Aperçu
Les marchés financiers demeurent très agités et
continuent de se replier. Bien qu’il soit prématuré de
soutenir que les valorisations ont atteint des niveaux extrêmes, il est
probable que les occasions se multiplient pour les investisseurs à
contre-courant. Nous discuterons ci-après des mouvements des devises et
de leurs répercussions.
Cette semaine, la chronique traite également des innombrables
défis économiques auxquels le Royaume-Uni fait face, de la
nouvelle sensibilité du marché obligataire aux questions
budgétaires, des derniers événements importants touchant
le conflit en Ukraine, de certaines réflexions sur le prochain
Congrès national en Chine, d’un ensemble de réflexions
d’ordre économique, notamment sur les répercussions des
récents ouragans, et d’une analyse des risques
géopolitiques clés.
Webémission mensuelle sur l’économie
Notre dernière webémission mensuelle sur
l’économie, intitulée « Récession en vue, apaisement des craintes
inflationnistes »
, est maintenant accessible. En anglais seulement.
Vigueur du dollar
Certaines des fluctuations les plus importantes observées
récemment sur les marchés financiers ont concerné les
devises. La livre, l’euro et le yen ont été
particulièrement faibles, et cette situation s’explique autant
par la vigueur exceptionnelle du dollar américain que par la faiblesse
des autres grandes devises (voir le graphique suivant).
Le dollar américain s’est apprécié par rapport aux
devises de la plupart des pays développés
Soit dit en passant, alors que les Canadiens perçoivent leur propre
monnaie comme faible, car ils ne s’attachent à regarder que le
taux de change par rapport au billet vert, celle-ci s’est en
réalité plutôt bien comportée par comparaison avec
les monnaies de la plupart des autres pays développés.
La vigueur du dollar américain est attribuable à plusieurs
facteurs. Le principal facteur est sans doute que, en période de
préoccupations concernant l’économie mondiale et
d’aversion accrue aux risques, les garanties et la liquidité
élevées qu’offre le dollar américain en font une
devise recherchée, attirant ainsi les capitaux et renforçant le
cours de cette devise.
Un autre facteur important en faveur du dollar est la plus grande
fermeté dont fait preuve la Réserve fédérale
américaine par rapport à ses homologues. La Fed applique non
seulement un taux directeur plus élevé que ceux des banques
centrales des pays dont les devises sont à la traîne, mais
d’après son dernier communiqué, elle s’apprête
aussi à resserrer encore davantage sa politique monétaire (elle
pourrait porter le taux des fonds fédéraux à près
de 5 %). Cette décision de la Fed incite, à leur tour,
certains pays à la traîne à relever leurs taux directeurs
plus fortement qu’ils ne l’avaient initialement envisagé.
Enfin, l’économie américaine s’est montrée
jusqu’à présent relativement plus résistante. Nous
entrevoyons toujours un affaiblissement de l’économie aux
États-Unis. Néanmoins, le ralentissement observé à
ce stade s’est avéré plus modéré dans ce
pays, où le creux sera probablement moins prononcé que dans la
zone euro ou au Royaume-Uni.
En temps normal, un mouvement de change aussi important que
l’appréciation de 16 % du dollar américain par
rapport à l’euro au cours de la dernière année,
ayant ramené le dollar américain au-delà de la
parité avec l’euro, susciterait de vives inquiétudes chez
les exportateurs américains quant à la dégradation de
leur compétitivité. Or, ce n’est pas la réaction
qui a été observée. Les États-Unis sont surtout
heureux que la force du dollar américain ait permis de ralentir
l’inflation liée aux produits importés et
d’éviter une fuite des investisseurs de leurs marchés
d’une ampleur aussi inquiétante que celle constatée dans
certains pays.
Par ailleurs, il semble aujourd’hui peu probable de voir les pays
entamer des discussions sur une intervention commune et coordonnée pour
affaiblir le dollar, comme celle mise en œuvre en septembre 1985
dans le cadre des accords du Plaza, et ce, malgré le souhait des pays
fragilisés de trouver une solution. Alors que les États-Unis
n’étaient pas non plus favorables à un dollar fort en
1985, leur position n’est pas la même aujourd’hui.
