Quels facteurs à court et à long terme les membres de votre équipe examinent-ils pour évaluer les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les sociétés dans lesquelles vous investissez ?
- Le contexte actuel des placements diffère largement de celui que nous avons connu en début d’année. Les principaux indicateurs macroéconomiques étaient tous plutôt positifs et solides. Cependant, étant donné la tournure des événements, les sociétés enregistreront forcément une diminution de leurs bénéfices en 2020.
- Initialement, l’épidémie de COVID-19 a été comparée à celle du SRAS de 2002-2003 ; on croyait qu’elle se limiterait à une certaine région et ne toucherait que quelques secteurs. Or, elle s’est répandue dans l’ensemble des pays et se répercute sur tous les secteurs, causant de grandes perturbations et une baisse de la demande globale partout dans le monde. En outre, l’Arabie saoudite et la Russie se disputent des parts du marché pétrolier, entraînant un contexte encore plus déflationniste pour les investisseurs.
- Le passage d’un marché haussier à un marché baissier est habituellement attribuable à un recours au crédit grandissant, mais ce n’est pas le cas ici. La situation à laquelle nous faisons face est caractérisée par un climat d’incertitude et, naturellement, par un accroissement considérable de la volatilité. Les investisseurs traversent une période plutôt difficile.
- La grande question, que bien des gens se posent, est de savoir si ces perturbations seront de courte ou de longue durée. Si elles durent de trois à six mois, il pourrait y avoir de lourdes conséquences pour les ménages, mais les pans essentiels de l’économie devraient repartir. Toutefois, si elles durent plus longtemps, la situation pourrait être plus problématique.
D’après votre équipe et vous-même, si nous sommes effectivement au bord d’une récession, le repli sera-t-il aussi marqué que celui de la crise financière mondiale de 2008-2009 ou est-ce que les circonstances actuelles sont fondamentalement différentes ?
- Les circonstances actuelles sont fondamentalement différentes. En 2008-2009, les fluctuations des cours n’avaient aucun motif physique. C’était comme vous présenter à un examen, ouvrir votre copie et constater, le cœur serré, que la seule question que vous espériez ne pas voir s’y trouve. Et c’était comme cela tous les jours. La période que nous vivons actuellement n’est pas du tout semblable.
- En 2008, on avait l’impression que la plomberie du système financier était défaillante, ce qui avait entraîné un manque de liquidité et une crise de confiance. À l’heure actuelle, la plomberie est en bon état ; la réglementation a été améliorée et assouplie ; les acteurs du monde du commerce se serrent les coudes pour approvisionner ceux dans le besoin, et les banques centrales se montrent conciliantes.
- Toutefois, les données économiques pourraient s’avérer bien pires, puisque la présente pandémie ne constitue pas un problème régional, mais mondial. En 2008, la Chine a été touchée dans une certaine mesure, mais elle a rapidement repris de la vigueur et a contribué de manière considérable à la croissance mondiale. Aujourd’hui, comme la pandémie est un enjeu mondial, l’incidence à court terme sur le PIB pourrait se révéler plus importante qu’en 2008.
- Qui plus est, si nous réagissons de la manière appropriée et grâce à des politiques monétaires énergiques, les bonnes bases de l’économie devraient être préservées. Une récession semble inévitable et 2020 sera probablement une année perdue pour les bénéfices des sociétés. Cependant, il est encore trop tôt pour savoir s’ils seront encore affaiblis en 2021.
Est-ce que l’expérience que votre équipe et vous-même avez acquise lors la crise financière mondiale vous aide à faire face à de nouvelles récessions ou périodes de volatilité boursière extrême ?
- Oui, l’équipe a tiré des leçons de cette période. Actuellement, les gros titres portent sur les effets dévastateurs et perturbateurs de la pandémie de COVID-19. Ils risquent d’influer sur les perspectives mondiales et de se répercuter sur les portefeuilles et ce serait une erreur.
- L’épisode actuel connaîtra un tournant. Or, une analyse descendante ne permet pas de réagir rapidement à un tel changement. Depuis 2008-2009, nous évitons sciemment de considérer le monde selon un point de vue descendant. Nous avons confiance dans les sociétés dans lesquelles nous investissons, et celles-ci dictent l’expérience de placement que nous offrons aux clients (et à nous-mêmes).
- Selon nous, le travail devrait être fait avant la crise. Par exemple, si vous vous apprêtez à prendre la mer, vous vérifiez que le navire est en bon état avant de larguer les amarres. Nous veillons à ce que la structure du portefeuille soit la meilleure possible pour traverser la tourmente et pour y résister naturellement, particulièrement dans une période comme celle que nous vivons.
L’une des particularités de votre équipe est qu’elle compte trois membres attitrés à la gestion du risque et à l’élaboration de portefeuille. On les appelle des ingénieurs de portefeuille. Pouvez-vous expliquer l’importance de l’élaboration de portefeuille dans l’atteinte de vos objectifs, surtout dans la conjoncture des marchés que nous avons vue récemment ?
- L’ingénierie de portefeuille est une composante importante de notre travail. Nous portons une grande attention aux sociétés elles-mêmes, et les ingénieurs de portefeuille nous aident à tirer parti de l’alpha généré par la sélection des titres. Cela nous permet d’offrir l’expérience de placement à laquelle nos investisseurs s’attendent en périodes de volatilité accrue.
