Aperçu
Nos perspectives économiques n’ont pas changé depuis une semaine. Cette évolution théoriquement neutre peut être considérée comme étant positive dans la mesure où, dernièrement, les prévisions se sont détériorées presque toutes les semaines. De façon similaire, un sondage mené auprès de nos équipes de placement révèle que la majorité a maintenu ses perspectives à l’égard de la COVID-19 au cours de la semaine, et qu’une minorité importante s’est dite moins préoccupée. Une impression semblable se dégage des marchés financiers, les actifs à risque ayant affiché une reprise importante.
Sous la surface, un mélange de faits positifs et négatifs s’est produit. La plupart des premiers tournent autour de la propagation de la maladie en tant que telle, tandis que les seconds sont de nature variée.
Faits positifs
- Tout porte à croire que les quarantaines fonctionnent, car le nombre de nouveaux cas quotidiens de COVID-19 diminue dans beaucoup de pays.
- Il est de plus en plus question des stratégies de sortie, et l’Espagne a même levé les restrictions visant certains secteurs. Reste à savoir si un assouplissement marqué s’avérera réaliste dans un proche avenir, mais il est encourageant de constater que nous pouvons maintenant réfléchir au moment de la reprise économique.
- La récente entente des pays de l’OPEP+ représente certainement un baume pour le marché pétrolier. Cependant, les prix devraient rester très bas.
Faits négatifs
- Les quelques pays qui connaissent aujourd’hui une baisse du nombre de nouveaux cas quotidiens ne réussissent pas à s’en sortir aussi rapidement que la Chine et la Corée du Sud.
- La quantité de tests effectués a considérablement augmenté (à l’heure actuelle, environ 140 000 par jour pour les États-Unis et 27 000 pour le Canada). Néanmoins, ces chiffres sont encore très loin du niveau idéal, qui consisterait à tester presque tout le monde chaque semaine, afin de pouvoir redémarrer l’activité économique en toute confiance.
- La vitesse de la reprise qui suivra la levée des quarantaines suscite des inquiétudes. Il est loin d’être certain que les choses se passeront rapidement et en douceur.
Principales données concernant le virus
On compte maintenant 1,8 million de cas de COVID-19 à l’échelle mondiale. Par contre, au cours des deux derniers jours, le nombre de nouveaux cas quotidiens a diminué, s’établissant approximativement à 72 000. Ce chiffre a culminé il y a neuf jours, alors que 93 000 cas ont été signalés. Il se peut donc que le pic de la pandémie soit chose du passé, mais nous réservons les célébrations pour le moment où nous détiendrons des preuves solides, d’autant plus que les régions les plus pauvres du monde n’ont déployé que des efforts limités pour endiguer la COVID-19.
En effet, si l’épicentre de la pandémie est passé de la Chine à l’Europe, puis aux États-Unis, il est facile d’imaginer qu’il finira par atteindre les pays en développement. On peut aussi se poser la question de savoir si les tests seront suffisants pour refléter cette situation.
Autre donnée encourageante, le nombre de décès dans le monde a un peu baissé après avoir plafonné il y a cinq jours. Il est trop tôt pour tirer des conclusions, puisqu’on ne sait pas encore hors de tout doute si le nombre de cas global a plafonné, et qu’en théorie, le nombre de décès devrait continuer à augmenter pendant les deux semaines suivant ce pic.
Il est généralement admis que le taux de transmission à l’échelle mondiale régresse. Si, à la mi-mars, on pouvait s’attendre à ce que chaque malade contamine trois personnes, ce taux se situe aujourd’hui tout juste au-dessus du niveau critique d’une personne (voir le graphique). Une fois qu’il passe sous ce seuil, on peut dire que le virus est en perte de vitesse. Plusieurs pays ont déjà atteint ce stade.
Le taux de transmission diminue dans le monde, mais dépasse toujours le seuil critique de 1
Nota : Données en date du 13 avril 2020. Le taux de transmission correspond à la variation en pourcentage sur sept jours de la moyenne mobile sous-jacente sur cinq jours des nouveaux cas quotidiens. Sources : CEPCM, Macrobond, RBC GMA
Le pic du virus
La Chine et la Corée du Sud sont parvenues à endiguer la propagation du virus il y a environ deux mois, créant par le fait même une feuille de route pour les autres nations. Aujourd’hui, d’autres pays leur emboîtent le pas (comme en font foi les taux de transmission inférieurs à 1 dans le tableau ci-après).
Un taux de transmission supérieur à 1 laisse entrevoir une progression continue (d’après les nouveaux cas)
Nota : Données en date du 13 avril 2020. Le taux de transmission correspond à la variation en pourcentage sur sept jours de la moyenne mobile sous-jacente sur cinq jours des nouveaux cas quotidiens. Sources : CEPCM, Macrobond, RBC GMA
- Le nombre de nouveaux cas a atteint un sommet le 22 mars en Italie.
- L’Allemagne a atteint un plafond le 28 mars.
- En Espagne et en France, le maximum est survenu le 1er
- Un recul se produit en Suisse depuis le 3 avril.
En dehors de l’Europe, le Canada semble aussi avoir atteint un pic le 3 avril, tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni pourraient y être arrivés le 11 avril. Pour ce qui est de ces deux derniers pays, la date du sommet est encore trop récente pour qu’on puisse s’y fier de façon absolue.
Quoi qu’il en soit, tous ces résultats approfondissent notre compréhension des paramètres de la COVID-19. Partant de la situation en Chine, notre hypothèse selon laquelle le taux de nouvelles infections dans les autres pays devrait commencer à diminuer environ deux semaines après avoir atteint un pic tient assez bien la route. Chacun de ces pays a atteint un sommet de 11 jours (au Canada) à 20 jours (aux États-Unis) après avoir mis en place leurs mesures de quarantaine les plus sévères.
