Dan Chornous, chef des placements, nous fait part de ses perspectives sur l’économie mondiale et de ses prévisions sur les marchés des actions et des titres à revenu fixe dans un contexte de pressions récessionnistes.
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Transcription
Quelles sont les probabilités d’une récession cette année ?
Les banques centrales ont commencé à remonter les taux d’intérêt au printemps 2022. L’économie s’est maintenue si longtemps que l’on peut se demander si la menace de récession n'est pas en train de s’éclipser. De fait, si l’on considère l’histoire, il faut généralement 18 mois à partir du début d’un cycle de resserrement pour que l’économie entre en récession.
Nous croyons que le risque de récession réelle dans les deux premiers trimestres de 2024 s’accroît à mesure que nous nous rapprochons de la fin de l’année. C’est ce qui ressort de nos prévisions. Il y a des signes de ralentissement économique aux États-Unis et ailleurs. L’indice des directeurs d’achats de notre activité manufacturière a réellement commencé à atteindre un pic à la fin de 2022, pour ensuite décliner tout au long de 2023.
Et l’Europe est déjà dans un contexte de récession, suivie de près par les États-Unis. La Chine, qui représente une part si importante de la croissance mondiale dans la plupart des cycles, a eu du mal à stimuler son économie après avoir connu une forte croissance en début d’année. Cette reprise s’est essoufflée et, malheureusement, les problèmes d’endettement dans le secteur immobilier se font une fois de plus sentir.
Selon nos prévisions, l’économie devrait doucement glisser vers le zéro d’ici la fin de 2023, peut-être aux alentours de Noël, dans un contexte de récession modérée à intermédiaire au début de 2024 et terminant l’année avec une croissance probablement inférieure à 1 % en Amérique du Nord pour l’année entière. L’économie devrait connaître des temps plus difficiles à mesure que le resserrement monétaire fera pleinement sentir ses effets.
Sommes-nous en train de remporter la bataille contre l’inflation ?
L’inflation est très modérée jusqu’en 2023, en raison du resserrement des conditions monétaires et d’un léger ralentissement de l’économie. Il est très important de noter que les premiers facteurs d’inflation, comme l’expansion massive de la masse monétaire M2, les problèmes de chaîne logistique durant la pandémie de COVID-19, ont pour la plupart effacé l’agrégat M2, par exemple, qui fonctionne avec un décalage de seize mois. Il est désormais en territoire négatif, ce qui tire l’inflation vers le zéro.
Sur un chemin accidenté, il faut s’attendre à ce qu’il y ait de bons et de mauvais mois. Et alors que nous enregistrons une inflation de plus en plus basse, les fruits les plus faciles à cueillir ont été cueillis, mais sur une base uniforme, on sait qu’on se rapproche d’un taux d’inflation de moins de 3 %, de l’ordre de 2,5 %, à l’horizon de 2024 et au-delà.
Je pense que cette bataille contre l’inflation a été couronnée de succès. Une bataille très importante a été remportée. Lorsque nous ferons le bilan de cette période, bien qu’elle ait été douloureuse et promette encore d’autres écueils, il est certain que les banques centrales auront restauré leur crédibilité en tant que combattantes de l’inflation. C’est très important pour générer une croissance équilibrée à l’avenir.
Avons-nous été témoins de la dernière hausse des taux d’intérêt ?
Nous avons traversé une période de hausses de taux historiques en termes de taille, d’intensité et de durée. Il était nécessaire de passer par là, compte tenu de la spirale inflationniste et des problèmes qu’elle risque d’induire à plus long terme. Je pense que, si les taux n’ont pas atteint leur sommet, ils en sont toutefois très proches. Ils devraient se stabiliser pendant un certain temps jusqu’au début de 2024, mais à mesure que l’économie glisse plus visiblement vers la récession.
Les marchés qui en conviendraient s’attendent en fait à ce que la Fed et d’autres banques centrales commencent à réduire les taux d’intérêt, peut-être lentement, à mesure qu’ils commencent à s’intensifier, si l’économie ralentit plus fortement que nous ne le prévoyons plus tard en 2024. Les perspectives des taux plafonnent, si tant est qu’ils n’aient pas déjà atteint leur maximum, et il est intéressant de noter que la Banque du Canada a maintenu hier le niveau actuel des taux d’intérêt.
Tout concorde pour que cette longue période de resserrement prenne fin et s’ouvre sur une période de plateau avant une réduction des taux en 2024.
Quelle est votre opinion au sujet des titres à revenu fixe ?
