J’ai passé les deux dernières semaines à sillonner l’Asie pour rencontrer des clients institutionnels. Trois grands thèmes se sont dégagés. Premièrement, l’économie chinoise a effectivement ralenti. Deuxièmement, les investisseurs asiatiques sont optimistes au sujet des perspectives à court terme des actifs à risque. Troisièmement, en déjeunant au buffet des hôtels pendant dix jours consécutifs, j’ai pris beaucoup de poids. Malheureusement, la période des Fêtes qui s’en vient pourrait retarder ma remise en forme…
Webémission mensuelle
- À la fin de novembre, nous avons mis en ligne une webémission mensuelle sur l’actualité économique intitulée « Bonheur sur les marchés / Indicateurs macroéconomiques en demi-teinte ».
Revue de 2019 / Avant-goût de 2020
- Aucune chronique de fin d’année ne serait complète sans une réflexion sur l’année écoulée et l’année à venir.
- Réflexion sur l’année 2019 :
- L’année 2019 a ressemblé à 2018 à plusieurs égards. La croissance économique mondiale a continué de ralentir et d’importants risques macroéconomiques baissiers sont restés au cœur des discussions.
- Cependant, les rendements des marchés n’auraient pu être plus différents d’une année à l’autre, puisque les actifs à risque ont nettement dominé en 2019.
- Trois grandes différences ont permis à 2019 de se distinguer de l’année précédente.
- Tout d’abord, les banques centrales sont passées de hausses de taux à des baisses, mettant en œuvre d’importantes mesures de relance. Ce changement de cap a considérablement stimulé la confiance sur le marché.
- De plus, la croissance mondiale a commencé à marquer un creux timide à l’automne 2019, ce qui a offert de l’espoir aux investisseurs.
- Enfin, les risques de baisse ont commencé à s’amenuiser au cours du dernier tiers de 2019. Entre autres, le risque de récession a diminué, le risque d’un Brexit sans accord s’est atténué, et les États-Unis et la Chine ont conclu un accord commercial provisoire. Les marchés ont ainsi pu surmonter le climat d’inquiétude.
- Pendant que cette évolution se produisait, nous avons accru la pondération des actions dans nos portefeuilles au cours du dernier trimestre.
- Perspectives pour 2020 :
- La stabilisation de la croissance mondiale devrait se poursuivre. Il ne s’agit pas d’un scénario certain, mais probable. L’effet à retardement des mesures de stimulation monétaire précédentes sera sans doute le principal soutien, tandis que l’effet à retardement des mesures protectionnistes précédentes devrait exercer une influence contraire, empêchant une forte accélération de la croissance. Un redressement est déjà visible en Chine et dans la zone euro, alors que les signes sont plus ambigus aux États-Unis et demeurent plutôt défavorables au Japon et au Royaume-Uni.
- Le dernier indice d’une stabilisation de la croissance est attesté par les perspectives consensuelles pour la croissance du PIB dans les principaux marchés en 2020, qui ont en fait augmenté en novembre pour la première fois depuis plusieurs mois.
- Les risques de baisse devraient être un peu moins existentiels qu’en 2018 et en 2019, même si nous tenons à dire que le cycle économique semble encore passablement avancé. De même, un accord permanent sur le Brexit n’a pas encore été négocié, les frictions entre les États-Unis et la Chine ne devraient pas disparaître complètement, et les élections de 2020 aux États-Unis, qui pourraient revêtir une importance cruciale, approchent de plus en plus.
- En théorie, une stabilisation accrue de la croissance et un contexte caractérisé par des risques relativement restreints devraient être favorables aux actifs à risque en 2020. Cependant, n’oublions pas que rien ne plaît davantage aux marchés que de progresser en raison de la disparition de problèmes ou de risques. Dans la mesure où les obstacles de ce genre semblent de prime abord moins nombreux, les possibilités de gains impressionnants pourraient être moins grandes qu’en 2019.
Accord commercial entre les États-Unis et la Chine
- Le 13 décembre, l’accord de « phase 1 » tant attendu entre les États-Unis et la Chine a été annoncé, tout juste avant la date butoir du 15 décembre à laquelle les tarifs douaniers entre les deux pays auraient été augmentés. Les États-Unis ont fait savoir qu’ils espéraient ratifier l’accord au début de janvier.
- Cette annonce représente de toute évidence une très bonne nouvelle, mais le débat est loin d’être clos.
