L’incertitude est plus forte que d’habitude à cause de l’inflation, qui atteint des sommets
inégalés depuis des décennies, de la guerre persistante en Ukraine et de la menace constante
que pose la pandémie pour la santé publique et l’économie. Les chaînes logistiques
subissent encore une fois des perturbations sous l’effet de l’invasion russe, mais aussi à cause
de la reprise des mesures de confinement en Chine du fait de la politique d’éradication de la COVID
dans ce pays. En plus de ces divers problèmes pour l’économie et les marchés, les banques
centrales s’efforcent de faire baisser le très haut niveau d’inflation en resserrant la politique
monétaire, peut-être à un rythme accéléré. La hausse rapide des taux
pourrait enrayer l’inflation, mais la montée des coûts d’emprunt risque de miner la
confiance des consommateurs et des investisseurs. Nous nous attendons à voir la croissance continuer de
ralentir alors que la probabilité d’une récession s’accroît et que
l’éventail des résultats possibles est particulièrement vaste. Nous maintenons nos
prévisions inférieures à la moyenne pour la croissance et supérieures à la
moyenne pour l’inflation (figures 1 et 2).
Figure 1 : PIB réel moyen pondéré, selon les prévisions générales
Estimations de croissance des principaux pays développés
Figure 2 : IPC moyen pondéré selon les prévisions générales
Estimations d’inflation pour les principaux pays de l’OCDE
Persistance et expansion des pressions sur les prix
L’inflation semble s’enraciner davantage, puisque les hausses démesurées de prix sont de
plus en plus répandues parmi les groupes de produits. L’une des grandes mesures de l’inflation
suivies par la Réserve fédérale américaine (Fed) est l’augmentation de prix des
dépenses de consommation personnelle aux États-Unis, laquelle s’établit à
6,4 %, soit son niveau le plus élevé depuis le début des années 1980.
D’autres mesures cherchant à éliminer les distorsions atteignent aussi des niveaux
inédits depuis des décennies (figure 3). Même les mesures de l’inflation
éliminant les valeurs aberrantes, comme la flambée des prix des voitures usagées, sont en forte
hausse, ce qui semble indiquer que les pressions inflationnistes font ressentir profondément leurs effets et
de manière plus généralisée. Les pressions sur les prix sont exacerbées par la
très grande vigueur du marché du travail : le chômage frôle ses niveaux les plus bas
depuis les 50 dernières années et les salaires augmentent à un rythme
inégalé depuis 40 ans aux États-Unis (figures 4 et 5). Nous nous attendons encore
à ce que l’inflation plafonne cette année en raison des comparaisons sur 12 mois avec des
prix supérieurs, mais il est de plus en plus évident que les pressions sur les prix à la
consommation demeureront sans doute élevées à moyen terme sans intervention vigoureuse des
décideurs.
Figure 3 : Mesures de l’inflation aux États-Unis
Figure 4 : États-Unis
Taux de chômage
Figure 5 : Salaire horaire moyen aux É.-U.
Les banques centrales envisagent des hausses plus importantes des taux d’intérêt pour lutter
contre l’inflation
Étant donné que l’inflation atteint des niveaux fort élevés et que les taux
directeurs demeurent près de zéro, les banques centrales devront peut-être hausser les taux
d’intérêt plus rapidement que prévu pour stabiliser les prix à la consommation. La
hausse typique de 25 points de base à laquelle les investisseurs se sont habitués au cours des
dernières décennies pourrait ne plus convenir au contexte actuel. De fait, la Banque du Canada a
relevé son taux directeur de 50 points de base le 13 avril, sa première hausse du genre
depuis plus de 20 ans. À 1,0 %, le taux de financement à un jour de la Banque du Canada est
encore historiquement bas, et beaucoup d’autres augmentations sont attendues. Aux États-Unis, la Fed a
aussi indiqué qu’elle envisageait des relèvements de 50 points de base, et le marché
anticipe des hausses de taux totalisant près de 250 points de base d’ici la fin de
l’année (figure 6). Ces prévisions du marché semblent indiquer qu’il y aura
une hausse de 50 points de base à chacune des quatre prochaines réunions de la Fed, ce qui
constitue une intensification considérable du resserrement attendu depuis le début de
l’année. À ce moment-là, le marché prévoyait seulement un resserrement de
75 à 100 points de base pour l’ensemble de l’année 2022.
Figure 6 : Taux implicite des fonds fédéraux
Contrats à terme sur 12 mois
Liquidation prolongée des obligations, diminution du risque de valorisation
La perspective d’une hausse rapide des taux à court terme à partir de creux records a
provoqué une liquidation d’une rare ampleur sur le marché obligataire. L’indice des
obligations gouvernementales et de catégorie investissement ICE BofA U.S. Broad Market bond a reculé
de 9,6 % jusqu’à présent cette année, ce qui porte son repli à 11,2 %
depuis son sommet de juillet 2020 (figure 7). Ce dernier repli, le plus important de
40 dernières années, efface les gains réalisés depuis le début de 2019.
