deuxièmement, comme je l’ai déjà mentionné, les marques qui sont mises en valeur sont très difficiles à déloger et à perturber, et deviennent rarement superflues.
Je me souviens qu’en 2016/2017, beaucoup de gens disaient qu’Internet avait démocratisé les produits. Ils pensaient que les marques allaient perdre leur pouvoir à mesure qu’Internet progresserait. Ces personnes n’avaient pas tenu compte du fait que beaucoup trop de choses étaient disponibles. Il y a trop d’information, un trop grand choix. Cette abondance, au lieu d’être positive, mène à la paralysie.
Pour sortir de cette confusion, il faut gagner la confiance des consommateurs. Or, les marques inspirent confiance. Il faut beaucoup de temps pour bâtir la confiance et de bonnes compétences pour arriver à la développer. Une fois la confiance établie, elle est incroyablement puissante. En fait, les marques ont probablement plus de valeur maintenant qu’auparavant, à cause d’Internet.
Si vous cherchez des renseignements, vous irez vers une source que vous jugez fiable, qui peut bien vous informer, qu’il s’agisse d’un journal, d’un balado ou d’un site Web. Pour les produits de consommation, ce sera les marques.
Je vais vous donner quelques exemples pour préciser mon point de vue. KIT KAT de Nestlé existe depuis 1911. La marque a pris de l’expansion, mais sans perdre de sa valeur. Si une autre société lançait sur le marché une barre chocolatée semblable, les consommateurs la considéreraient juste comme un dérivé et non comme un produit de rechange.
Autre exemple que j’ai donné auparavant, mais qui, à mon avis, illustre bien la puissance des marques : Moët, une marque de champagne appartenant à LVMH. On ne peut pas reproduire le champagne, ni le supplanter.
Le magnétoscope a cédé sa place à la diffusion en continu, l’huile de baleine a été remplacée par le pétrole, qui à son tour a été supplanté par l’électricité. Cela n’est pas possible pour le champagne. Un organisme situé en Champagne octroie le droit d’appeler un vin « champagne ». Le champagne doit être fabriqué dans un secteur géographique spécifique. Vous pourriez peut-être produire un vin mousseux ailleurs et connaître un certain succès, mais vous n’obtiendrez jamais le cachet de Moët, dont la marque existe depuis la fin des années 1700. Et le plus important, votre vin restera un vin mousseux et ne sera jamais un champagne.
Je pense que c’est une excellente façon d’exprimer la puissance des marques. De nombreuses marques possèdent ce genre de caractéristiques. C’est pourquoi elles constituent d’excellents placements à long terme et qu’à notre avis, qu’elles surpassent la technologie à long terme.
Eh bien, je pense que nous pouvons conclure sur ce point très positif. Merci beaucoup, Dominic, et merci à tous de vous être joints à nous cet après-midi.
Merci, Freddie.
Regardez notre webinaire consacré aux répercussions de la technologie sur les actions européennes.