Cela étant dit, le nombre de nouveaux cas déclarés après le sommet ne diminue pas encore aussi rapidement à l’extérieur de l’Asie qu’il l’a fait en Chine et en Corée du Sud. Ainsi, trois semaines après avoir plafonné, le nombre de nouveaux cas quotidiens en Chine et en Corée du Sud avait chuté à une proportion comprise entre 10 % et 20 % du maximum atteint. Par contre, l’Italie traîne toujours de l’arrière à cet égard, car les nouveaux cas qui y sont signalés oscillent autour de 50 % à 70 % du nombre maximum. Ce résultat est quelque peu inquiétant. Nous remarquons que la France a plus de succès, mais elle ne reproduit pas encore la norme asiatique. Nous pouvons certes nous interroger sur l’exactitude des chiffres publiés par la Chine compte tenu des révélations que nous avons faites la semaine dernière, mais nous ne considérons pas les résultats de la Corée du Sud comme étant aussi douteux.
Nous pourrions bien sûr noter que les quarantaines imposées par les différents pays ne sont pas toutes aussi restrictives pour leurs citoyens. Toutefois, cette observation ne permet pas d’expliquer les écarts entre les moments où les sommets sont atteints et les taux de régression de la maladie, du moins pas selon notre analyse initiale. Par exemple, plusieurs mesures en temps réel indiquent que les quarantaines ont été beaucoup plus strictes en Italie qu’au Canada, où la transition entre le confinement et le sommet s’est pourtant opérée plus rapidement. De même, la France est parvenue à faire baisser plus rapidement le taux subséquent de nouvelles infections par rapport à l’Italie, qui avait pourtant appliqué des mesures de confinement plus strictes.
Sous-dénombrement
Nous savons que le nombre de personnes infectées dans chaque pays est supérieur aux statistiques officielles simplement parce que :
- a) certaines personnes ne présentent aucun symptôme ;
- b) les tests de dépistage donnent un taux de faux négatifs élevé (pouvant atteindre 30 %) tandis que le taux de résultats faussement positifs est pratiquement nul.
Nous pouvons même deviner quels sont les pays qui sous-estiment le plus leurs cas de COVID-19. Il s’agit vraisemblablement de ceux qui effectuent le moins de tests par million de personnes ou qui affichent le taux de tests positifs le plus haut parmi les personnes testées (voir le graphique).
Le nombre de tests de dépistage de la COVID-19 varie grandement d’un pays à l’autre
Nota : Les dernières données relevées sont celles du 11 avril 2020. Sources : Our World in Data, CEPCM, RBC GMA
Selon ces mesures, il est probable que le nombre de cas non recensés en Inde, au Mexique, au Brésil et au Japon est particulièrement important, compte tenu de leur faible taux de dépistage. Par ailleurs, en Iran, au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis, ce nombre est vraisemblablement aussi considérable en raison du pourcentage important de tests qui s’avèrent positifs. Nous excluons la Chine de cette liste parce qu’elle n’a pas été très transparente à l’égard du nombre de tests qu’elle a réalisés.
Quoi qu’il en soit, nous ne croyons pas que ces imprécisions aient grandement faussé les dates de sommet de la COVID-19. Dans la mesure où un pays ne réduit pas le nombre de tests qu’il fait subir à la population au fil du temps, les sommets enregistrés devraient être exacts, ou même légèrement décalés. Nous croyons que l’ampleur de la maladie a tout simplement été sous-évaluée et le taux de mortalité, surévalué.
Propos d’épidémiologues
Si nos calculs approximatifs de la date du pic de l’épidémie par rapport au moment où une quarantaine a été imposée se sont révélés très utiles, il convient de rester à l’affût des propos de réels experts en la matière.
L’Université de Washington a constitué une excellente série d’estimations (mis à part l’exclusion notable du Canada de la longue liste de pays). Ces prévisions sont axées sur la date correspondant au pic du nombre de décès plutôt que du nombre de nouveaux cas. Les résultats sont assez similaires, quoique décalés, ce qui s’explique par le fait que les premiers décès surviennent habituellement quelques semaines après l’apparition du virus.
Voici quelques prévisions :
- Le nombre quotidien de décès aurait atteint un sommet le 27 mars en Italie et le 1eravril en Espagne, tandis que le plafonnement devrait avoir lieu plus tard aux États-Unis, soit entre le 14 et le 18 avril.
- Au Royaume-Uni, on s’attend à un pic encore plus tardif, soit entre le 17 et le 22 avril.
- Le Canada arrivera sûrement à ce point un peu avant les États-Unis et le Royaume-Uni, étant donné que le pic de nouveaux cas quotidiens y est survenu plus tôt.
Les prévisions régionales pour les États-Unis sont également instructives : logiquement, les premiers États à avoir imposé une quarantaine devraient être les premiers à connaître une diminution du nombre de décès. Les États de New York et de Washington devraient avoir atteint leurs pics respectifs le 10 et le 12 avril, tandis que le Texas et l’Alabama pourraient ne pas connaître un tel dénouement avant le 21 et le 26 avril respectivement.
Il ne faut toutefois pas croire qu’il existe un ensemble de prévisions détenant le monopole de la vérité. Ces chiffres sont à nos yeux les plus plausibles, mais plusieurs modèles épidémiologiques prévoient des sommets plus tardifs et un nombre de décès beaucoup plus élevé. De plus, il va sans dire que l’évolution de la situation dépend grandement de l’enthousiasme avec lequel les gouvernements envisagent le retour à la normale du contexte économique et de la formation possible d’un deuxième sommet.
Pays aux méthodes non conventionnelles
Tandis que la plupart des pays développés ont imposé un ensemble de mesures de quarantaine assez similaires, quelques-uns font exception. Il sera utile d’observer ces derniers pays afin de comprendre l’évolution de la maladie et des facteurs économiques selon différents protocoles.