Une autre différence importante par rapport à 1985 est que bon
nombre des pays dont les monnaies se sont affaiblies ont probablement besoin
d’une telle dépréciation. Pour la zone euro et le
Royaume-Uni, la faiblesse de leur monnaie, et le gain de
compétitivité qu’elle procure, aide à compenser la
forte baisse de compétitivité que les pays ont subie en raison
de la flambée des coûts de l’énergie. Pour un
fabricant allemand qui paie son électricité huit fois plus cher
qu’avant la pandémie, un net affaiblissement de la monnaie est
crucial pour rester concurrentiel à l’international.
Cela ne veut pas dire que les pays sont ravis de l’ampleur et de la
rapidité du repli actuel de leur monnaie. À titre
d’exemple, la Banque du Japon est récemment intervenue pour
soutenir sa monnaie (qui avait chuté beaucoup plus que celles
d’autres grands pays, principalement en raison de la réticence de
la Banque du Japon à relever ses taux, celle-ci souhaitant changer la
mentalité inflationniste au Japon). Le plancher implicite concernant le
yen semble résister. La Chine est elle aussi intervenue pour
défendre le yuan, tandis que le Royaume-Uni vient juste d’annuler
une partie du plan de relance budgétaire qui attisait la colère
des investisseurs (ce point sera abordé plus bas).
À moyen terme, si l’aversion au risque diminue en 2023 et que la
croissance économique revient d’ici le second semestre de 2023,
on pourrait alors raisonnablement s’attendre à un revirement de
tendance pour le dollar. Les facteurs temporaires qui influent actuellement
sur le marché des changes justifient aussi pourquoi un accord formel
pour faire évoluer la valeur des devises n’est peut-être
pas nécessaire.
Difficultés de la livre
La livre sterling a extraordinairement faibli et a touché un creux
historique par rapport au dollar.
Les facteurs mentionnés précédemment, comme
l’aversion pour le risque, le ton relativement ferme de la Fed, la
résistance de l’économie américaine, la
dégradation de la compétitivité en Europe et une
combinaison de problèmes propres au Royaume-Uni, justifient notamment
cette faiblesse.
Le Royaume-Uni a sans doute vécu au-dessus de ses moyens pendant des
années, comme en témoigne le déficit important du compte
courant, qui révèle un large dépassement des
dépenses par rapport à la production. Le Brexit, qui a
érigé des barrières et semé un chaos
réglementaire, a davantage mis à mal la
compétitivité. En raison de la flambée des prix du gaz
naturel, le Royaume-Uni a désormais besoin d’énormes flux
de capitaux étrangers pour poursuivre ses activités (voir le
graphique suivant). Ces flux deviennent plus rares lorsque les investisseurs
deviennent frileux, ce qui affaiblit la monnaie.
Le déficit du compte courant du Royaume-Uni s’accentue
Le pays a traversé une période de changement politique rapide,
accueillant un nouveau monarque et une nouvelle première ministre
à quelques jours d’écart. La nouvelle première
ministre, Liz Truss, et son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng, ont
récemment proposé d’importantes réductions
d’impôt. Les marchés financiers y ont très mal
réagi. La livre s’est effondrée et les taux des
obligations britanniques ont monté en flèche. En l’espace
d’une semaine, le taux des obligations britanniques à
dix ans est passé de 3,29 % à 4,60 %, et la livre
sterling a chuté de 1,14 à 1,03. Les marchés ont depuis
éliminé en partie ces chutes grâce aux achats temporaires
d’obligations effectués d’urgence par la Banque
d’Angleterre et, récemment, à l’annulation
d’une partie des réductions d’impôt prévues
par le gouvernement britannique.
Pourquoi les marchés financiers ont-ils si mal réagi alors
qu’en temps normal, ils auraient probablement
célébré des baisses du taux d’imposition des
sociétés et des dividendes censées accroître la
compétitivité des entreprises britanniques ?