- Les faits saillants de l’entente de principe sont les suivants :
- Les États-Unis ne mettront pas en œuvre les tarifs de 15 % qu’ils menaçaient d’imposer sur une nouvelle tranche de 160 G$ de biens de consommation chinois, et la Chine annulera les tarifs de rétorsion qu’elle envisageait de mettre en place. Il s’agit d’une décision importante, étant donné que les tarifs que les Américains envisageaient de mettre en œuvre auraient eu une incidence sur des produits très populaires, comme les iPhone. Par ailleurs, le fait qu’il s’agissait de produits de consommation (et de la faible marge sur la plupart des biens de consommation) signifie que les tarifs auraient eu une incidence évidente sur le portefeuille des Américains.
- Les tarifs imposés par les Américains le 1erseptembre dernier sur 120 G$ de produits de consommation chinois seront réduits de moitié, passant de 15 % à 7,5 %.
- La Chine s’est engagée à acheter davantage de produits américains, soit un total d’environ 100 G$ de plus pour chacune des deux prochaines années, dont 16 G$ à 20 G$ de plus de produits agricoles. Cette dernière promesse pourrait être difficile à respecter, car il faudrait que la Chine multiplie par trois, environ, ses importations de produits agricoles américains par rapport à leur niveau de 2018, et qu’elle dépasse d’environ 50 % leur niveau de 2017.
- La Chine s’est aussi engagée à modifier ses règles concernant la propriété intellectuelle, à appliquer plus vigoureusement les lois existantes en la matière et possiblement à réduire la mesure dans laquelle les entreprises américaines sont contraintes de partager leurs technologies avec des entreprises chinoises. Les détails à ce propos restent vagues, et il est possible que certains éléments soient reportés jusqu’à la conclusion d’un accord de phase 2.
- La Chine a aussi promis d’élargir l’accès à son secteur des services financiers aux entreprises étrangères, mais le pays accomplit déjà des progrès à cet égard, en raison de l’accroissement des occasions d’investissements étrangers sur les marchés chinois et de la participation encore plus directe dans le système financier du pays.
- Enfin, la Chine a promis de ne pas manipuler sa monnaie, mais nous signalons que, récemment, le pays a davantage cherché à soutenir sa monnaie qu’à la déprécier, et qu’il fait déjà preuve d’une bonne transparence dans ses interventions.
- Pratiquement toutes ces décisions avaient déjà fait l’objet de rumeurs ou d’engagements provisoires de la part de la Chine lors des rondes de négociation précédentes ou plus tôt dans l’actuel processus de négociation.
- Nous avons toujours cru que les deux pays parviendraient à éviter une nouvelle augmentation des tarifs douaniers, le 15 décembre ; toutefois, notre scénario de base ne prévoyait pas de réduction des tarifs en vigueur. Il s’agit donc d’une bonne surprise, quoique modeste.
- N’exagérons toutefois pas les avantages de l’accord commercial :
- La plupart des tarifs douaniers restent en vigueur ; en fait, le taux effectif des tarifs américains imposés sur les biens importés a simplement diminué de 4,6 % à 4,2 %, et demeure largement supérieur au taux de 1,7 % qui était en vigueur en 2017. La baisse a simplement réduit le taux des tarifs de 14 % par rapport à leurs niveaux antérieurs à la guerre commerciale. En guise de contexte, si les tarifs douaniers annoncés pour le 15 décembre étaient entrés en vigueur comme prévu à l’origine, leur taux serait passé de 4,6 % à 5,6 %.
- Cet accord commercial n’est pas encore chose faite. Le libellé reste à finaliser, et une approbation officielle est requise. Rappelons qu’au printemps dernier, un accord qui semblait en voie d’être ratifié avait finalement été rejeté. Bien qu’un échec aussi retentissant soit peu probable, de nouvelles discussions devront sans doute avoir lieu, puisque les deux pays, soucieux d’éviter une hausse des tarifs le 15 décembre, n’ont eu d’autre choix que de conclure un accord hâtif. Le risque de désaccord ou de dilution est donc bien réel.
- Un accord de phase 2 pourrait s’avérer difficile à conclure. La phase 1 porte en effet sur les éléments plus simples de l’entente, et il est peu probable que la Chine cède aux pressions des États-Unis et réduise de façon marquée son soutien aux sociétés d’État. D’une manière plus générale, nous nous attendons à ce que les États-Unis et la Chine poursuivent leur bras de fer à plusieurs niveaux dans un avenir prévisible.
- Enfin, les tarifs douaniers pourraient nuire davantage à la croissance en 2020 qu’ils ne l’ont fait en 2019. Au début de 2020, le taux des tarifs devrait être inférieur à ce qu’il était à la fin de 2019, mais il convient de se rappeler que des tarifs relativement modérés étaient en vigueur pendant la première moitié de 2019. Par ailleurs, les tarifs douaniers infligent des dommages économiques avec un certain décalage ; la période des tarifs plus élevés de la deuxième moitié de 2019 présente donc une pertinence centrale pour la croissance de la première moitié de 2020.