La Suède a refusé d’imposer une quarantaine obligatoire. Elle encourage plutôt une application moins stricte qu’ailleurs du principe de distanciation sociale. Cette approche se reflète dans les données sur la mobilité fournies par Google, qui montrent des baisses respectives de seulement 18 % et 25 % des déplacements vers le lieu de travail et les magasins de détail. À titre de comparaison, les mêmes données indiquent des diminutions de 40 % et 49 % aux États-Unis, et de 62 % et 95 % en Italie.
Le cas de Hong Kong est également intéressant. Même s’il s’agit de l’un des premiers endroits à avoir été touchés par le virus et que les commentateurs ne s’y sont pas beaucoup intéressés, les activités n’y ont pas été interrompues de façon aussi importante que dans la plupart des autres pays. Les données en matière de mobilité fournies par Google indiquent que les déplacements vers le lieu de travail et les magasins de détail y ont diminué dans l’ordre de 27 % et de 37 %.
Un autre pays à surveiller est le Japon : les données de Google traduisent des reculs d’à peine 13 % et 25 %. Au départ, ce pays avait été montré à titre d’exemple à suivre par le monde entier après qu’il eut réussi à endiguer la première flambée de cas sur son sol. Cependant, on y enregistre une deuxième vague de contaminations, à laquelle le gouvernement japonais s’empresse maintenant de réagir. Ce pays est particulièrement vulnérable en raison de sa forte proportion de personnes âgées.
L’Université de Washington s’attend à ce que la Suède figure parmi les pays les plus durement touchés sur le plan du nombre de décès par habitant. Cette prévision semble assez probable, quoique les données liées au virus à Hong Kong ne soient pas trop défavorables même si la région est aux prises avec la maladie depuis plusieurs mois déjà.
La maladie
Nous avons déjà parlé du taux de transmission ; il est extrêmement élevé dans des conditions normales, mais il diminue de façon appréciable dans les pays qui ont imposé des mesures de distanciation sociale strictes.
Le taux de mortalité demeure préoccupant à l’extérieur de la Chine, à 6 ou 7 %. Or, selon une analyse récente, il se situe à tout juste 0,37 % à Gangelt, en Allemagne. Cet écart s’explique en partie par le fait que les chercheurs estiment que 14 % de la population de cette ville a déjà été infectée. Une étude réalisée antérieurement en Islande a abouti à une conclusion similaire, mais la méthode utilisée a été remise en cause. Pour le moment, nous continuons de tabler sur un taux de mortalité variant de 0,5 % à 1,0 %. Donc, la COVID-19 est considérablement plus grave que la grippe (0,1 %), mais beaucoup moins mortelle que la plupart des autres grandes pandémies.
Selon quelques recherches, le temps doux devrait freiner la propagation du virus. Voilà qui augmente bien sûr le risque qu’une deuxième vague frappe à l’automne.
Les efforts pour éliminer le virus au moyen d’innovations médicales se poursuivent. Il y a actuellement au moins 43 vaccins en développement, dont trois en sont déjà aux tests de phase 3. Des experts en chimie computationnelle ont par ailleurs découvert quelque 80 molécules qui sont parvenues dans une certaine mesure à limiter la propagation de la COVID-19, et estiment que 3 500 autres molécules pourraient donner de meilleurs résultats. Une foule de médicaments destinés à traiter d’autres problèmes sont également à l’essai. La mise au point rapide de traitements efficaces ou d’un vaccin demeure notre meilleure chance. Si certains traitements prospectifs ont déjà été prescrits, les experts continuent d’affirmer qu’il faudra sans doute encore attendre de 12 à 18 mois avant qu’un vaccin soit commercialisé.
Moins de morts attribuables à d’autres causes
Il est important de souligner les bonnes nouvelles. L’une d’elles est le fait qu’il y aura sans doute moins de décès attribuables à d’autres causes durant la quarantaine.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le taux de mortalité tend à chuter en période de récession. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit lors de la Grande Dépression qui a suivi les Années folles, pendant la crise financière mondiale et même durant la récente période d’énorme chômage en Espagne et en Grèce.
Mais pourquoi y a-t-il moins de morts durant des périodes aussi difficiles ? Notamment parce qu’il y a moins d’accidents de travail, moins d’accidents de la route du fait que la circulation est moins dense et moins de pollution.
On imagine facilement que ces facteurs feront sentir encore plus leurs effets durant la quarantaine. Comme les déplacements sont pour ainsi dire inexistants, les émissions ont grandement diminué. Même le taux de criminalité serait en baisse. De plus, en raison de la distanciation sociale qui nous est imposée, le nombre de décès causés par des maladies transmissibles devrait aussi diminuer. Rappelons-nous que des dizaines de milliers d’Américains succombent à la grippe chaque année.
Évidemment, il y a une contrepartie à toutes ces bonnes nouvelles : les médecins reportent certaines interventions, les niveaux de stress sont élevés, la dépression et la solitude s’immiscent de plus en plus dans nos vies et la pauvreté, prédicteur de décès prématuré, augmente.
Évolution de la conjoncture économique
Chaque semaine apporte de nouvelles indications sur les dommages économiques causés par la COVID-19.
Nous continuons d’améliorer notre gamme d’indicateurs en temps réel, qui comporte maintenant plus de 30 paramètres. Voici quelques-uns des principaux facteurs relevés :
- Les tendances en matière de mobilité révélées par Google indiquent qu’aux États-Unis, les déplacements liés au commerce de détail et aux loisirs ont diminué de 49 %, la fréquentation des stations de transport en commun a baissé de 54 % et les déplacements vers le lieu de travail ont diminué de 40 % par rapport à la normale En comparaison, les données montrent une baisse légèrement plus marquée au Canada (-63 %, -67 % et -46 %, respectivement), alors que le repli est encore bien pire en Italie.
- Aux États-Unis, les réservations en ligne dans les restaurants, les ventes de billets de cinéma et le transport aérien ont subi des baisses de 100 %, 100 % et 96 % dans l’ordre.
- La production d’acier a diminué de près de 20 % aux États-Unis.
- Les demandes de prêt hypothécaire aux États-Unis ont reculé d’environ 30 %.
