Regard sur les placements mondiaux
- Notre numéro du printemps 2019, intitulé Les banques centrales à la rescousse, est maintenant accessible.
Adoucissement de la politique de la Fed
- La semaine dernière, la Réserve fédérale américaine (Fed) a laissé son taux directeur inchangé et revu son évaluation de l’économie à la baisse. Elle a ainsi révélé un penchant, qui était largement escompté, pour une politique plus accommodante. La banque centrale a retranché 0,2 point de pourcentage à ses prévisions de croissance pour 2019 et 2020, relevé sa prévision du taux de chômage de 0,2 point de pourcentage et abaissé sa prévision d’inflation de 0,1 point de pourcentage.
- Toutefois, le changement de cap de la Fed est plus important que prévu, ce qui a contribué à une diminution appréciable des taux obligataires. Deux changements ressortent en particulier.
- Premièrement, le niveau du taux des fonds fédéraux à la fin de l’année représenté sur le graphique à points de la Fed (obtenu au moyen des prévisions anonymes des 17 participants du FOMC) a reculé plus que prévu. À l’instar du marché, nous nous attendions à ce que la prévision médiane du nombre de hausses de taux en 2019, qui était auparavant de deux, passe à une seule. Or, elle annonce plutôt le statu quo du taux directeur pour 2019.
- Ce résultat ne signifie pas que la Fed ait mis fin pour de bon au resserrement de la politique monétaire. Parmi les participants, 11 ont privilégié le statu quo et six prévoient encore la poursuite du resserrement, tandis qu’aucun n’a activement prévu de baisse de taux. Par conséquent, la distribution des votes autour du statu quo pointe vers le haut. De plus, la prévision médiane pour 2020 s’établit à une seule hausse de taux (sept des 17 participants ont cependant voté aussi pour le statu quo en 2020).
- Bien sûr, abstraction faite des dernières années, la Fed a tendance à prévoir plus de tours de vis monétaires qu’elle n’en donne en réalité. Cela dit, lorsque la Fed a soudainement abaissé sa prévision pour adopter la position de statu quo favorisée depuis longtemps par le marché obligataire, celui-ci a ensuite jugé bon de rajuster encore plus le tir. Ainsi, il prend maintenant en compte 73 % d’une éventuelle réduction de taux de 25 points de base (pb) d’ici la fin de 2019. Selon nous, la plus forte probabilité est le statu quo du taux des fonds fédéraux, mais tant des baisses que des hausses de taux sont tout à fait possibles selon l’évolution du cycle économique.
- La seconde mesure accommodante a trait au bilan de la banque centrale. La Fed a dévoilé la teneur de son plan visant à mettre fin à l’ère de l’assouplissement quantitatif. Après avoir longtemps appliqué des mesures d’assouplissement quantitatif qui ont stimulé la croissance et presque sextuplé la taille de son bilan, la Fed s’est employée au cours des dernières années à la ramener à des proportions plus acceptables. La fin du processus se profile maintenant : les ventes mensuelles nettes de titres du Trésor par la Fed, qui s’élèvent actuellement à 30 G$ US, passeront à 15 G$ US en mai, puis cesseront complètement à la fin du mois de septembre. Cette échéance est un peu plus rapprochée qu’on le croyait auparavant.
- Bref, le soutien apporté à la politique monétaire est plus important que celui qui était prévu au départ ; il favorise l’assouplissement des conditions financières aux États-Unis et stimule un peu plus la croissance économique.
- En revanche, la mesure pourrait se solder par un demi-échec, car la Fed a maintenant les mains liées. La banque centrale se montre non seulement plus prudente quant à l’avenir, mais elle a aussi perdu sa capacité d’accroître la confiance sans recourir de nouveau à des réductions de taux. Elle jouerait alors un jeu dangereux, car elle signalerait ainsi que l’économie est atteinte d’un mal profond, ce qui pourrait avoir pour effet d’inquiéter davantage les investisseurs et les acteurs économiques que de les inciter à emprunter.
- C’est pourquoi nous sommes d’avis qu’il aurait mieux valu que la Fed reporte l’annonce de sa réorientation par rapport au resserrement quantitatif et n’utilise ce dernier atout qu’au moment où les marchés ont davantage besoin de stimulation.
Inversion de la courbe de rendement
- Aux États-Unis, la courbe des taux à trois mois par rapport aux taux à dix ans s’est inversée, c’est-à-dire que le taux du bon du Trésor à trois mois est maintenant légèrement supérieur au taux de l’obligation d’État à dix ans. La courbe des taux à deux ans par rapport aux taux à dix ans demeure positive pour le moment, mais l’écart est faible.