Élections au Royaume-Uni/Brexit
- Les risques de baisse liés au Brexit continuent de diminuer, au grand bonheur des marchés financiers.
- Les élections du 12 décembre au Royaume-Uni ont permis au premier ministre conservateur, Boris Johnson, d’obtenir une majorité plus importante que le prévoyaient les sondeurs.
- Fait intéressant à noter, les élections semblent avoir ébranlé les affiliations de longue date, les électeurs de la classe ouvrière ayant abandonné leur préférence traditionnelle pour le Parti travailliste et accordé leur vote aux conservateurs favorables au Brexit. Il est pour le moment impossible de déterminer si cette situation constitue un remaniement structurel du soutien semblable à celui qui s’est produit aux États-Unis au cours des dernières décennies ou s’il s’agit plutôt d’une réorientation tactique.
- Conformément à nos attentes, les marchés ont réagi de façon très positive, pas vraiment parce qu’une victoire des conservateurs permettra de réaliser un Brexit parfait – l’accord désormais probable négocié par M. Johnson étant sans doute plus nuisible qu’un éventail de solutions de rechange plus modérées –, mais parce qu’elle comporte deux facteurs positifs importants :
- Les élections offrent une voie à suivre toute tracée. Un gouvernement majoritaire devrait fournir un degré de cohérence qui s’était avéré inatteignable pour le gouvernement minoritaire précédent. Le Parti conservateur lui-même a été purgé de ses dissidents – la plupart de ses membres se prononceraient maintenant pour le plan du premier ministre. Par conséquent, l’accord provisoire de M. Johnson sera presque certainement ratifié par le Royaume-Uni et très probablement accepté officiellement par l’Union européenne (UE) avant la date limite du 31 janvier. L’incertitude chronique des trois dernières années et demie a porté un coup dur aux entreprises britanniques, qui disposent maintenant d’une voie à suivre beaucoup plus claire, aussi imparfaite soit-elle. Essentiellement, le risque d’un Brexit sans accord s’est grandement atténué. Un gouvernement travailliste minoritaire aurait peut-être opté pour un Brexit plus doux, mais l’incertitude se serait accentuée davantage.
- Les marchés financiers étaient inquiets à propos de la plateforme défavorable aux entreprises du Parti travailliste. La victoire du Parti conservateur semble avoir permis d’éviter le pire à cet égard.
- Évidemment, l’accord sur le Brexit en question constitue uniquement un arrangement provisoire. Le Royaume-Uni devra ensuite s’engager dans des négociations avec l’Union européenne et les autres nations concernant ses relations permanentes avec ses voisins. Les conservateurs aimeraient bien mettre la touche finale à l’accord avant la fin de 2020, ce qui semble optimiste étant donné la complexité des enjeux. Il est plus probable qu’un report d’échéance sera nécessaire. Autrement dit, l’incertitude entourant le Brexit ne s’est pas dissipée ; elle s’est simplement transformée en une nouvelle phase légèrement moins urgente, mais tout aussi substantielle.
Une destitution imminente
- La Chambre des représentants des États-Unis semble résolue à destituer le président Trump, le vote prépondérant étant prévu – à moins d’un revirement de situation – le mercredi 18 décembre.
- La commission judiciaire de la Chambre des représentants a retenu deux chefs d’accusation dans la procédure de destitution. Le premier inculpe le président d’abus de pouvoir relativement à la pression qu’il aurait mise sur l’Ukraine en lui demandant d’enquêter sur ses rivaux politiques aux États-Unis. Le second l’inculpe d’entrave au travail du Congrès en lien avec son obstruction à l’audition des témoins et son refus des citations à comparaître.
- La question de la destitution du président fera l’objet d’un vote en séance plénière à la Chambre des représentants et tout porte à croire qu’elle mènera à une procédure de destitution, compte tenu de la facilité à obtenir une majorité simple auprès de la Chambre à majorité démocrate.
- Fait à noter toutefois, la destitution n’est pas synonyme d’un départ de la Maison-Blanche. De fait, le président Clinton a été visé par une telle procédure, mais il a conservé la présidence. Il y a condamnation uniquement si elle est prononcée lors du procès au Sénat qui s’ensuivra.
- Le procès spécial au Sénat sera présidé par le juge en chef de la Cour suprême, mené par un nombre donné de représentants de la Chambre et présenté aux membres du Sénat, qui agiront comme jurés. Le Sénat nous a habitués à des audiences de quelques semaines suivant le début de la procédure de destitution, les jugements lors des deux seules occurrences passées, soit Bill Clinton et Andrew Johnson, ayant été prononcés en 36 et 81 jours, respectivement. Le cas présent pourrait prendre encore moins de temps, compte tenu de la réticence du président à autoriser les témoignages.