-
Le projet de loi a sans doute été
l’élément déclencheur de cette réaction,
la politique budgétaire stimulant encore plus la forte inflation qui
met déjà l’économie en difficulté. La
Banque d’Angleterre doit hausser davantage les taux
d’intérêt pour calmer l’économie. Il
y a deux semaines, les marchés anticipaient un taux directeur
maximal de 4,72 %. Cette prévision a bondi à 5,98 %
la semaine dernière. Les marchés s’attendent à
une énorme augmentation de taux de 1,25 point de pourcentage
après la réunion de novembre. Les appels en faveur d’une
hausse en dehors du calendrier normal d’établissement du taux
directeur ont toutefois quelque peu diminué.
-
La mesure budgétaire qui prévoyait une réduction
disproportionnée des impôts des nantis à un moment
où souffrent les personnes à faible revenu était sans
doute mal ciblée, et a révélé un amateurisme qui
a remis en question l’aspect professionnel de cette décision.
-
La hausse soudaine des taux obligataires a surpris certains acteurs
financiers britanniques (plus particulièrement les caisses de
retraite), compte tenu de leur ratio de levier financier. Elle a
entraîné de gigantesques appels de marge et des tentatives de
liquidation alors que le marché n’était pas
particulièrement réceptif à ce type
d’opération. C’est ce qui a essentiellement motivé
la Banque d’Angleterre à procéder à ses achats
temporaires d’obligations. De manière plus
générale, la situation donne une image négative des
autorités de réglementation britanniques, qui n’ont pas
su empêcher cette vulnérabilité du secteur des
régimes de retraite. Le marché hypothécaire britannique
a également été profondément touché par
la montée en flèche des taux hypothécaires et par la
réticence de certaines banques à prêter dans un contexte
de taux aussi instable. Il est probable que le marché du logement
britannique empruntera une trajectoire bien plus négative au cours
des prochains trimestres.
-
La Banque d’Angleterre a provisoirement réussi à calmer
les marchés, mais le Royaume-Uni dispose d’une quantité
étonnamment faible de réserves de devises qui puissent
l’aider à contrer les pressions baissières
s’exerçant sur la livre sterling. Le Royaume-Uni est donc une
région particulièrement attrayante pour les
spéculateurs.
-
Comme nous l’avons déjà mentionné, le
déficit du compte courant du Royaume-Uni était
déjà important avant cette proposition, et avait
considérablement augmenté à la suite des subventions
liées au gaz naturel accordées quelques semaines auparavant.
Les nouvelles réductions fiscales s’ajouteront au
déficit, exacerbant ainsi la situation. Le ratio dette publique/PIB
du Royaume-Uni a atteint 100 % au cours des dernières semaines.
Ce seuil symbolique est peu souhaitable.
-
Étonnamment, la faiblesse de la monnaie se répercute
énormément sur l’inflation ; un multiplicateur de
0,2 à 0,3 laisserait entrevoir une progression supplémentaire
d’un ou de deux points de pourcentage de l’inflation
découlant simplement du récent fléchissement de la
monnaie.
Accroissement de la sensibilité budgétaire
Pendant plus d’une décennie, les marchés de la dette
souveraine n’ont guère tenu compte des préoccupations
liées à un endettement public grandissant. Les pays pouvaient
enregistrer des déficits budgétaires importants et durables sans
subir une forte hausse des taux d’intérêt. Il y a eu
quelques exceptions, notamment des emprunteurs souverains des pays en
périphérie de l’Europe, mais elles ont été
rares.
Cette période d’indifférence budgétaire
s’explique en grande partie par deux facteurs principaux :
-
Les coûts d’emprunt étaient si bas que les pays (et tout
le monde) pouvaient emprunter beaucoup plus qu’auparavant sans avoir
à supporter des coûts du service de la dette extrêmement
lourds. Les pays avaient toujours des limites à ce qu’ils
pouvaient se permettre, mais ces limites avaient soudain
dépassé de loin les niveaux d’endettement réels.