- L’outil de suivi de l’activité économique en Chine du Financial Times indique que la production économique est toujours d’environ 25 % inférieure à la normale dans ce pays. Ce chiffre est inquiétant, mais d’autres mesures laissent croire à un rebond dynamique. Nous soupçonnons donc que cet outil sous-estime la reprise de l’économie chinoise.
- Selon les demandes initiales de prestation d’assurance-emploi aux États-Unis, six millions de nouveaux chômeurs se sont ajoutés la semaine dernière. Ce nombre correspond à une augmentation de près de 4 points de pourcentage du taux de chômage et laisse supposer que le taux réel pourrait maintenant être de l’ordre de 14 %. Cette situation entraîne une certaine remise en question de notre prévision d’une ampleur et d’une élasticité moyennes, selon laquelle le taux de chômage culminerait à 15,5 % (nous disposons toutefois d’autres scénarios plus défavorables). Cela dit, nous avons également eu droit à une poignée de bonnes nouvelles : le nombre de demandes initiales de prestations d’assurance-emploi a légèrement diminué par rapport à la semaine précédente, ce qui s’explique par le fait que le choc économique s’est produit en très grande partie au début de la crise. Le nombre d’inscriptions au chômage devrait donc continuer de reculer au cours des prochaines semaines.
- Lors d’un sondage réalisé par la fondation Peterson, 73 % des Américains ont affirmé que leur revenu familial avait diminué en raison de la COVID-19, 24 % des répondants ayant même déclaré de lourdes pertes. Nous avons tendance à croire que ce dernier chiffre correspond aux personnes qui ont perdu leur emploi ou dont les heures de travail ont été considérablement réduites (en tenant compte du fait qu’un ménage touchant deux revenus a probablement donné cette réponse si au moins l’un des deux gagne-pain a été touché). Le reste du premier groupe comprend possiblement les gens dont l’épargne-retraite a été touchée par la situation.
- Au début du mois d’avril, seuls quelque 70 % des loyers du mois avaient été payés au Canada et aux États-Unis. La situation n’est toutefois pas aussi sombre qu’elle paraît : en temps normal, seuls 81 % des loyers auraient déjà été réglés aux États-Unis à ce moment-là. Ainsi, le taux de paiement des loyers se situe à environ 15 % sous la moyenne.
- Aux États-Unis, les prêts bancaires aux entreprises commerciales et industrielles ont progressé de 17 % depuis le début de mars. Il s’agit d’une tendance favorable permettant de confirmer que le canal du crédit sert bel et bien à la mise en œuvre de la relance du gouvernement.
Emploi au Canada
En ce qui concerne les données économiques plus traditionnelles, le Canada a publié une première série de chiffres révélant le choc de la COVID-19 dans (presque) toute sa puissance. Les données de mars sur l’emploi au pays se sont révélées épouvantables, traduisant une perte de 1,01 million d’emplois en un seul mois. Cette dégringolade, qui met fin à 40 mois de gains nets d’emploi, dépasse largement le record mensuel précédent. Qui plus est, selon les renseignements publiés au sujet des demandes d’assurance emploi au Canada, ces données devraient être encore pires en avril. Statistique Canada estime par ailleurs que, compte tenu des absences du travail attribuables aux conditions économiques et des personnes dont les heures de travail ont été réduites, le chiffre réel serait plutôt de près de 3,1 millions de Canadiens touchés.
La question cruciale est la suivante : comment le Canada a-t-il pu perdre nettement plus d’emplois que les États-Unis en mars (1,01 million par rapport à 701 000) alors que sa population est dix fois moins importante ? La réponse compte trois volets :
- Nous craignons que l’économie canadienne soit touchée un peu plus durement que l’économie américaine. Ce sentiment trouve son origine dans les difficultés qu’éprouve le vaste secteur canadien de l’énergie, dans la répartition sectorielle nationale qui expose davantage le Canada aux ravages de la quarantaine que les États-Unis, et dans les données sur la mobilité de Google qui laissent entendre que la quarantaine est plus stricte au Canada qu’aux États-Unis. Ces éléments justifient toutefois difficilement le déséquilibre de 13 à 1 au chapitre des pertes d’emploi en fonction du nombre d’habitants.
- Fait important, la semaine de référence du rapport sur l’emploi publié aux États-Unis était celle du 8 au 14 mars, alors que celle du Canada s’étendait du 16 au 22 mars. Il se trouve justement que l’anxiété suscitée par la COVID-19 s’est transformée en calamité pour l’emploi à la mi-mars. Les données du Canada l’ont reflété en grande partie, ce qui n’a pas été le cas aux États-Unis.
- Il importe aussi de mentionner que dans l’enquête du Canada auprès des ménages, il est demandé aux répondants s’ils ont travaillé durant la semaine en question. Les États-Unis ont plutôt recours à une enquête sur l’emploi qui consigne simplement le nombre de travailleurs ayant reçu un salaire au cours de la dernière semaine. Un employé payé à la quinzaine qui n’aurait pas travaillé depuis le début de mars pourrait tout de même être considéré comme une personne ayant un emploi aux États-Unis. Pour illustrer l’ampleur de l’effet de l’enquête sur l’emploi par rapport à celle menée auprès des ménages, la première a révélé une perte de 701 000 emplois salariés aux États-Unis, alors que l’enquête menée auprès des ménages – moins scrutée – a dévoilé une perte de 3 millions d’emplois (et la saisie des données a été faite une semaine plus tôt qu’au Canada).
Voici un dernier commentaire à propos des données économiques : comme nous l’avons indiqué la semaine dernière, non seulement les données deviennent plus graves, mais elles sont aussi de moins en moins fiables. Les entreprises et les ménages ont autre chose à faire que de répondre à des sondages. À preuve, le taux de réponse de l’enquête auprès des ménages américains est de 73 % seulement. Ce taux, qui est habituellement de dix points de pourcentage supérieur, devrait encore chuter le mois prochain.