- Il s’agit d’un important changement, étant donné que depuis plusieurs décennies, l’inversion de la courbe de rendement constitue un signe fiable annonciateur de récession. Les taux obligataires sont en effet considérés comme un indicateur des prévisions de croissance pour la période visée. Ainsi, si le marché anticipe un ralentissement de la croissance à long terme (obligation à dix ans) par rapport aux perspectives actuelles (bon à trois mois), cela signifie que l’économie est en perte de vitesse. Une telle décélération se termine souvent par une récession.
- Pourquoi la courbe s’est-elle inversée ? Du point de vue économique, l’aplatissement de la courbe qui s’est produit au cours des dernières années n’a rien de surprenant : la Fed a relevé ses taux à court terme (qui déterminent en grande partie le taux à trois mois), tandis que l’avancement du cycle a amoindri les attentes de croissance et d’inflation à long terme (prises en compte dans le taux à dix ans). Nous avions prédit voilà quelque temps qu’une inversion aurait probablement lieu en 2019.
- Cependant, la récente décision de la Fed a sans doute joué un rôle déterminant. À première vue, cette évolution peut sembler illogique, car la Fed a adouci le ton au lieu de poursuivre le resserrement. Le taux à trois mois a bel et bien légèrement reculé après la révision à la baisse du nombre de hausses de taux prévues. Toutefois, les taux à long terme ont chuté de manière nettement plus marquée : le taux à dix ans est passé de 2,61 % le 29 mars à 2,39 % le 25 mars. Cette baisse s’explique par l’inquiétude que suscitent les prévisions de croissance moins encourageantes de la Fed et le fait que le cycle économique semble tirer à sa fin.
- Pour compliquer (un peu) les choses, l’aplatissement observé durant les derniers mois est attribuable à un effet baissier : l’écart entre taux à long terme et taux à court terme diminue non pas parce que ceux à court terme montent, mais parce que ceux à long terme baissent. Autrement dit, ce ne sont pas les perspectives à court terme qui suscitent de l’optimisme, mais les perspectives à long terme qui se sont assombries.
- Plusieurs facteurs positifs atténuent les préoccupations :
- Premièrement, selon la plupart des modèles économétriques, l’inversion de la courbe de rendement doit durer un trimestre entier avant qu’on puisse y voir un signe de récession. Ce n’est pas encore le cas et la courbe pourrait même repasser en territoire positif avant que cela se produise.
- Deuxièmement, comme nous l’avons déjà souligné dans le passé, le marché obligataire n’offre pas de prime de terme à l’heure actuelle et l’inversion de la courbe devrait donc, en théorie, être plus prononcée que d’habitude pour véritablement annoncer une récession. Cependant, il est préférable de ne pas fonder trop d’espoir sur cette idée. D’autres mesures, tel que l’écart des contrats à terme sur le bon du Trésor à trois mois dans un trimestre et dans six trimestres, que privilégie la Fed, ne subissent pas la distorsion causée par une prime de terme aberrante et viennent aussi de s’inverser.
- Troisièmement, les récessions surviennent en moyenne environ un an après que la courbe s’est inversée. La récession n’est donc pas pour demain ; l’inversion conforte plutôt des prévisions de récession pour l’année prochaine. Nous avons donc encore le temps de souffler.
- En résumé, l’inversion de la courbe de rendement est assurément de mauvais augure, mais comme elle s’est produite très graduellement, elle n’a pas provoqué de choc. De plus, la probabilité d’une récession n’est pas pour tout de suite. Ces conclusions concordent avec notre feuille de pointage du cycle économique, qui continue de refléter un stade avancé, bien que de plus en plus de données traduisent une fin de cycle.
- Depuis quelque temps, nous estimons que la probabilité d’une récession aux États-Unis se situe environ à 35 % pour 2019 et à 40 % pour 2020. Compte tenu de la récente inversion de la courbe, les modèles de récession officiels commencent à s’aligner sur cette évaluation.
- En ce qui concerne le marché, nous recommandons aux investisseurs de limiter les risques qu’ils prennent en raison de l’avancement du cycle. Ils ne doivent pas pour autant sortir du marché, compte tenu des perspectives de croissance économique à court terme et des valorisations relatives des actions et des obligations.