-
Au cours des treize dernières années, les banques centrales
ont procédé à des assouplissements quantitatifs
à plusieurs reprises en achetant des obligations valant des milliers
de milliards de dollars. Ces mesures ont créé une nouvelle
source de demande importante et entraîné une pénurie
d’obligations pour les autres investisseurs. Pendant de longues
périodes, les banques centrales ont absorbé plus que
l’ensemble de l’offre nette de nouveaux titres de
créance.
Il va sans dire que ces deux forces s’inversent aujourd’hui
fortement. Les coûts d’emprunt montent en flèche et
l’assouplissement quantitatif est en train d’être
annulé, malgré la persistance de déficits
budgétaires relativement élevés. Autrement dit,
l’offre et la demande de titres de créance publics reprennent un
rôle déterminant dans la fixation des taux obligataires.
En règle générale, une augmentation d’un point de
pourcentage du ratio dette publique/PIB devrait se traduire par une hausse de
trois à cinq points de base du taux des obligations à dix ans
d’un pays. Cette règle fonctionnait à peine avant la crise
financière mondiale et a carrément été inefficace
pendant la période suivant cette crise, alors que les déficits
et la dette ne comptaient plus. Il se pourrait que la règle commence
à se rétablir à la suite de la remontée des
coûts d’emprunt.
En fait, les taux du Royaume-Uni ont grimpé plus que ne le laisse
supposer la règle en réaction aux mesures budgétaires
proposées, ce qui donne à penser que la sensibilité
budgétaire pourrait être supérieure à la normale
(mais au moment où la situation économique de ce pays est
particulièrement difficile).
Cette sensibilité budgétaire récemment retrouvée
pourrait s’avérer pertinente ailleurs d’ici peu. Alors que
les économies s’affaiblissent et risquent de tomber en
récession, les gouvernements seront fortement tentés
d’adopter de nouvelles mesures de stimulation budgétaire. En
fait, l’une de nos principales thèses est que nous vivons une
époque d’expansion anormale des gouvernements. Certains sont
susceptibles de souffrir de cette situation sur le marché obligataire.
Guerre en Ukraine
La situation découlant de la guerre en Ukraine continue
d’évoluer considérablement. Les conséquences nettes
sont ambiguës.
D’un côté, l’Ukraine continue de réaliser des
gains importants. Au cours des derniers jours, le pays a réussi
à regagner une autre partie de son territoire. Il avait
déjà accompli une importante avancée le mois dernier.
De l’autre côté, la Russie réplique en haussant le
ton. Elle s’apprête probablement à mobiliser des centaines
de milliers de nouveaux soldats, empêche actuellement les hommes en
âge de combattre de quitter le pays, a menacé à maintes
reprises d’utiliser l’arme nucléaire et a organisé
un simulacre de référendum pour légitimer
l’annexion du territoire ukrainien qu’elle occupe à
l’heure actuelle. Les résultats de ce vote serviront
d’argument à la Russie lorsque l’Ukraine tentera de
récupérer ce que la première considère
désormais comme son propre territoire.
Certains diront que le conflit est passé d’une impasse
prévisible à une guerre imprévisible, et que son
dénouement semble désormais impossible à prédire.
La situation pourrait fort bien s’améliorer si l’Ukraine
continuait à réaliser des gains considérables
malgré les fanfaronnades de la Russie. Cela dit, elle pourrait
fortement se dégrader si la Russie mettait complètement fin
à ses exportations de pétrole et de gaz, ou dans le pire des
cas, si elle mettait à exécution sa menace d’utiliser
l’arme nucléaire tactique.
