Les taux obligataires ont augmenté dans la plupart des marchés depuis la publication de la dernière édition de Regard sur les placements mondiaux, les investisseurs ne s’attendant plus à des baisses de taux directeurs aussi marquées. La réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et le contrôle du Congrès par les républicains amplifient l’incertitude politique pour la plus grande économie et le plus grand marché obligataire au monde. Dans le même temps, nous croyons qu’une grande partie de l’économie mondiale continuera sur la voie d’une croissance modérée et d’une inflation proche de la cible, comme c’était le cas avant l’élection, c’est-à-dire la voie sur laquelle elle s’était engagée dans le sillage du resserrement monétaire. Nous prévoyons que les taux directeurs des banques centrales seront plus bas dans un an, du fait que le ralentissement de la croissance et le retour de l’inflation à un taux plus proche de la cible permettent aux décideurs de soutenir leurs économies en abaissant les taux d’intérêt. Sur le front des obligations, nous attendons des rendements oscillant autour de 5 %.
Les taux obligataires sont en hausse depuis la victoire de Donald Trump, les investisseurs évaluant les répercussions de cette réélection sur les perspectives macroéconomiques. Le président élu hérite d’une économie qui s’est libérée des contraintes créées par un cycle de hausse de taux intense et qui continue de croître à un rythme de près de 3 % (figure 1). Et comme ils se sont emparés des pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement, les républicains ont de meilleures chances de mettre en œuvre ce qu’ils avaient promis de faire durant leur campagne. Il faut donc s’attendre à plus de nationalisme économique et de protectionnisme commercial, et à moins de réglementation, d’impôts et d’immigration. La hausse des taux obligataires laisse entendre que les investisseurs s’attendent à ce que les baisses d’impôt et la déréglementation proposées par la nouvelle administration favorisent la croissance, et pensent que les tarifs douaniers et le nationalisme économique feront grimper l’inflation.
Figure 1 : La croissance du PIB des États-Unis est forte
Taux de croissance du PIB, d’un trimestre à l’autre, en données désaisonnalisées et en taux annuel
Trump hérite également d’une situation budgétaire catastrophique. En effet, le gouvernement fédéral des États-Unis affiche un déficit qui représente 6 % du produit intérieur brut. Il s’agit du pire déficit parmi les grands marchés développés, lorsqu’on le rajuste en fonction des conditions économiques (figure 2). Les investisseurs qu’on appelle les « justiciers du marché obligataire » n’ont pas encore cherché à obtenir des rendements en revenu plus élevés de la part du plus grand pays débiteur au monde. D’autres pays, dont les dépenses publiques excessives ont suscité l’inquiétude, n’ont pas eu autant de chance. Le Royaume-Uni et la France, par exemple, doivent tous deux payer des coûts d’emprunt plus élevés, et la confiance des investisseurs à leur égard vacille. Bien entendu, les États-Unis ont le privilège de pouvoir émettre des titres de créance dans la monnaie de réserve mondiale, mais ils continuent de s’adonner à la prodigalité budgétaire sans avoir de plan concret pour remédier à la situation, ce qui risque de miner la patience des investisseurs à un moment donné.
Figure 2 : Les États-Unis sont exceptionnels pour de mauvaises raisons fiscales
Solde ajusté en fonction du cycle (% du PIB potentiel)
Quant à la promesse de réduire considérablement l’immigration aux États-Unis, elle devrait se concrétiser – au moins en partie. Le regain de l’immigration qui avait suivi la pandémie s’est déjà essoufflé et, selon certaines estimations, le nombre d’immigrants (documentés ou non) a diminué de moitié par rapport au sommet de 2022. Nous doutons que les politiques d’immigration plus radicales (comme les expulsions massives forcées) seront mises en œuvre. Cependant, elles ont un effet psychologique dissuasif sur une source de main-d’œuvre importante aux États-Unis, ce qui nuira probablement à la croissance économique.
La réaction de la Réserve fédérale américaine (Fed) aux vents contraires de l’économie sera déterminante pour les investisseurs du marché obligataire. Ces derniers avaient commencé à revoir leurs attentes concernant les baisses de taux avant les élections (figure 3), alors que la victoire de Donald Trump s’annonçait de plus en plus probable. Maintenant que Trump a été élu et que le Congrès est républicain, il est difficile de dire à quel point ces attentes peuvent être encore revues à la baisse ; à moins d’une hausse de l’inflation et de l’activité inattendue et supérieure à ce qu’on prévoit déjà à cause des tarifs douaniers et des baisses d’impôt. À ce stade-ci, il est selon nous peu probable que la Fed abandonne son approche d’assouplissement délibérée.
Figure 3 : Attentes des investisseurs concernant les baisses du taux des fonds fédéraux du sommet au creux
Lors d’une conférence de presse tenue le 7 novembre, le président de la Fed, Jerome Powell, a insisté sur le fait qu’il n’anticiperait pas l’importance ni l’incidence de toute modification de politique par la nouvelle administration. Il a en outre promis de ne pas changer de cap au chapitre des taux d’intérêt, à moins que des changements dans l’économie ne l’exigent. Il a explicitement dit qu’en tant que décideurs, « nous ne jouons pas aux devinettes et nous ne faisons pas de spéculation ni de suppositions ». C’est là un changement d’approche de la part de Powell par rapport à la première administration Trump, avant qu’il soit nommé à la tête de la banque centrale. En 2016, alors qu’il était membre du comité de politique monétaire de la Fed, il avait revu à la hausse ses hypothèses d’inflation et de croissance peu de temps après la victoire de Trump. Nous croyons que le souci de Powell de modérer les attentes du marché est sincère et vient en partie du fait que la Fed croit que les taux d’intérêt sont suffisamment élevés pour entraver la croissance économique. Les fameux « effets à retardement variables et à long terme » de la Fed ne se sont pas encore manifestés dans l’économie américaine. En dépit de son programme d’assouplissement actuel, les taux d’intérêt demeurent plus élevés que ceux de la plupart des créances existantes, y compris les hypothèques et les obligations de société (figure 4). Au fil du temps, les coûts d’emprunt des gouvernements, des entreprises et des ménages continueront probablement d’augmenter à mesure que de nouvelles dettes seront contractées.