Prévisions économiques
Les prévisions générales de croissance de mars ont été publiées, et il n’est guère étonnant de constater qu’elles ont été revues à la baisse. Les prévisions médianes correspondent à un recul de 4 % du PIB en 2020 pour les États-Unis et le Canada. Nos prévisions d’ampleur et de durée moyennes demeurent un peu plus sombres ; elles sont de -7,7 % pour les États-Unis et dépassent modérément ce pourcentage pour le Canada.
Évidemment, ces données comportent encore de grandes incertitudes, ce qui explique pourquoi nous maintenons un ensemble complet de neuf scénarios allant du plus optimiste (croissance de -2,0 % aux États-Unis en 2020) au très pessimiste (-30,0 %). Veuillez consulter le tableau suivant à ce sujet.
Scénarios liés à la COVID-19 - Prévision de croissance du PIB réel des États-Unis en 2020
Nota : Données en date du 3 avril 2020. Dans l'hypothèse d'un repli prononcé avant l'atteinte du creux et d'une longue période de reprise. Source : RBC GMA
On peut dire que les prévisions de croissance pour l’après-COVID-19 reposent sur cinq hypothèses clés, comme le montrent ce diagramme et l’analyse qui suit.
Cinq grandes questions économiques
Source : RBC GMA
- Ampleur du repli
- Nous continuons à nous fonder sur trois scénarios : un recul de la production aux États-Unis de 10 % du sommet au creux, un recul de 20 % et un recul de 40 %. Parmi eux, le scénario moyen d’un recul de 20 % semble toujours le plus probable.
- Il existe de nombreux exemples de secteurs particuliers affichant un recul de plus de 20 %, comme l’illustrent certains des indicateurs en temps réel susmentionnés, mais nous sommes aussi conscients du fait qu’on ne peut observer directement plusieurs autres secteurs. Il s’agit pour la plupart de domaines, tels que les services commerciaux et l’information, qui sont restés plutôt solides dans le contexte de la COVID-19.
- De plus, les données en matière de mobilité fournies par Google indiquent une baisse de 49 % des visites d’établissements de détail aux États-Unis, ce qui n’implique pas un recul de 49 % des ventes au détail. Rappelons que les gens font de leur mieux pour réduire le nombre de leurs déplacements, de sorte qu’il est possible que les consommateurs dépensent davantage lorsqu’ils se rendent dans un établissement de détail. En outre, les achats en ligne ont sûrement fait un bond pour compenser en partie la baisse des déplacements. De même, le fait que les déplacements pour se rendre au travail ont baissé de 40 % ne signifie nullement que la production a diminué de 40 %. De toute évidence, le télétravail a comblé une grande partie de l’écart.
- Durée du repli
- Nous maintenons les trois scénarios de la dernière semaine quant à la durée du repli, soit un creux de 6 semaines, un creux de 12 semaines et un creux de 39 semaines. La durée demeure particulièrement incertaine.
- De l’avis de certains politiciens, notamment le gouverneur de l’État de New York et le premier ministre du Québec, les activités pourraient reprendre leur cours d’ici quelques semaines. Ce n’est pas impossible. En Espagne, les secteurs de la fabrication et de la construction ont repris leurs activités moins de deux semaines après le sommet des cas quotidiens. Toutefois, dans un grand nombre de régions, ces secteurs n’avaient pas été officiellement fermés.
- À l’opposé, alors que la quarantaine à Wuhan, l’épicentre de l’épidémie en Chine, a été levée officiellement, nombre d’autorités de quartier continuent de réglementer la circulation des habitants. Les écoles demeurent fermées et l’on encourage les habitants à rester chez eux et à porter un masque à l’extérieur de leur domicile. Par ailleurs, l’utilisation du transport en commun à l’échelle de la Chine demeure fortement limitée. Qui plus est, selon les rapports informels, d’autres villes chinoises continuent d’imposer des quarantaines qui passent inaperçues.
- Le scénario qui nous paraît le plus logique suppose une durée entre ces deux extrêmes, ce qui est conforme à un récent sondage d’une tierce partie auprès des professionnels des placements indiquant que l’économie redémarrera vraisemblablement en juin. Cette probabilité correspond à notre scénario de durée moyenne de 12 semaines.
- Rebond initial
- Nous ne maintenons pas de multiples scénarios pour les trois derniers facteurs de prévision, mais il convient néanmoins de mentionner nos hypothèses et les risques connexes.
- À l’heure actuelle, nous prévoyons le recouvrement d’environ 60 % de la production économique perdue dans les trois mois suivant la levée des quarantaines (d’ici la mi-septembre selon le scénario d’ampleur moyenne et de durée moyenne). En fait, ces prévisions sont fondées sur le recouvrement relativement rapide d’une grande partie de la production perdue, tout en présumant qu’une bonne part ne se rétablira pas dans l’immédiat.
- On pourrait penser que ce relèvement progressif tient compte du fait que l’on donne graduellement le champ libre aux différents secteurs ou groupes de la population. On pourrait aussi penser que les aspects logistiques liés au redémarrage des chaînes d’approvisionnement et que la propension de la population à dépenser de l’argent, surtout dans des endroits bondés comme les cinémas, les restaurants et les avions, ne reviendront pas du jour au lendemain.
- L’éducation pourrait être l’un des premiers secteurs à reprendre ses activités. Non seulement il est capital que les enfants poursuivent leur scolarité, mais il sera difficile de relancer d’autres secteurs si les parents doivent rester à la maison avec leurs enfants.
- Les données sur l’économie chinoise signalent pour la plupart une reprise initiale vigoureuse. Nous avons indiqué au cours des dernières semaines que 98 % des grandes entreprises industrielles chinoises ont relancé la production. En mars, il s’est vendu 1,05 million de véhicules en Chine. Ce chiffre traduit une baisse de 40 % sur 12 mois, mais est plus de trois fois supérieur aux ventes enregistrées en février.