Il semble peu probable que le pays s’engage dans cette voie. Il faut
toutefois noter que, bien qu’elles soient beaucoup moins destructrices
que les bombes stratégiques, les armes nucléaires tactiques
modernes sont d’une puissance comparable aux bombes atomiques qui ont
été larguées sur le Japon pour mettre fin à la
Seconde Guerre mondiale. Tant les armes tactiques que stratégiques ne
doivent pas être prises à la légère, compte tenu de
leur force destructrice initiale et des radiations qu’elles
libèrent, sans parler du risque d’escalade nucléaire qui
en découlerait.
D’un point de vue économique, quoi qu’il arrive, les
sanctions contre la Russie persisteront. En fait, il est plus probable
qu’elles se multiplient qu’elles ne soient allégées
au cours des prochains trimestres. Par ailleurs, la pénurie de gaz
naturel en Europe s’aggrave : les pipelines ne font pas seulement
que fonctionner au ralenti, ils font carrément l’objet d’un
sabotage. L’approvisionnement en pétrole demeure très
incertain, car la Russie risque de réduire substantiellement ses
exportations dès le début de décembre.
L’Europe dispose probablement de réserves de gaz naturel
suffisantes pour assurer ses besoins cet hiver (en présumant une
diminution annuelle d’environ 15 % de la consommation de gaz
naturel, comme l’Allemagne l’a déjà fait, et en
supposant que l’hiver sera plutôt clément). En revanche, le
continent se retrouvera tout de même dans une situation précaire
l’hiver prochain parce que ses réserves seront faibles et sa
capacité à les reconstituer au cours de
l’été 2023 sera limitée.
Congrès national en Chine
Le Congrès national du Parti communiste chinois débute le
16 octobre. Les enjeux sont importants non seulement pour la Chine, mais
aussi pour le monde entier.
En outre, malgré les rumeurs de mécontentement au sein du Parti
communiste, le président Xi sera probablement réélu pour
un troisième mandat de cinq ans, soit un record. Le gouvernement a
aboli la limite de deux mandats en 2018.
Xi Jinping a accentué sa mainmise sur le gouvernement au cours de
la dernière décennie. On peut donc s’attendre à ce
qu’il profite de son nouveau mandat pour renforcer son emprise sur la
population chinoise au cours de son prochain mandat, fortifie la position de
la Chine par rapport au reste du monde et poursuive la nationalisation des
institutions privées. Les forces du marché ainsi que les
entrepreneurs et les sociétés privées ont perdu du
terrain ces dernières années. Aucune de ces ambitions ne semble
favorable à la croissance de l’économie chinoise, qui a
déjà considérablement ralenti au cours des cinq
dernières années.
Il est peu probable que la Chine assouplisse considérablement sa
politique zéro-COVID avant le printemps : les plus grosses vagues
ont tendance à survenir en hiver, et le gouvernement souhaite
logiquement éviter la transmission du virus au moment des
déplacements et des festivités du Nouvel An chinois.
L’économie du pays pourrait être propulsée
temporairement par un assouplissement de ces mesures au deuxième
trimestre de l’année prochaine.
Le marché chinois de l’immobilier est également dans la
mire du gouvernement. Les spécialistes de la Chine doutent toutefois
que des mesures majeures soient proposées lors du Congrès
national, du moins à grande échelle, puisque « le
logement est fait pour vivre, et non pour spéculer », selon
le gouvernement. Néanmoins, il s’agit d’un secteur
clé. Il est donc possible que des efforts supplémentaires pour
le stabiliser soient déployés.
D’un point de vue économique général, la Chine
pourrait recommencer à se fixer un objectif de croissance annuelle, qui
pourrait être d’environ +5,5 %. Bien
qu’inférieure aux résultats antérieurs du pays,
cette cible est nettement supérieure aux prévisions pour
2022. Les principales ambitions économiques devraient comprendre
ce qui suit :
-
accroissement de la « prospérité
commune » (c’est-à-dire la réduction des
inégalités) ;
- amélioration de la production manufacturière ;
-
amélioration de la sécurité des chaînes
d’approvisionnement des secteurs des aliments, de
l’énergie et des semi-conducteurs ;
- poursuite des efforts de décarbonisation.