- Il est cependant peu probable que le Sénat décide de condamner le président et de le relever de ses fonctions, et ce, pour différentes raisons :
- l’histoire démontre qu’aucun président des États-Unis n’a jamais été destitué
- le Sénat est à majorité républicaine et le président jouit toujours d’un fort soutien de la base républicaine
- contrairement à la majorité simple exigée par la Chambre, le Sénat doit voter à la majorité qualifiée de 67 voix contre 100. Il faudrait donc que 20 sénateurs républicains se joignent aux démocrates et aux indépendants, ce qui est extrêmement improbable.
- Ainsi, toute la procédure de destitution tiendra lieu de réprimande au président, mais ne changera rien à la personne qui tient les rênes du pouvoir. Étonnamment, malgré le climat acrimonieux qui entoure cette affaire, les démocrates et les républicains réussissent à faire des progrès à d’autres égards, par exemple avec la loi sur les dépenses afin d’éviter une autre paralysie du gouvernement et l’accord commercial AEUMC.
- Nous doutons que la procédure de destitution s’avère une stratégie gagnante pour les démocrates lors du scrutin. Cela n’a certainement pas été le cas pour les républicains en 1998. Le parti semble plutôt poursuivre l’affaire par crainte de passer à l’histoire pour les mauvaises raisons s’il ne fait même pas en sorte que le président réponde de ses gestes.
Nouvelles de moindre importance
- La Réserve fédérale américaine (Fed) a opté pour une approche neutre dans le cadre de sa décision en matière de politique monétaire, réaffirmant par la même occasion son point de vue selon lequel trois baisses de taux devraient être suffisantes. Cette affirmation pourrait bien s’avérer exacte, mais nous tenons à souligner que la Fed s’est très rarement limitée à seulement trois baisses par le passé. Le plus souvent, un assouplissement total de plusieurs centaines de points de base a finalement été nécessaire. En outre, même si le scénario de base exact pour 2020 correspondait à un maintien des taux d’intérêt, il est important de tenir compte du scénario pessimiste prévoyant une récession, qui nécessiterait sans doute six baisses de taux supplémentaires. Les perspectives pondérées en fonction de ces deux scénarios indiquent qu’il ne faut pas ignorer certaines baisses de taux.
- L’énorme bond du marché de l’emploi aux États-Unis, où 266 000 postes ont été créés en novembre, est une nouvelle importante qui va à l’encontre des signes timides de détérioration observés ailleurs dans le secteur. La diminution du nombre de postes vacants, la hausse des demandes de prestation d’assurance-emploi et le recul des intentions d’embauche nous préoccupent toujours quelque peu, mais la création d’emplois en tant que telle ne semble pas avoir été touchée jusqu’à présent. À mesure que le marché se détend et que la croissance se stabilise, le risque d’une importante dégradation en matière de création d’emplois s’atténue.
- La Banque du Canada a rendu une décision assez neutre dans le cadre de laquelle elle a indiqué qu’elle se contente de rester sur la touche pour le moment. Nous continuons de croire que des baisses de taux sont possibles, étant donné les récentes données décevantes en matière d’emploi.
- Tandis que l’économie mondiale affiche une fragile stabilisation, le contexte économique demeure affaibli au Japon, caractérisé par un manque de vigueur des indices des directeurs d’achats, une détérioration des résultats de l’enquête Tankan, un recul de 4,5 % de la production industrielle et une chute marquée de 14,4 % des ventes au détail en octobre. Bien entendu, cette dernière baisse est attribuable à la hausse de la taxe de vente, qui est entrée en vigueur au début du mois, et survient juste après une augmentation de 7,2 % des ventes au détail, les consommateurs ayant prévu le coup et réglé leurs achats importants à l’avance. Les effets de cette mesure devraient néanmoins continuer de peser sur l’économie pendant plusieurs mois. De plus, les épisodes précédents de hausse de la taxe de vente se sont révélés étonnamment dommageables pour les perspectives économiques du pays à court terme. Heureusement, le Japon a annoncé de nouvelles mesures de relance budgétaire totalisant plusieurs centaines de milliards de dollars américains. Celles-ci seront déployées progressivement sur plusieurs années. Elles ne changeront donc pas radicalement la donne. Nous prévoyons une croissance de seulement 0,25 % pour le PIB du Japon en 2020.
- Finalement, l’accord commercial entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (ACEUM) semble aller de l’avant. Il sera soumis au vote du Congrès américain. Après une période de malentendus et d’hésitation, Mexico semble avoir accepté les nouvelles demandes en matière de main-d’œuvre et d’environnement ajoutées à l’accord. Le Canada semble lui aussi être prêt à aller de l’avant. Plus d’un an après l’approbation provisoire de l’accord, sa mise en œuvre définitive pourrait avoir lieu dans un horizon assez rapproché.