- Dans la mesure où il s’agit d’un risque pour notre scénario de base, nous tenons à souligner que la reprise initiale pourrait être plus modérée que nous l’imaginons. D’abord, il faut dire que jamais la production économique n’a augmenté 25 fois plus vite que d’habitude pendant un trimestre. Ensuite, l’effet combiné des dommages causés aux chaînes logistiques, de la perte de richesse et de l’aversion pour les rassemblements pourrait grandement freiner tout rebond.
- PIB – le niveau d’avant
- La quatrième question est la suivante : combien de temps faudra-t-il pour que la production économique retrouve son sommet d’avant la crise de la COVID-19 ? Nous estimons que cela se produira en septembre 2021. Il faudra donc un an et demi à l’économie pour se rétablir complètement. Une fois de plus, notons que la convalescence risque de durer plus longtemps.
- PIB – la trajectoire d’avant
- Enfin, la dernière question à se poser est celle-ci : à quel moment l’économie reprendra-t-elle sa trajectoire d’avant ? En effet, il ne suffit pas qu’une économie retrouve le sommet qu’elle avait atteint. Depuis le début de la crise, la population a augmenté et c’est sans doute aussi le cas de la capacité de production de l’économie.
- En théorie, même lorsque l’économie aura retrouvé son niveau d’avant, l’écart de production sera de trois points de pourcentage. Ajoutons qu’il s’agit là d’une cible fluctuante, le niveau de production potentielle augmentant de jour en jour. Nous estimons que l’écart de production se sera résorbé au milieu de 2021.
- Là encore, il est fort possible que le retour à la normale n’ait lieu que plus tard. Même si les causes de la crise économique sont artificielles et que les décideurs font un bon travail pour limiter les dégâts, il faut se rappeler que l’économie américaine a mis 12 ans à retrouver son potentiel après la Grande Dépression, et neuf ans pour se remettre de la crise financière. Par conséquent, même si la reprise était étonnamment vive, le rétablissement complet pourrait se produire dans trois ou quatre ans, et non pas dans un peu plus de deux ans, comme nous le pensons.
- Dans tous les cas, même si nous croyons que les prévisions de croissance de notre scénario de base sont tout à fait raisonnables, la répartition des risques quant à la trajectoire de la remontée (relativement au rebond initial, le moment où l’économie reviendra à son niveau d’avant et le temps qu’elle mettra à reprendre sa trajectoire) laisse entrevoir une reprise lente.
Comparaison avec d’autres crises
Nous venons de mentionner la Grande Dépression et la crise financière mondiale. Il est important ici de rappeler que la crise de la COVID-19 est tout à fait distincte. Le tableau ci-dessous montre en quoi elle l’est. Le choc de la COVID-19 sera sans doute moins brutal que l’avait été la Grande Dépression, et ce, à tous les égards. Il devrait entraîner une baisse de production annuelle et trimestrielle plus marquée que celle observée durant la crise financière, mais nous croyons toujours que les pertes cumulatives subies durant cette crise seront plus importantes du fait qu’elle s’était prolongée.
La COVID-19 par rapport à d’autres chocs économiques
Nota : Aux États-Unis, en date du 8 avril 2020. COVID-19 : Scénario d’un repli d’une ampleur moyenne et d’une durée moyenne. La perte cumulative de production correspond à l’écart entre le PIB réel et le PIB potentiel durant une période complète (% de la production annuelle). Source : RBC GMA
Réflexions sur les secteurs
Nous n’avons pas changé d’opinion en ce qui concerne le recul du sommet au creux de différents secteurs de l’économie (voir le graphique). Les secteurs du divertissement et du tourisme, de l’immobilier et du commerce de détail devraient être les plus durement touchés.
Scénario moyen : Niveaux de production aux États-Unis pendant et après la pandémie de COVID-19
Nota : Données en avril 2020. Les barres illustrent le sommet et le creux d’une fraction de la production normale pour chaque secteur aux États-Unis en 2020 et en 2021 advenant un scénario d’une ampleur moyenne et d’une durée moyenne. Niveau de production avant la COVID-19 = 1. Sources : Haver Analytics, RBC GMA
Fait intéressant, pour un poste perdu en mars aux États-Unis dans le commerce de détail, il y en avait dix dans l’industrie du divertissement et du tourisme. Nous croyons toutefois que l’écart en faveur du commerce de détail se résorbera au cours des prochains mois : s’il était déjà évident que les gens annulaient leurs vacances dans la première moitié de mars, les fermetures d’établissements de détail ont eu lieu plus tard.
De nombreux secteurs subissent des contraintes liées à la demande (les gens ne peuvent pas aller dans les magasins ou les restaurants, ce qui limite la demande de tels services), mais d’autres sont touchés du côté de l’offre. Par exemple, le secteur agricole canadien compte sur quelque 60 000 travailleurs étrangers temporaires pour les récoltes. Après de longs débats, ces travailleurs seront encore autorisés à entrer au pays, mais la situation ne sera pas sans heurts : certains refuseront de voyager en période de pandémie, et tous devront s’isoler pendant deux semaines à leur arrivée.
Secteur pétrolier
Le marché et le secteur pétroliers comptent parmi les plus malmenés des dernières semaines. Cette débandade n’a pas seulement été causée par l’effondrement de la demande de pétrole du fait de la disparition des besoins de transport. Elle résulte aussi d’une offre excédentaire d’or noir imputable à la querelle entre l’Arabie saoudite et la Russie.
Heureusement, cette guerre des prix est maintenant terminée. L’Arabie saoudite, la Russie de même que l’OPEP+ se sont entendues pour réduire leur production d’une quantité sans précédent de 9,7 millions de barils par jour. Les États-Unis ont facilité la négociation de l’entente. On espère aussi que d’autres pays producteurs n’appartenant pas à l’OPEP+ contribueront à réduire encore la production de 5 millions de barils par jour.