Évolution de la conjoncture économique
Effets des ouragans
Les ouragans Fiona et Ian ont causé des dommages considérables
dans les Caraïbes et le long de la côte de l’Atlantique.
Selon les estimations préliminaires, Fiona a causé entre
300 et 700 millions de dollars canadiens de sinistres assurés
au Canada, tandis que les estimations pour Ian aux États-Unis se
situent entre 40 et 70 milliards de dollars.
En plus de la perte tragique de vies humaines et de biens, les ouragans auront
inévitablement des effets sur les données économiques de
la fin de septembre et d’octobre. À cause des pannes de courant,
des dommages matériels et du déplacement de dizaines de milliers
de personnes, certaines entreprises n’ont tout simplement pas
été en mesure de fonctionner à leur rythme normal. Le PIB
de la Floride pourrait s’établir à six points de
pourcentage de moins au troisième trimestre, et celui de
l’ensemble des États-Unis à 0,3 point de pourcentage
en deçà de la normale.
Bien sûr, les pertes économiques dues aux catastrophes naturelles
sont en général entièrement
récupérées au cours des trimestres suivants, et,
paradoxalement, l’activité économique des zones
frappées par les ouragans a tendance à être plus forte au
cours des années suivantes, grâce à la reconstruction. Le
moment pourrait donc être particulièrement opportun pour les
travailleurs de la construction, étant donné le ralentissement
du marché du logement américain.
Données économiques
La dernière publication des résultats de FedEx, qui
annonçait une baisse récente des volumes, tant à
l’échelle internationale qu’aux États-Unis,
n’augure rien de positif à l’échelle mondiale. En
principe, FedEx devrait être un bon indicateur de
l’activité économique.
L’indice du secteur manufacturier de l’Institute for Supply
Management (ISM) est passé de 52,8 à 50,9 en
septembre, soit tout juste au-dessus du seuil entre croissance et
fléchissement pour le secteur (voir le graphique suivant). Les
nouvelles commandes sont passées de 51,3 à 47,1 et
l’emploi, de 54,2 à 48,7, ce qui pourrait nous donner
une idée de ce à quoi nous attendre.
Détérioration de l’activité manufacturière
aux États-Unis
Les prévisions relatives au PIB des États-Unis pour le
troisième trimestre continuent de baisser. Les prévisions
immédiates de croissance annualisée de la Réserve
fédérale de Saint-Louis pour le PIB ont chuté à
0,55 %, et celles de la Réserve fédérale
d’Atlanta ont chuté à 0,3 %. Entre-temps, les
prévisions générales de croissance de Blue Chip pour le
troisième trimestre ont en fait glissé en territoire
légèrement négatif.
Cela dit, il est loin d’être vrai que chaque indicateur
économique est faible. Les États-Unis demeurent parmi les
économies les plus résistantes, les demandes initiales de
prestation d’assurance-emploi ayant récemment cessé
d’augmenter (voir le graphique suivant).
Les demandes initiales de prestation d’assurance-emploi aux
États-Unis continuent de diminuer
Étrangement, et contrairement aux prévisions de
détérioration de la croissance, l’outil de suivi
hebdomadaire de l’économie de l’OCDE pour les
États-Unis a plutôt fait état d’une
accélération récemment (voir le graphique suivant).
Outil de suivi hebdomadaire de la croissance du PIB de l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) pour
les États-Unis
La principale conclusion est que même si certaines données
économiques fléchissent, la détérioration
n’est pas encore généralisée et nous ne sommes pas
encore sur le point de connaître une récession majeure.
Saccades du marché du logement
Le marché du logement a tendance à être le secteur de
l’économie le plus pénalisé lorsque les taux
d’intérêt augmentent. L’effet direct de ce
phénomène a bien été étayé aux
États-Unis, notamment la baisse marquée de la confiance sur le
marché du logement, le repli des reventes de logements, une chute
amorcée des mises en chantier et une légère diminution
des permis de construction (voir le graphique suivant). Jusqu’à
présent, l’emploi dans la construction résidentielle et
les prix des maisons n’ont pas encore été fortement
touchés, même s’ils finiront par l’être. Toutes
ces statistiques devraient reculer davantage au cours des prochains
trimestres.