- Dans de telles circonstances, les risques des portefeuilles sont amplifiés. Les rendements peuvent alors donner de très mauvaises surprises et pâtir de risques imprévus. Nous sommes des sélectionneurs de titres et nous voulons que le rendement dépende des sociétés.
- Or, à l’heure actuelle, personne ne parle des sociétés ; l’attention du marché se focalise sur la macroéconomie. Les manchettes influencent les placements. Dans ce contexte, les gestionnaires qui comprennent les risques de leur portefeuille se distinguent de ceux qui ne les comprennent pas.
- Nous continuons de mettre l’accent sur les sociétés. Le portefeuille se comporte comme prévu et tire parti du marché. Nous n’avons pas recours à des liquidités ou à un effet de levier pour modifier les risques au cours de cette période. Nos ingénieurs de portefeuille fournissent des tableaux de bord qui contribuent à éviter les fortes fluctuations du portefeuille. Cette approche s’est révélée efficace au fil du temps.
L’intégration des critères ESG, particulièrement l’évaluation de critères non financiers, est une pierre angulaire du processus de placement de votre équipe. Pouvez-vous nous parler de titres de votre portefeuille qui sont actuellement en très bonne posture sur le plan de l’ESG ?
- L’angle de l’ESG est intéressant durant cette pandémie. De manière générale, les bons fonds ESG affichent un rendement légèrement supérieur, puisque les meilleures sociétés sur le plan de l’ESG sont habituellement mieux gérées à long terme. Une bonne partie de l’apport de l’ESG est peut-être attribuable à la contre-performance des facteurs énergétiques, plutôt qu’aux qualités intrinsèques de l’ESG.
- De bonnes pratiques ESG ont tendance à faire leurs preuves au fil du temps. À court terme, le capital humain, la culture de la société et d’autres facteurs ESG génèrent un avantage modeste, mais à long terme, ils peuvent faire une grande différence. Nous avons connu le passage le plus rapide d’un marché haussier à un marché baissier. Les entreprises qui réagissent vite devraient sortir de cette crise plus fortes que les autres.
- En aidant la société pendant cette crise, bon nombre d’entreprises dans lesquelles nous investissons bâtissent leur marque et leur réputation. La valeur de l’ESG est négligeable à court terme, mais elle augmente à moyen et à long terme.
Votre équipe utilise le terme « dynamique concurrentielle » pour désigner la robustesse du modèle d’affaires, des perspectives de croissance des marchés finaux et de l’équipe de direction d’une société. Dans quelle mesure cette dynamique est-elle appelée à changer au fil du temps ?
- Lorsque nous évaluons une occasion de placement, nous commençons par analyser l’entreprise elle-même et la qualité de son équipe de direction, afin de voir si la société satisfait à nos critères de dynamique concurrentielle. C’est seulement une fois cette étape terminée que nous examinons la valorisation (à l’aide d’un modèle d’actualisation des flux de trésorerie), afin de déterminer si cette société mérite une place au sein du portefeuille.
- Comme les modèles d’affaires évoluent lentement, la valorisation est la composante la plus volatile. Sur le marché des placements, les changements sont toujours présents, mais leur vitesse augmente.
- Nous assistons à une véritable guerre pour les parts du marché pétrolier, qui exerce des pressions baissières sur le prix du pétrole et remet en doute la viabilité des entreprises dans les régions où les coûts sont élevés. Des sociétés dans lesquelles nous investissons, comme Ørsted et Neste, ont vu venir ces enjeux stratégiques et ont pris des mesures en conséquence. Les deux sociétés ont démarré leurs activités dans le secteur des combustibles fossiles, mais ont bifurqué respectivement vers la production d’énergie éolienne et les biocarburants.
D’après vous, le marché a-t-il fait la distinction entre bonnes et mauvaises sociétés durant la récente liquidation ? Ou bien la liquidation a-t-elle été généralisée, les considérations propres aux sociétés ayant eu peu d’importance ?
- Selon notre expérience, il n’y a pas de grande distinction à court terme entre les sociétés, étant donné que les considérations macroéconomiques prévalent actuellement sur le marché. Le temps a manqué pour évaluer les occasions que présentait chaque action.
- Les perturbations de valeur donnent lieu à une période de réflexion et de recherche. Les gens tentent de dénicher des titres de qualité qui ont beaucoup souffert et commencent à les acheter, on observe alors une reprise sélective. Nous prévoyons que ce scénario se produira.
Que pensez-vous des valorisations actuelles par rapport aux niveaux observés lors des sommets du marché boursier en février ? Selon vous, sont-elles justifiées par les données fondamentales ?
- Nous devons continuer de tenir compte des données fondamentales. Même s’il est facile de se laisser emporter par la tourmente des manchettes, il faut se rappeler que la valeur d’une société est déterminée par la valeur actuelle de ses flux de trésorerie futurs. La valeur intrinsèque d’une société ne dépend presque pas des flux de trésorerie prévus sur un horizon d’un ou deux ans, mais plutôt de ceux prévus à moyen et à long terme. Le fait de savoir que nous investissons dans des sociétés saines nous rassure, mais nous devons nous assurer qu’elles disposent de suffisamment de flux de trésorerie et de liquidités pour survivre aux bouleversements.
- En tant qu’investisseurs, nous prenons le temps de nous assurer que les sociétés ont accès aux ressources nécessaires pour tirer parti de la valeur à moyen et à long terme. Cette approche est encore plus importante lors des périodes de volatilité accrue. Nous effectuons le contrôle diligent afin de nous assurer que les sociétés ont les liquidités nécessaires pour s’en sortir à long terme.
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