La prudence est toutefois de mise à certains égards :
- La réduction de l’offre de 10 à 15 millions de barils par jour ne correspond même pas à la moitié de la baisse de la demande, qui serait de plus de 30 millions de barils. Le marché pétrolier reste incroyablement déséquilibré.
- Il n’est pas sûr que le reste du monde réduise volontairement sa production pétrolière. Il est fort possible que les prix doivent rester suffisamment bas pour que la production excédentaire sur le marché se résorbe grâce aux forces naturelles. Ce surplus pourrait disparaître plus tôt que prévu, car il reste très peu de place pour entreposer le pétrole excédentaire qui a déjà été extrait.
- Pour l’instant, la plus grande partie de la réduction de la production sera effectuée jusqu’en juin, mais il sera sans doute possible de prolonger cette réduction si les économies ne sont pas remises sur pied d’ici là.
L’annonce de l’OPEP+ est une bonne nouvelle, mais les prix du pétrole restent à leurs creux précédents. De plus, le secteur connaîtra probablement quelques années extrêmement difficiles, compte tenu du déséquilibre persistant entre l’offre et la demande, ainsi que des stocks excédentaires de pétrole.
Un mot sur l’inflation
En bref, les mesures quotidiennes en temps réel de l’inflation fléchissent dans les principaux marchés. Malgré les discussions initiales portant sur les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement et les préoccupations concernant l’assouplissement quantitatif, beaucoup plus de facteurs fondamentaux exercent actuellement des pressions baissières plutôt que haussières, notamment la baisse des prix du pétrole et le tassement de la demande économique.
Nous continuons de nous fonder sur l’hypothèse selon laquelle l’indice des prix à la consommation (IPC) annuel total en Amérique du Nord sera négatif, tandis que l’IPC de base s’établira dans une fourchette de 0,5 % à 1,0 %.
Outre nos observations voulant que les statistiques économiques deviennent moins fiables, rappelons que l’IPC porte sur un panier fixe de produits et de services. Ce manque de souplesse peut avoir pour effet de nous faire sous-estimer le véritable taux d’inflation en raison de prix très bas de produits que personne ne peut acheter en période de quarantaine, et de la pondération trop faible accordée aux produits que tout le monde achète en ce moment (et qui deviennent donc plus chers).
Les plus récents stimulants
Les mesures de relance monétaire et budgétaire demeurent immenses et continuent d’être bien ciblées et mises en place rapidement.
Dans de grands marchés, la relance budgétaire promise par les gouvernements équivaut déjà à 10 % du PIB, et il ne serait pas étonnant que ce pourcentage s’approche de 20 % au cours des prochaines années. Gardons à l’esprit que ces mesures ne sont pas tout à fait nouvelles. Il s’agit en partie de mécanismes automatiques de stabilisation, déclenchés lorsque les citoyens perdent leur emploi et deviennent admissibles à des programmes gouvernementaux existants.
Nous continuons également de croire qu’en raison de la vitesse et des cibles relativement pertinentes des nouveaux programmes budgétaires, les multiplicateurs seront importants et devraient nettement dépasser le chiffre un. En langage courant, disons que l’argent sera bien réparti et qu’il apportera encore plus à l’économie que le montant réellement dépensé. Évidemment, nous ne pourrons peut-être jamais observer directement les effets de ces programmes, car il est difficile de connaître le nombre exact d’entreprises ou de ménages qui auraient fait faillite s’ils n’avaient pas obtenu d’aide.
Chose certaine, les stimulants sont loin d’être parfaits. Leurs processus de demande peuvent être complexes et l’aide n’arrive pas aussi rapidement qu’on le voudrait. De plus, certains particuliers et certaines entreprises sont laissés pour compte (par exemple, les travailleurs autonomes dans de nombreux pays), alors que d’autres reçoivent de l’argent dont ils n’ont pas besoin (comme les versements universels aux États-Unis).
Sur le plan monétaire, la vitesse à laquelle l’assouplissement quantitatif se déroule aux États-Unis dépasse déjà des records. La Fed a de nouveau surenchéri et ne s’en tient plus à des valeurs relativement sûres comme les titres de créance d’État, les obligations hypothécaires garanties par le gouvernement et les titres de créance de sociétés de catégorie investissement. Dorénavant, la banque centrale achètera des produits tels que des titres adossés à des créances immobilières commerciales notés AAA, des titres garantis par des prêts notés AAA et des « anges déchus », à savoir d’anciens titres de créance de catégorie investissement. La Fed a également précisé que son engagement envers les PME s’élèverait à 600 milliards de dollars, accordés sous forme de prêts. Elle a également annoncé l’achat d’un maximum de 500 milliards de dollars en titres de créance à court terme d’États, de comtés et de villes.
Ces interventions aussi musclées de la part de la Fed suscitent immédiatement deux craintes.
- En faisant marcher la planche à billets et en achetant autant d’obligations, la banque centrale risque-t-elle d’alimenter l’inflation ? Ce n’est pas impossible. Toutefois, même si le bilan de la Fed devait doubler au cours de la prochaine année pour atteindre 9 billions de dollars (un montant loin d’être farfelu compte tenu des promesses avancées), la base monétaire des États-Unis se rapprocherait simplement de celle de la zone euro, où l’inflation demeure peu visible. À titre de comparaison, le programme d’assouplissement quantitatif du Canada est beaucoup moins important.
- Faut-il s’attendre à des bouleversements maintenant que la Fed compte acheter des produits à risque qui peuvent lui faire perdre beaucoup d’argent ?
- La réponse est « oui » : on peut critiquer la Fed pour vouloir sauver des investisseurs qui, en toute connaissance de cause, ont placé leur argent dans un segment à risque du marché. Cependant, la Fed tient résolument à maintenir la liquidité des marchés financiers et à réduire le nombre de faillites d’entreprises au minimum. Ce faisant, elle est prête à récompenser certains investisseurs malgré elle si elle ne peut faire autrement.