Les statistiques du marché du logement aux États-Unis laissent
paraître une faiblesse grandissante
La faiblesse du marché du logement commence à déteindre
sur les industries adjacentes, comme la fabrication et la vente de meubles
(voir le graphique suivant).
La faiblesse du marché du logement se traduit par une diminution des
ventes de meubles et de l’emploi
Distorsions du marché du travail
Nous nous demandons régulièrement pourquoi le marché du
travail est si tendu aujourd’hui. Voici plusieurs grandes
explications :
-
La brutalité du rebond économique global au cours des
dernières années, au point de provoquer la surchauffe dans de
nombreux pans de l’économie, y compris le marché du
travail.
-
Un changement des préférences du secteur sur le plan des
désirs des consommateurs et de l’offre de
main-d’œuvre, mutuellement en porte à faux.
-
De nombreux départs à la retraite anticipés pendant la
pandémie (représentant plusieurs millions de personnes aux
États-Unis).
-
L’importante désertion de la population active par les jeunes
en âge de travailler (se dénombrant aussi en quelques millions
de personnes aux États-Unis).
Nous avons généralement attribué le changement de
comportement de ces deux derniers groupes à l’évolution
des priorités familiales, à la peur de tomber malade et à
l’accumulation de richesses excédentaires au cours des deux
premières années de la pandémie. Les valorisations du
marché financier et des logements ont alors toutes augmenté et
l’épargne des ménages était supérieure
à la normale.
Mais il y a une autre réponse plausible à la réduction de
l’offre de main-d’œuvre : beaucoup de gens sont
peut-être encore malades. Nous ne faisons pas allusion aux personnes qui
ont souffert pendant une semaine de la COVID-19 à un moment
donné, mais plutôt aux malades de longue durée à
cause de la COVID-19, c.-à-d. qui présentent des symptômes
persistants pendant des mois, voire indéfiniment. Récemment, des
efforts ont été déployés à deux reprises
pour évaluer les répercussions de cette situation sur la
population active américaine.
-
La Brookings Institution estime que trois millions de travailleurs
équivalents temps plein ont quitté la population active du
fait de cas de COVID-19 de longue durée. Cela expliquerait en grande
partie l’insuffisance du taux de participation au marché du
travail.
-
À l’inverse, selon une étude récente
d’universitaires de Stanford et du MIT, des chercheurs ont
estimé que 500 000 personnes
« seulement » sont absentes du marché du
travail du fait de cas de COVID-19 de longue durée. Cela est loin
d’expliquer l’ensemble de l’écart de la population
active, mais représente encore un nombre important de personnes.
Une autre distorsion du marché du travail, indépendante de
celle-ci, de nature plus temporaire est le fait que plus de personnes ont pris
des congés qu’au cours des dernières années, ce qui
exige probablement plus de remplacements de la part des entreprises et aggrave
ainsi temporairement le resserrement du marché du travail. Environ
4,8 millions de travailleurs ont pris des vacances ou des congés
personnels pendant la semaine de référence en juin, contre
3,7 millions l’année précédente. Cependant, il
reste à voir si plus de gens sont en vacances par rapport au niveau
normal avant la pandémie à cause des jours de congé
accumulés... Telle est la véritable question.
Risques géopolitiques
On sous-estime rarement les risques géopolitiques. En effet, on peut
toujours trouver quelque chose qui nourrit notre inquiétude. Mais en ce
moment, les risques semblent particulièrement sérieux. Et une
telle affirmation traduit en partie les changements structurels auxquels nous
assistons. Nous sommes maintenant dans un monde multipolaire, où
plusieurs jouent un rôle de gendarme et se livrent à une lutte
d’influence.
Mais il existe aussi des risques particuliers à court et moyen terme.