- Avec la contribution de Vivien Lee
Rapport Mueller
- Le rapport complet de Robert Mueller n’a pas encore été rendu public, mais la principale révélation jusqu’à maintenant est l’absence de preuves de la conspiration présumée entre la Russie et les acteurs de la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016.
- Cette révélation est plutôt étonnante, étant donné les 2 800 citations à comparaître, les 500 témoins et les 34 mises en accusation dans le cadre de l’enquête de M. Mueller.
- De plus, M. Mueller a choisi de ne pas se prononcer sur les présumées entraves à la justice. Il incombe donc au ministère de la Justice de trancher la question, mais celui-ci a décidé de ne pas intenter de poursuite à cet égard.
- Bien entendu, des membres de l’entourage du président Trump, dont son directeur de campagne et son avocat personnel, ont été reconnus coupables de diverses infractions.
- Il n’en reste pas moins que près d’une douzaine d’autres enquêtes actuellement menées au Congrès ou dans des États pourraient faire ressortir de nouveaux renseignements ou permettre de tirer une conclusion différente à l’aide de renseignements existants.
- Malgré la quantité d’enquêtes en cours, celle de M. Mueller était sans doute la plus importante et probablement la plus exhaustive du lot. Par conséquent, la probabilité que le président Trump soit destitué par la Chambre des représentants a certainement diminué, tout comme la possibilité d’un départ prématuré du président avant 2020, et ses chances de réélection pour 2020 ont sans doute augmenté (bien que les jeux ne soient pas encore faits).
Budget du Canada
- Voici quatre brèves observations relatives au budget fédéral dévoilé la semaine dernière :
- Premièrement, le budget comprend peu de mesures destinées aux investisseurs et aux entreprises ; les taxes et impôts demeurent sensiblement inchangés et aucune amélioration majeure n’a été apportée sur le plan de la compétitivité. L’imposition des options sur actions est devenue moins attrayante pour tous, sauf pour les entreprises en démarrage. En revanche, les petites entreprises pourraient accéder plus facilement aux incitatifs en recherche et développement.
- Deuxièmement, dans la mesure où il s’agit d’un budget axé sur les dépenses, tout l’enthousiasme qu’il suscite est lié à la croissance des recettes plus rapide que prévu en 2018-2019 et à l’hypothèse selon laquelle cette croissance se maintiendra à l’avenir, plutôt que la croissance des dépenses particulièrement rapide prévue pour les prochaines années. En fait, la croissance des dépenses nominales projetée pour les cinq prochaines années est seulement de 3 % par année. Bien entendu, les prochains budgets pourraient s’écarter de ce plan.
- Troisièmement, comme d’habitude, les nouveaux programmes de dépenses abondent. En voici quelques-uns particulièrement notables :
- Habitation : Le gouvernement prendra une participation allant jusqu’à 10 % pour l’achat d’une nouvelle maison, réduisant ainsi les frais de possession réels pour les acheteurs intéressés. Malheureusement, cette mesure fera probablement augmenter le prix des maisons, ce qui va à l’encontre de l’objectif consistant à rendre le marché du logement plus accessible aux milléniaux. De plus, le gouvernement s’expose ainsi davantage au recul du marché du logement. Toutefois, le programme est probablement sans conséquence, compte tenu du budget prévu de seulement 416 M$, et ses règles font en sorte que les acheteurs dans les villes où les maisons sont les plus inabordables ne pourront pas en profiter pleinement. Une mesure plus pertinente et avantageuse, mais qui attire moins d’attention, est le financement additionnel de 9 G$ alloué à la construction d’immeubles locatifs.
- Formation : Le gouvernement a créé un programme pour le perfectionnement des compétences des travailleurs. Cependant, le grand nombre de programmes de formation existants et la complexité de ce nouveau programme laissent croire qu’il n’y aura pas une grande incidence sur l’équation du capital humain.
- L’idée d’un régime d’assurance-médicaments louable continue de germer. Plus de détails devraient être annoncés cet été.
- D’autres changements comprennent des programmes concernant le maintien des personnes âgées sur le marché du travail, la construction d’infrastructures, le soutien du journalisme canadien et l’accès Internet dans les régions rurales. Les agriculteurs recevront une indemnisation de 3,9 G$ pour faire face aux conséquences des modifications apportées aux règles de l’Accord États-Unis–Mexique–Canada.
