Il a beaucoup été question des droits de douane dernièrement, mais du point de vue des marchés boursiers émergents, ce qui compte vraiment, ce sont les données fondamentales des pays et les excédents commerciaux de ceux-ci avec les États-Unis en ce qui concerne leurs économies. Richard Farrell, gestionnaire de portefeuille, Actions, Marchés émergents, analyse la situation actuelle des principaux pays et régions.
Principaux points à retenir
Les pays émergents sont fondamentalement beaucoup plus solides qu’il y a dix ou quinze ans.
Dans l’ensemble, la situation budgétaire et le compte courant des marchés émergents se comparent avantageusement à ceux des États-Unis.
Les échanges commerciaux entre les pays émergents augmentent, et ils sont peu sensibles au commerce avec les États-Unis.
Les pays émergents sont relativement bien placés pour composer avec les droits de douane et les restrictions commerciales.
Dissociation des échanges commerciaux des marchés émergents
Au chapitre des exportations, la sensibilité des marchés émergents (ME) aux États-Unis et aux autres marchés développés (MD) a considérablement diminué au cours des dernières années. En raison d’une hausse des échanges commerciaux au sein des ME, plus de 45 % de leurs exportations sont acheminées vers d’autres pays émergents1. Nous croyons que la catégorie d’actifs en profitera à long terme, car les économies émergentes, surtout celles qui sont davantage axées sur les exportations, deviennent moins sensibles à la consommation dans les MD et dépendent de plus en plus d’autres pays émergents et de leurs consommateurs.
Des nuances apparaissent toutefois dans cet univers. Un examen des ventes à l’étranger par rapport aux ventes totales révèle que Taïwan et la Corée du Sud sont les pays les plus sensibles au commerce avec les États-Unis, tandis que les pays plutôt centrés sur le marché intérieur, comme la Chine, les Philippines et l’Indonésie, sont moins vulnérables aux perturbations des échanges commerciaux.
Le catalyseur de la reprise en Chine est la technologie
L’excédent commercial record de la Chine avec le reste du monde est attribuable à l’émergence du pays en tant que chef de file mondial pour de nombreuses technologies de l’ère nouvelle. Trois secteurs en particulier, soit les véhicules électriques, l’énergie renouvelable et l’électronique grand public haut de gamme, sont à l’origine de la hausse importante de la balance commerciale globale du pays.
Cela dit, le principal facteur de la récente prédominance de la Chine sur les autres ME et les marchés mondiaux est le secteur de la technologie, sans compter le fait que le pays est moins sensible aux exportations que ce à quoi beaucoup d’investisseurs pourraient s’attendre. La part des exportations totales dans le PIB est maintenant de 15 %, tandis que celle des exportations vers les États-Unis a chuté à 2,5 %2. Au cours de la dernière année, les actions liées à la nouvelle économie ont rebondi après une période de contre-performance. Au premier trimestre de l’année en cours, l’ampleur du marché a été relativement restreinte, le rendement ayant été alimenté par de grandes sociétés technologiques comme Alibaba et Tencent. Cette situation s’explique par l’impact de DeepSeek, qui apporte une nouvelle preuve de la vigueur du secteur émergent de l’IA en Chine.
À long terme, nous croyons que la Chine est bien placée pour tirer parti de ces technologies émergentes. Des données récentes montrent que la Chine se classe au premier rang des pays pour le nombre de diplômés en science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM), ainsi que pour le pourcentage de diplômés dans les domaines des STIM.
L’Inde connaît une reprise économique
Les réformes entreprises par le gouvernement Modi au cours des dix dernières années ont ouvert la voie à une croissance économique et structurelle à long terme, surtout en ce qui concerne l’infrastructure industrielle. À notre avis, ce pays offre des occasions de placement intéressantes.
En raison d’un ralentissement cyclique de la croissance, la reprise du marché s’est interrompue au début de l’année. Toutefois, l’économie se redresse et les dépenses en immobilisations du secteur privé s’accélèrent. Cette situation entraîne généralement une hausse de la consommation qui, à son tour, devrait profiter à certaines sociétés.
Sur le marché boursier, les valorisations demeurent élevées. Il est toutefois essentiel de faire une bonne sélection. Ainsi, certains secteurs, comme celui de la finance, permettent de profiter de la croissance économique à long terme à des prix relativement plus attrayants.
Nous croyons que l’Inde offre des possibilités particulièrement attrayantes dans le domaine de la consommation expérientielle. Nous chercherons donc à accroître nos placements de manière sélective si des occasions à bon prix se présentent.
L’Amérique latine pourrait vivre un bouleversement politique
L’Amérique latine est une source d’instabilité politique et économique depuis de nombreuses années, mais au cours de la dernière période de 12 à 18 mois, une évolution digne de mention s’est produite en Argentine sous la direction du nouveau président Milei. L’économie argentine a fait l’objet de réformes majeures et le pays enregistre maintenant un excédent budgétaire pour la première fois depuis plus de dix ans. Dans ce contexte, le marché boursier a affiché un solide rendement, et récemment, le peso argentin a réussi à flotter pour la première fois depuis de nombreuses années.
Les investisseurs espèrent que ces réformes économiques auront des retombées bénéfiques sur d’autres pays d’Amérique latine. Prenons l’exemple du Brésil, où la cote de popularité du président en exercice Lula a chuté au cours des derniers mois. Les élections de l’an prochain pourraient se solder par l’investiture d’un président plus favorable au marché libre et aux entreprises, et doté d’un programme visant à résoudre les problèmes structurels du pays.
Pour sa part, le Mexique a tiré parti de l’accord de libre-échange AEUMC, et les exportations du pays conformes à cet accord sont exemptées des récents droits de douane. À notre avis, en apportant des améliorations visant les infrastructures, la primauté du droit et la facilité de conclure des affaires, le Mexique pourrait tirer profit du fait que des sociétés américaines quitteront la Chine pour déplacer leur production près de leur propre pays. Les coûts de la main-d’œuvre nationale sont très intéressants comparativement à ceux d’autres pays comme le Vietnam, la Chine et, en particulier, les États-Unis.
En Amérique latine, les valorisations boursières demeurent attrayantes et, bien que les taux d’intérêt réels demeurent très hauts dans la région, une baisse de l’inflation et une réduction des coûts attribuable à la déréglementation, comme nous l’avons vu en Argentine, permettraient aux banques centrales de réduire les taux. L’augmentation du crédit qui en résulterait stimulerait les investissements dans les infrastructures, lesquels devraient engendrer une hausse de la productivité et, par conséquent, une amélioration de la croissance structurelle à long terme.
L’autre avantage pour l’Amérique latine est la dépréciation du dollar. Les marchés émergents en seraient bénéficiaires dans leur ensemble, mais l’Amérique latine est la région la plus susceptible d’en profiter.