Cette liquidation s’est produite alors que le taux des obligations américaines à dix ans,
qui se situait à 2,4 % en mars et à 1,6 % au début de l’année, a bondi
à près de 3,0 %. À 2,9 %, le taux des obligations américaines à
dix ans demeure inférieur au point d’équilibre estimé par notre modèle, mais
le risque de valorisation a grandement diminué du fait de la récente montée des taux
(figure 8). En outre, la fourchette d’équilibre de notre modèle est temporairement
élevée en raison de la très forte augmentation de l’inflation, qui devrait
s’atténuer à long terme. Fait intéressant, le milieu de la fourchette d’ici cinq
ans s’établit maintenant à 2,9 %, soit une valeur identique au taux actuel. Le
modèle semble donc indiquer que la pression haussière soutenue exercée sur les taux des
obligations pourrait être limitée, et ce, même si l’augmentation des taux peut se
poursuivre à court terme si les pressions inflationnistes se maintiennent.
Figure 7 : Indice ICE BofA U.S. Broad Market
Indice de rendement global
Figure 8 : Taux des obligations du Trésor américain à 10 ans
Fourchette d’équilibre
Inversion de la courbe des taux, signal d’une récession possible à l’horizon
Conformément à notre avis selon lequel les risques de récession sont plus élevés
que d’habitude, une mesure populaire de la courbe des taux aux États-Unis a subi une inversion. La
figure 9 présente la courbe des taux aux États-Unis comme en témoigne l’écart
entre les taux des obligations du Trésor à deux et à dix ans. Sur le graphique,
l’abaissement de la ligne sous la barre du zéro représente une inversion de la courbe. Les taux
des titres à long terme sont donc inférieurs à ceux des titres à court terme, signe
annonciateur classique de récession. Il se peut toutefois que l’inversion reflète le fait que le
marché s’attend à ce que les niveaux extrêmes de l’inflation pris en compte dans la
portion à court terme du marché obligataire diminuent en définitive à long terme. Il
existe souvent des raisons de discréditer l’importance des inversions, mais il s’avère
qu’une inversion de la courbe des taux a précédé chacune des six dernières
récessions visibles sur le graphique. Étant donné la fiabilité historique de cet
indicateur, il serait sage de prendre un tel signal d’avertissement au sérieux, même s’il
importe de souligner qu’une inversion n’annonce pas nécessairement un danger imminent. Les
inversions de cette portion de la courbe des taux se sont accompagnées de délais assez
généreux par le passé, puisque les récessions et les sommets du marché boursier
se sont respectivement manifestés 18 mois et 15 mois en moyenne après le signal
d’avertissement. La courbe des taux n’est plus inversée au moment où nous écrivons
ces lignes, mais son inversion en mars signifie que le signal d’avertissement demeure valide et qu’il
pourrait annoncer une récession en 2023.
Figure 9 : Courbe de rendement des effets du Trésor américain
Écart de taux entre titre à 10 ans ettitre à 2ans
Repli des marchés boursiers du fait de l’incertitude grandissante
Les préoccupations relatives à la croissance et à la possibilité d’une
récession dans le contexte d’un resserrement des conditions monétaires ont entraîné
un recul des actions après leur redressement survenu en mars. L’indice S&P 500 a
reculé de 7,7 % depuis son récent sommet de mars et il se situe à 11 % de moins que
son point culminant record du début de l’année (figure 10). Soutenues par la hausse des
prix des marchandises, les actions canadiennes se comportent très bien depuis quelques semaines, et
l’indice composé S&P/TSX est à peu près au même niveau qu’au début
de l’année. À l’extérieur de l’Amérique du Nord, les actions des
marchés émergents et de l’Europe ont cédé une part importante de leurs gains
réalisés en mars, puisque la reprise des mesures de confinement en Chine et la guerre incessante en
Ukraine menacent la croissance dans ces régions. Malgré la dévaluation boursière des
dernières semaines, les actions américaines demeurent relativement coûteuses selon nos
modèles (figure 11). Le S&P 500 s’approche d’un écart type au-dessus de la
juste valeur estimée par notre modèle, et les actions américaines demeurent susceptibles de
subir une correction en cas d’accentuation des risques macroéconomiques, même si le risque de
valorisation a diminué à la suite des derniers reculs.
Figure 10 : Principaux indices boursiers
Indices de l’appréciation cumulative des titres en USD
Figure 11 : Fourchette d’équilibre de l’indice S&P 500
Bénéfices et valorisations normalisés
Rendements inférieurs des titres de croissance parallèlement à la hausse des taux
d’intérêt
L’un des principaux thèmes sur les marchés boursiers depuis le début de
l’année est le piètre rendement des titres de croissance, étant donné leur grande
sensibilité aux variations des taux d’intérêt. L’indice de croissance
S&P 500 a reculé de 17 % depuis le début de l’année et il frôle son
creux de mars, alors que l’indice de valeur S&P 500 ne s’est replié que de 2,6 %
jusqu’à présent cette année et qu’il demeure relativement près de son sommet
record. Quand les taux d’intérêt augmentent, les investisseurs sont moins enclins à payer
pour la promesse des profits beaucoup plus élevés des titres de croissance dans un futur lointain et
préfèrent plutôt les titres de valeur à prix plus attrayants (figure 12). Cela dit,
même si les titres de croissance ont connu une baisse par rapport aux titres de valeur, le récent recul
n’a aucune commune mesure avec les gains considérables qu’ils ont produits au cours des
dernières années. Les titres de croissance continuent de subir des pressions dans un contexte
où les banques centrales durcissent leur politique, où l’inflation s’avère plus
difficile à maîtriser et où les taux obligataires continuent de s’accroître.