Si les taux atteignent actuellement ou atteindront prochainement leur maximum, nous devrions nous attendre à ce que les rendements atteignent eux aussi leur maximum. Nous sommes très actifs sur les marchés des titres à revenu fixe et les rendements auront atteint leur plus haut niveau sur le plan du rendement et de la valorisation depuis de très nombreuses années.
Lorsque l’économie entrera plus visiblement en récession au début 2024, il faut s’attendre à un allègement non seulement des taux, mais aussi des rendements, ce qui renforcera les coupons déjà attrayants et viendra conforter nos rendements. Nous pensons également que, au niveau actuel des rendements et à celui que nous prévoyons pour 2024, les obligations offriront une certaine protection par rapport à d’autres actifs à risque lorsqu’elles seront intégrées dans des portefeuilles de placement.
Quelle est votre opinion au sujet des actions ?
On pourrait croire que le marché boursier ne s’est pas beaucoup préoccupé du resserrement monétaire auquel nous avons assisté, ni même du risque croissant de récession vers lequel nous nous dirigeons. Mais, si l’on gratte sous la surface, le tableau est bien différent. Il y a vraiment un marché boursier à deux vitesses qui s’est mis en place l’année dernière. En cumul annuel, le Nasdaq a gagné 30 %. Le S&P, pour sa part, n’a augmenté que de 15 % environ.
Mais si l’on prend les sept actions les plus importantes, les plus grands gagnants du S&P 500, ce rendement de 15 % tombe à quelque chose comme 4 %. Et les rendements ailleurs dans le monde ne sont guère meilleurs. Ainsi, au-delà des actions technologiques mondiales sensibles à l’IA qui ont massivement remporté tous les suffrages en 2023, nous voyons émerger un marché boursier très différent qui, désormais, se soucie davantage des valorisations et des perspectives de croissance des bénéfices qui découleraient d’une économie affaiblie.
La revalorisation des actions classées derrière les Magnificent Seven (sept magnifiques) est une bonne chose, mais nous pensons qu’elles réagiront aux bénéfices si ceux-ci commencent à baisser. Il est assez intéressant de constater que les analystes ont en fait cessé de croire en la récession que nous avons connue le mois dernier. Le consensus sur les bénéfices aux États-Unis, par exemple, a été revu à la hausse. Il n’est pas rare que les bénéfices culminent au moment des estimations des analystes, c’est-à-dire après le début de la récession.
C’est peut-être ce que nous observons. Selon nous, le ralentissement de l’économie continuera de peser sur les marges, qui sont déjà en train de décliner après avoir atteint des niveaux élevés. L’affaiblissement du pouvoir de fixation des prix et la baisse des volumes dans une économie affaiblie viendront générer une pression supplémentaire. Nous prévoyons une année plus difficile pour les bénéfices en 2024. Et même si la plupart des valorisations se situent actuellement à des niveaux raisonnables par rapport aux taux d’intérêt et à l’inflation prévus, un ralentissement de l’économie et des bénéfices n’est jamais bon pour le cours des actions.
Nous anticipons de meilleurs rendements à un chiffre pour les actions de la plupart des pays en 2024.
Quelle est votre opinion au sujet de la répartition des actifs ?
Ces dix-huit derniers mois, nous avons été particulièrement actifs dans l’ajustement de la composition de l’actif, de notre exposition aux marchés des actions, des titres à revenu fixe et des liquidités. Au fur et à mesure du durcissement monétaire, la menace d’une récession s’est fait sentir. Nous avons progressivement fait passer notre exposition aux actions de surpondérée à neutre, car la menace d’une baisse des bénéfices et de valorisations plus élevées devenait problématique à nos yeux. D’autre part, les taux d’intérêt, qui étaient historiquement bas depuis environ 150 ans, étaient, selon nous, sur le point de remonter, les taux d’intérêt réels et la prime d’inflation étant poussés à la hausse.
Tout cela se joue dans notre tête. Nous avons maintenant, je pense, une valorisation très intéressante qui sous-tend les marchés des titres à revenu fixe. Les prochaines étapes, si l’économie suit la voie que nous prévoyons, consisteront peut-être à surpondérer légèrement les titres à revenu fixe, même si le choix du moment pose problème. Je ne pense pas que l’on puisse nier la menace qui pèse sur les actions, alors que l’économie se rapproche de la récession et que les bénéfices sont la proie de pressions croissantes.
Nous optons pour une composition neutre de l’actif en termes de liquidités, d’obligations et d’actions. Nous gardons un œil sur les meilleurs points d’entrée pour les titres à revenu fixe.