- Quatrièmement, la situation financière du gouvernement fédéral demeure relativement bonne ; le déficit équivaut à moins de 1 % du PIB et le faible ratio dette publique/PIB est en diminution progressive. Quoi qu’il en soit, le gouvernement a abandonné depuis longtemps sa promesse d’équilibre budgétaire cette année (le déficit actuel étant de 15 G$). Par ailleurs, même si la stabilité prévue laisse présager une amélioration constante de la situation budgétaire, une analyse plus réaliste tenant compte des réalités du cycle économique permettrait de conclure que toute éventuelle récession pourrait nuire considérablement à la dette publique.
Aperçu précoce des élections au Canada
- L’imminence des élections fédérales, qui se tiendront dans un peu moins de sept mois, a suscité les réflexions préliminaires qui suivent.
- Les libéraux, qui détiennent le pouvoir, ont récemment chuté dans les sondages pour diverses raisons, dont le scandale impliquant SNC-Lavalin, l’impopularité des taxes sur le carbone, les initiatives infructueuses en matière d’infrastructures, les nombreuses bourdes commises lors d’une visite d’État en Inde et l’échec de la négociation d’un accord commercial avec la Chine. Le ralentissement de l’économie pourrait aussi commencer à peser lourd.
- Par conséquent, la popularité du premier ministre Justin Trudeau a considérablement reculé pour passer de 45 % à tout juste 31,4 %. Parallèlement, Andrew Scheer, le chef conservateur encore mal connu, a gagné en popularité et jouit maintenant de la même cote que M. Trudeau.
- Comme l’incarnation du parti libéral repose actuellement de manière démesurée sur le nom et la popularité de M. Trudeau, les prochaines élections risquent d’être difficiles.
- Les dernières élections provinciales en Ontario et au Québec ont fait ressortir un penchant apparent pour des gouvernements davantage orientés vers la droite.
- Le Canada Poll Tracker estime maintenant à 58 % les chances d’une victoire des conservateurs, comparativement à 42 % pour les libéraux. Ces chiffres dénotent tout un revirement de situation par rapport à l’année dernière, alors qu’il s’agissait presque exclusivement de savoir si le prochain gouvernement libéral serait majoritaire ou minoritaire.
- En ce qui a trait à la majorité/minorité, la probabilité que les conservateurs forment un gouvernement majoritaire est estimée à 31 %, contre seulement 22 % pour les libéraux. Les conservateurs ont 28 % de chances de former un gouvernement minoritaire, comparativement à 21 % pour les libéraux. Les chiffres ayant été arrondis, la somme ne correspond pas à 100.
- Bien entendu, plusieurs choses ont le temps de changer. Il reste encore plusieurs mois avant l’élection. De plus, comme SNC-Lavalin n’est pas le plus juteux des scandales politiques, il pourrait bien être oublié et le nouveau parti populaire, de droite, est susceptible d’arracher des votes aux conservateurs.
- Les plateformes n’ont pas encore été rédigées, mais on peut facilement imaginer des positions radicalement opposées sur des sujets comme la fiscalité, la réglementation et l’environnement. À suivre.
- Avec la contribution de Nicola Deery
Le point sur le Brexit
- Comme nous l’avons mentionné la semaine dernière, la durée de vie d’une analyse sur le Brexit est extrêmement brève. À cet égard, les choses semblent se compliquer au lieu de s’améliorer.
- Pour le moment, l’UE a accepté de reporter la date butoir du Brexit au 12 avril. Cette décision fait diminuer la pression, mais un accord reste toujours à conclure.
- Actuellement, presque tout paraît encore possible : la tenue d’un autre vote parlementaire le 26 mars sur l’accord conclu par la première ministre Theresa May, la démission de la première ministre par suite d’un vote défavorable, un référendum, etc.
- Tandis que son accord semblait avoir une chance d’être approuvé lors du dernier vote proposé il y a des lustres (c’est-à-dire la semaine dernière !), le DUP, partenaire de coalition du gouvernement, a déclaré qu’il ne l’appuierait pas, et il est loin d’être sûr que le parti travailliste votera en sa faveur. Par conséquent, le vote semble vraisemblablement voué à l’échec.
- Même si le risque d’un Brexit brutal et désordonné n’est pas nul et a probablement augmenté au cours de la dernière semaine, nous continuons de croire que la probabilité est faible dans l’ensemble. Il s’agit toutefois d’une tactique alarmiste efficace.
- Manifestement, l’attitude du public a changé envers le Brexit et si les parlementaires pouvaient voter selon leur conscience et sans tenir compte de leur ligne de parti, ils appuieraient probablement un Brexit moins brutal. Au moment où la discipline des partis se relâche, cette éventualité pourrait s’avérer décisive.