Naturellement, on pense d’abord à la possibilité
d’une grave escalade de la guerre en Ukraine. La Russie menace de lancer
des attaques nucléaires en employant un ton inédit parmi les
puissances dotées de l’arme atomique. Alors que le pays dispose
d’autres options pour ne pas perdre la face, le risque d’une
frappe nucléaire n’est pas nul.
Un autre risque, qui pourrait avoir de très lourdes
conséquences, mais demeure relativement faible (bien qu’il ait
tendance à augmenter comme pour le conflit en Ukraine), serait une
invasion de Taïwan par la Chine. Cela pourrait entraîner une guerre
entre les États-Unis et la Chine, avec des conséquences
économiques en cascade qui pourraient éclipser l’effet des
sanctions contre la Russie. Nous avons l’intention d’écrire
des articles sur ce sujet dans les semaines à venir.
L’Iran représente un autre risque. Le pays est
littéralement sur le point de développer des armes
nucléaires, et la question est de savoir si les États-Unis ou
Israël pourraient essayer d’arrêter ce processus par la
force. Les efforts visant à conclure un autre accord avec les
États-Unis sont au point mort, peut-être parce que l’Iran
cherche à gagner du temps pour mettre la dernière main à
son programme nucléaire. L’influence de l’Iran s’est
considérablement accrue au fil des ans. Elle s’étend
maintenant non seulement à la Syrie et au Liban, mais aussi à
une grande partie de l’Irak. Il est intéressant de constater que
cette situation a donné naissance à d’étranges
alliances, puisque l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis,
l’Égypte et Israël se trouvent provisoirement unis dans leur
opposition à l’Iran. Le Moyen-Orient joue toujours un rôle
très important dans l’économie mondiale, étant
donné que les pays de l’OPEP produisent encore environ 40 %
du pétrole à l’échelle planétaire.
La polarisation aux États-Unis constitue un autre risque
géopolitique manifeste. Selon certains paramètres, cette
polarisation est encore plus importante qu’elle ne l’était
pendant la guerre de Sécession (voir le graphique suivant).
Jusqu’à présent, cela a eu curieusement peu d’effet
sur l’économie américaine, mais on craint une incidence
potentielle, notamment en raison de politiques publiques plus extrêmes
(et sans conteste plus néfastes), d’une perte de confiance entre
les entreprises et les citoyens, des conséquences de l’ajout
d’une prime de risque plus élevée dans les coûts
d’emprunt, voire d’un coup d’État. Les
élections de mi-mandat aux États-Unis ne semblent pas empirer
les choses, mais cela pourrait arriver lors des élections de 2024.
La partisanerie atteint un niveau record au Congrès
Les enjeux politiques ne se limitent pas aux États-Unis. Un certain
nombre de pays européens ont amorcé récemment un virage
très à droite, comme en Italie et en Suède. Le
scepticisme à l’égard de l’Union européenne
étant une des caractéristiques de certains de ces partis, cela
pourrait encore entraîner des complications pour l’Europe au
niveau supranational.
La liste des risques géopolitiques se renouvelle continuellement.
Doit-on s’attendre à des troubles importants après les
élections au Brésil ? Les aspirations de la Russie à
bâtir un empire pourraient-elles amener le pays à
s’approprier une plus grande partie de l’Arctique, ce qui aurait
des conséquences pour le Canada ? Les accrochages entre la Chine
et l’Inde – les deux pays les plus peuplés du monde –
pourraient-ils dégénérer en guerre totale ? Les pays
émergents pourraient-ils s’en prendre au monde
développé, en exigeant d’énormes réparations
financières pour les dégâts causés par le
changement climatique ?
Peu de ces scénarios sont susceptibles de se produire à court
terme, et il est généralement déconseillé
d’investir en se fondant principalement sur des risques
géopolitiques. Mais de temps à autre, ceux-ci finissent par
prendre beaucoup d’importance, comme durant la période qui a
précédé l’invasion de l’Ukraine par la
Russie.
– Avec la contribution de Vivien Lee, de
Vanessa Adamset et d’Aaron Ma
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