- Cela dit, le risque d’inflation n’est pas sensiblement plus élevé qu’avant. D’une part, les pertes de placement éventuelles de la Fed ne pourront jamais être compensées (alors que les injections de liquidités s’inversent automatiquement et qu’en règle générale, l’assouplissement quantitatif standard peut être annulé manuellement). D’autre part, il ne faut pas en déduire que les États-Unis viennent de semer les graines d’une inflation inévitable. Pourquoi ? Parce que le Trésor américain s’est engagé à couvrir les pertes que la Fed pourrait réaliser en acquérant des titres à risque jusqu’à concurrence de 75 milliards de dollars. Elle ferait ainsi disparaître les craintes concernant le financement monétaire, puisque ces pertes ne s’ajouteraient pas à la base monétaire.
Marchés financiers
Les marchés financiers se sont maintenant considérablement redressés au cours des dernières semaines, ayant effacé presque la moitié de la chute du marché boursier à l’échelle mondiale. En ce qui concerne la répartition de l’actif des portefeuilles équilibrés mondiaux, nous continuons de recommander une sous-pondération des titres à revenu fixe et une surpondération des actions.
Notre préoccupation principale demeure l’ampleur des dommages causés à l’économie et aux bénéfices. Même si ces effets ne devraient être en fin de compte que temporaires, certains persisteront sans doute pendant plusieurs années, comme nous l’avons mentionné plus tôt.
Néanmoins, les signes positifs abondent. Non seulement le virus lui-même commence à être maîtrisé, mais de nombreuses sociétés de catégorie investissement ont émis avec succès des titres de créance à des taux similaires à ceux observés avant la pandémie.
Qui plus est, en mars, les dirigeants d’entreprise ont acheté la plus grande proportion de titres de leur propre société en un seul mois depuis sept ans. Il est de bon augure que les « initiés » estiment que leurs propres sociétés se vendent au rabais. Les indicateurs techniques sont également plutôt positifs.
Abstraction faite des perspectives à court terme, la prime de risque entre les actions et les obligations d’État demeure exceptionnellement élevée, bien qu’elle soit moins extrême qu’il y a quelques semaines. Malgré tout, il est raisonnable de prévoir qu’à partir de maintenant, les actions surpasseront les obligations dans une mesure inhabituelle à long terme.
D’autres réflexions sur le long terme
Lors de chacune des dernières semaines, nous avons livré de nouvelles réflexions sur les répercussions à long terme de la COVID-19. Consultez les numéros précédents du #MacroMémo pour en savoir plus sur la perspective d’une hausse de la dette, l’extrême faiblesse des taux d’intérêt, le télétravail, et plus encore.
Cette semaine, nous commençons en rappelant de nouveau qu’il est loin d’être certain que le monde changera réellement à jamais. L’être humain a une tendance innée à retomber dans ses habitudes. Les archives historiques sur la grippe espagnole font de plus en plus ressortir à quel point les craintes initiales et les dommages économiques étaient semblables. Pourtant, les gens ont fini par retourner au restaurant et au cinéma.
Néanmoins, nous présentons trois nouveaux enjeux à long terme cette semaine.
- L’expansion considérable de l’influence des pouvoirs publics persistera-t-elle après la COVID-19 ? Nous en doutons, même si de petits éléments pourraient perdurer. Les programmes qui ont été instaurés sont intrinsèquement temporaires et prendront naturellement fin. De plus, l’admissibilité à ces programmes diminuera lorsque les gens retrouveront leur emploi et que les entreprises cesseront de vouloir de nouveaux prêts. Même si les programmes étaient modifiés de façon à ce qu’ils deviennent permanents, rappelons que la société a accompli seulement la moitié de ce qu’il conviendrait de faire pour maintenir les services gouvernementaux à un niveau élevé. L’autre moitié consisterait à trouver les fonds nécessaires pour assurer de tels services. Pour y arriver, il faudrait des augmentations massives d’impôt qui ne seraient sans doute pas populaires. Rappelons aussi qu’il est déjà arrivé que des pouvoirs publics provisoirement importants se résorbent. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements ont pris part à tous les aspects de l’activité économique. Malgré tout, ils ont repris leur taille normale par la suite.
- Les inégalités pourraient s’accroître à cause de la COVID-19. Par définition, les pertes d’emploi creusent l’écart entre ceux qui ont un travail et ceux qui n’en ont pas, et elles ne frappent pas de façon indistincte cette fois-ci. Au contraire, les secteurs les plus touchés sont ceux où les salaires sont habituellement peu élevés, comme le tourisme et la vente de détail. Par conséquent, les travailleurs les moins bien rémunérés sont plus susceptibles de perdre leur emploi et ceux qui sont le mieux rémunérés sont plus susceptibles de le garder. Par ailleurs, dans la mesure où la présente expérimentation du télétravail donne un nouvel élan structurel à l’automatisation et au magasinage en ligne, une partie de ces emplois peu spécialisés pourrait disparaître pour de bon. De plus, les enfants pauvres sont moins susceptibles d’avoir accès aux ressources en ligne voulues pour poursuivre leurs études au cours de la quarantaine, voire de compter sur un parent en mesure de les aider à le faire.
- Certains s’inquiètent au sujet de l’unité nationale du Canada en cette période de grandes difficultés économiques. Cette inquiétude est justifiée, mais l’expérience a plus de chances au bout du compte d’avoir un effet rassembleur que diviseur. La plus grande partie des mesures de relance budgétaire provient du gouvernement fédéral, et les provinces qui en ont le plus besoin sont sans doute celles qui expriment traditionnellement le plus de doléances, soit l’Alberta (qui est fortement touchée par le choc pétrolier) et le Québec (qui enregistre le nombre le plus élevé de cas de COVID-19 à l’échelle nationale). D’ailleurs, il n’y a rien de tel qu’un ennemi commun pour unir les gens, ce que met en évidence l’accroissement de la popularité de la vaste majorité des politiciens en poste.
– Avec la contribution de Vivien Lee et Graeme Saunders.