Figure 12 : Rendement des titres de croissance par rapport aux titres de valeur
Indice S&P 500 Value / Indice S&P 500 Growth
La croissance des bénéfices s’avérera essentielle au soutien du cours des
actions
Alors que les valorisations subissent les pressions exercées par la hausse de l’inflation et des taux,
les bénéfices s’avéreront essentiels au soutien des actions et à la production de
gains supplémentaires. En 2022, les bénéfices des sociétés du
S&P 500 devraient augmenter de 8 % grâce à la forte croissance du PIB nominal.
Jusqu’à présent, les bénéfices continuent de surpasser les estimations des
analystes. La période de publication des résultats du premier trimestre est en cours. En tout,
20 % des sociétés ont présenté leurs résultats, et 79 % d’entre
elles ont dépassé les attentes (figure 13). La hausse considérable des
bénéfices dans les secteurs de l’énergie et des matières, laquelle résulte
de l’augmentation des prix du pétrole et d’autres marchandises, a apporté un nouvel
élan. Les analystes prévoient que les bénéfices des sociétés du
S&P 500 poursuivront leur trajectoire à la hausse pour atteindre pas moins de 275 $ d’ici
à la fin de 2024, soit environ 33 % de plus que la valeur d’aujourd’hui (figure 14). Le
contexte inflationniste soutient habituellement la croissance des bénéfices, mais les marges risquent
de descendre de leurs niveaux records si les dépenses augmentent plus rapidement que les revenus
(figure 15). Tant que les sociétés peuvent hausser suffisamment les prix pour compenser
l’augmentation des coûts, les bénéfices sont susceptibles de continuer leur ascension
même si l’inflation persiste.
Figure 13 : Sociétés qui ont déclaré des résultats supérieurs aux prévisions générales
Figure 14 : Indice S&P 500
Bénéfice par action des sociétés au cours des 12 derniers mois
Figure 15 : S&P 500
Marge nette
Composition de l’actif : maintien d’une surpondération modeste des actions et d’une
sous-pondération des obligations
L’expansion économique mondiale est compromise par différents défis, comme un resserrement
des conditions monétaires, la guerre en Ukraine et les perturbations continuelles découlant de la
pandémie. L’inflation s’avère plus persistante que prévu, ce qui a incité
les banques centrales à durcir le ton et à prévoir une hausse rapide des taux pour
rétablir la stabilité des prix à la consommation. Dans ce contexte, le risque de
récession est élevé, surtout en raison des chocs simultanés de la hausse des taux et de
la flambée des prix des marchandises au moment où la croissance a déjà ralenti. Les prix
des actifs ont été ajustés en réaction à bon nombre de ces préoccupations,
et la hausse rapide des taux a atténué le risque de valorisation sur le marché obligataire. Vu
l’augmentation des taux obligataires, nous prévoyons maintenant des rendements positifs pour les
obligations d’État et nous nous attendons à ce qu’elles offrent une meilleure protection
dans un portefeuille équilibré. À long terme, les actions continuent d’offrir un
potentiel de rendement supérieur, mais nous reconnaissons que l’écart entre la prime de risque
des actions et celle des obligations a diminué en raison de la récente flambée des taux
(figure 16). Les valorisations des actions sont menacées par la hausse des taux
d’intérêt, mais le pouvoir de fixation des prix dans un contexte inflationniste devrait
contrebalancer cet effet. Si l’inflation revenait vers la normale, les perspectives de rendement pour les
actions pourraient s’améliorer (figure 17). Pour le moment, nous maintenons une
légère surpondération des actions et la sous-pondération des obligations dans notre
composition de l’actif. Les marchés s’ajustent toutefois rapidement à
l’évolution des attentes, et nous restons à l’affût d’occasions de modifier la
composition de notre actif. Nos recommandations actuelles de répartition de l’actif d’un
portefeuille équilibré mondial sont les suivantes : 63,5 % en actions (pondération
stratégique « neutre » de 60 %), 34,5 % en obligations (pondération
stratégique « neutre » de 38 %) et 2,0 % en liquidités.
Figure 16 : Ratio bénéfice/cours de l’indice S&P 500
Bénéfice des 12 derniers mois/niveau de l’indice
Figure 17 : Contexte d’inflation et rendement du S&P 500
Rendement actuel moyen sur 1 an