Dans cette vidéo, notre économiste en chef, Eric Lascelles, explique comment les États-Unis transforment leurs relations commerciales avec le reste du monde en raison d’une profonde inquiétude concernant leur déficit commercial chronique avec bon nombre d’autres pays.
Il décrit comment les États-Unis tentent de remédier à la situation en imposant des tarifs douaniers aux pays considérés comme principalement responsables de ce déficit. Plus particulièrement, il analyse le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, et aborde les raisons pour lesquelles ce conflit ne devrait pas se régler de sitôt. Eric explique par ailleurs pourquoi l’augmentation des tarifs douaniers risque de freiner la mondialisation, qui propulsait la croissance mondiale depuis plusieurs décennies déjà.
Vous voulez tout savoir sur le protectionnisme ? Lisez ce résumé du tout dernier numéro de Repères économiques d’Eric Lascelles.
Transcription
En quoi les États-Unis transforment-ils leurs relations commerciales avec le reste du monde ? Que pourrait-il résulter de ce changement ?
Après une longue période d’échanges commerciaux libres et ouverts, un revirement s’est produit aux États-Unis, lesquels se sont mis à exprimer une profonde inquiétude vis-à-vis de leur déficit commercial chronique avec bon nombre d’autres pays et à chercher activement des solutions pour remédier à la situation. Je ne sais pas si tous les économistes approuveraient le choix des tactiques retenues, dont la principale a été d’imposer des tarifs douaniers à certains pays considérés comme responsables de ce déficit commercial. Certains des différends commerciaux ont déjà été réglés, et dans certains cas, de façon assez amicale. Le conflit entre les États-Unis et la Chine semble toutefois s’enliser, et des obstacles au commerce sont apparus. Certains arguments des États-Unis sont assez solides puisque le pays était bel et bien désavantagé par des accords commerciaux qui prévoyaient de plus gros tarifs sur les biens américains que ceux imposés par les États-Unis. D’autres ne sont pas aussi logiques, notamment l’hypothèse d’un retour massif de la production manufacturière aux États-Unis, qui est peu probable dans la mesure où les pertes d’emplois dans ce secteur s’expliquent par l’automatisation, et non par la délocalisation.
La montée du protectionnisme entraînera-t-elle le déclin de la mondialisation ?
Tout le monde s’entend pour dire que l’un des plus grands succès des cinquante dernières années est la progression de la mondialisation. L’expansion des échanges a carrément propulsé la croissance des économies, a rapproché comme jamais les pays du monde entier, a offert aux gens plus de choix, et a donné accès à une main-d’œuvre bon marché ainsi qu’à davantage de produits de meilleure qualité. Il s’agit d’une réussite sur presque toute la ligne. Or, il faut retenir le mot « presque » dans cette phrase, dans le sens où tous n’y ont pas gagné ; certains pays ont perdu des secteurs d’emploi, ce qui a favorisé le populisme qui freine aujourd’hui la mondialisation. Le ralentissement de cette dernière est en grande partie attribuable à l’imposition des tarifs, qui rendent les échanges moins logiques sur le plan financier.
D’un autre point de vue, nous assistions déjà à un ralentissement de la mondialisation. Même si les tarifs douaniers sont en grande partie responsables de cette perte de vitesse, il faut reconnaître que des facteurs déterminants ont carrément précipité la mondialisation au cours des dernières décennies, notamment la conclusion de l’ALENA, la création de l’Union européenne et l’entrée de la Chine au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Ces événements étaient très positifs à l’époque, et nous en ressentons encore les bénéfices, mais nous avons déjà profité de la majeure partie de leurs retombées. Les économies pleinement intégrées ne bénéficiant plus de ces facteurs, la mondialisation s’essoufflait déjà avant l’imposition des tarifs, qui ne font que l’affaiblir davantage.
Qu’est-ce qui explique la tendance actuelle à délaisser le libre-échange ?
L’effondrement du libre-échange et le ralentissement de la mondialisation qu’on constate ces derniers temps sont attribuables en grande partie aux mesures protectionnistes et au populisme qui les sous-tend. Au cours des dix dernières années, partout dans le monde, pas uniquement aux États-Unis, on observe un retour au pouvoir des partis politiques qualifiés de populistes. Difficile à définir précisément, le populisme peut s’entendre d’un rejet des politiques de statu quo, de l’ouverture des marchés et d’autres réalités bien ancrées depuis des dizaines d’années. Le monde cherche à améliorer son sort. Je ne suis pas certain qu’il y arrive, mais cette quête est honnête, dans la mesure où les gens réagissent aux débâcles de la dernière crise financière mondiale et dénoncent l’échec des politiques en place. Ils s’insurgent contre la montée des inégalités et se demandent s’il n’y aurait pas une façon de rétablir l’équilibre, dans une certaine mesure.
Il s’agit surtout d’un sentiment d’insatisfaction généralisé dans un contexte de faible croissance, qui, malheureusement, entraîne ici et là des poussées populistes qui nuisent au commerce et restreignent l’immigration. L’économie s’en ressent, comme nous commençons à le constater. Il pourrait être pertinent de mettre les choses en perspective. Nous sommes en train de passer d’une ère hégémonique, où les États-Unis étaient une entité économique dominante, sans véritables rivaux depuis plusieurs décennies, à un monde multipolaire où les États-Unis et la Chine se livrent bataille pour s’emparer du pouvoir économique et asseoir leur influence. Historiquement, les mondes multipolaires se sont avérés plutôt mauvais pour le commerce, pour la mondialisation, et peut-être aussi pour la croissance, ce qui mène à la dégradation des relations entre des pays partenaires et de l’appui des institutions internationales si importantes pour stimuler la croissance.
Pourquoi les investisseurs doivent-ils comprendre les rouages du protectionnisme et ses répercussions sur la croissance économique ?
Il est évident que les mesures protectionnistes ont eu des répercussions sur les marchés financiers. Chaque fois que les craintes se sont accentuées, comme cela a été le cas vers la fin de 2018 et en mai 2019, on a assisté à une détérioration du marché des actions et d’autres catégories dites plus risquées. Il y a clairement un lien à faire ici. Le protectionnisme nuisant à leurs portefeuilles, les investisseurs devraient y accorder une attention particulière. Je me dois en revanche de mentionner deux facteurs qui font contrepoids. Le premier est que, lorsque l’on s’attarde à évaluer les dommages du protectionnisme, on réalise que, bien que notables et malheureux, ils ne sont pas insurmontables. Il est vrai que le protectionnisme nuit à la croissance des actions, et peut-être un peu aux taux obligataires.
Mais ce n’est pas la seule chose dont il faut tenir compte, et bien que ses effets risquent de perdurer, ils ne sont pas catastrophiques. Voilà un peu où nous en sommes. Le conflit entre les États-Unis et la Chine, deux grandes puissances économiques, pourrait être plus difficile à résoudre que les différends commerciaux qui opposaient les États-Unis au Mexique ou au Canada. Le deuxième facteur, c’est que les demandes un peu arrogantes des États-Unis à la Chine, soit un changement de régime économique, risquent de rester sans réponse un bon moment. Je crois bien que, malgré des rendements légèrement inférieurs à ce qu’ils auraient pu être, les conséquences seront limitées.