Figure 4 : Les coûts d’emprunt continuent d’augmenter pour la plupart des gens, même après les baisses de taux
En dehors des États-Unis, la croissance économique est plus lente, et la nécessité de réduire les taux directeurs est plus évidente. Au sein du G10, la plupart des banques centrales ont réduit les taux autant que la Fed, sinon plus (figure 5).
Figure 5 : Les décideurs ont réduit les taux
Baisse de taux directeurs par rapport à leurs sommets respectifs
Nous prévoyons assurément qu’une partie de l’assouplissement qui a eu lieu jusqu’à présent finira par stimuler l’activité économique – en raison desdits effets à retardement variables et à long terme. S’il y a une chose que nous ne prévoyons pas, c’est une hausse importante des dépenses budgétaires. En fait, nous nous attendons à une modeste consolidation budgétaire au cours de la prochaine année, ce qui freinera la croissance dans son ensemble. De nombreux gouvernements ont tardé à arrêter de dépenser comme ils le faisaient durant la pandémie, et cette consolidation est attendue depuis longtemps. Cependant, un creusement imprévu des déficits budgétaires exercerait probablement des pressions à la hausse sur les taux obligataires. Le raffermissement de l’économie et, peut-être, une inflation plus élevée pourraient réfréner l’envie des banques centrales de réduire les taux directeurs.
Orientation des taux
États-Unis
Comme prévu, la Fed a assoupli sa politique monétaire pour une deuxième fois consécutive, lors de sa réunion du 8 novembre, en ramenant le taux des fonds fédéraux dans une fourchette cible de 4,50 % à 4,75 %. Elle continue d’assouplir sa politique, car elle la considère comme étant extrêmement restrictive, au vu de la forte baisse de l’inflation. Bien que le taux de chômage ait diminué en octobre, il semble que les données aient été fortement teintées par les gros ouragans qui se sont succédé. Le marché du travail continue de ralentir, sans être toutefois déprimé. On a beaucoup parlé du déclenchement de la règle de Sahm qui, dans le passé, a eu l’habitude de coïncider avec une récession ou un début de récession aux États-Unis. Toutefois, d’après les demandes de prestations de chômage et les mises à pied annoncées, l’économie ne semble guère en récession. L’inflation a généralement continué de redescendre, mais elle était toujours un peu trop élevée en octobre, à 2,6 % d’une année sur l’autre, selon l’indicateur privilégié par la Fed. L’entrée en fonction de l’administration Trump, au début de l’année prochaine, remet en doute le plan de la Fed, qui est de continuer à réduire les taux directeurs pour les rapprocher du niveau qu’elle juge neutre, soit entre 2,50 % et 3,00 %. Les décideurs de la banque centrale ont refusé d’exposer leur point de vue sur la série de politiques proposées par Trump (baisses d’impôt, tarifs douaniers, déréglementation, restriction de l’immigration) qui, ensemble, seraient plus propices à un resserrement qu’à un assouplissement.
Nous nous attendons à ce que la fourchette cible du taux des fonds fédéraux se situe entre 3,50 % et 3,75 % au cours de la prochaine année, ce qui représente au moins une baisse de taux de plus que celles prévues par les investisseurs. Pour les obligations américaines à dix ans, nous pensons que les taux atteindront 4,00 % au cours de la prochaine année.
Zone euro
La Banque centrale européenne (BCE) a abaissé son taux directeur de 25 points de base lors de trois réunions consécutives (septembre, octobre et décembre), le faisant ainsi passer de 3,75 % à 3,00 %. Le taux devrait chuter à 1,75 % au cours de la prochaine année, car l’inflation ralentit et la croissance économique demeure relativement faible.
Les investisseurs se montrent particulièrement pessimistes quant aux perspectives économiques de l’Europe pour la prochaine année (figure 6). En effet, le bloc de la monnaie unique a sa part de défis à relever. La plupart des gouvernements entament une période de consolidation budgétaire, ce qui constitue un obstacle à la croissance économique. De plus, la puissante base industrielle de l’Allemagne est en difficulté. En France, les inquiétudes concernant la situation budgétaire et politique se sont accrues depuis l’effondrement du gouvernement central, au début de décembre. À cela s’ajoutent les élections anticipées qui viennent d’être annoncées en Allemagne et qui auront lieu en février. À ce stade-ci, nous ne pensons pas que le résultat du vote aura une grande incidence sur la croissance économique. Les investisseurs ne sont pas enthousiastes à l’égard de l’économie européenne en ce moment, vu l’incertitude entourant la guerre en Ukraine et les répercussions potentielles de la nouvelle administration américaine. Leur pessimisme se reflète dans les baisses de taux qu’ils prévoient actuellement pour la BCE.
Outre la réduction du taux directeur de la BCE, nous nous attendons à ce que le taux des obligations d’État allemandes à dix ans soit de 2,25 % d’ici un an, comparativement à 2,09 % aujourd’hui.
Japon
La Banque du Japon (BdJ) est restée sur la touche depuis juillet, date à laquelle elle avait relevé les taux pour la deuxième fois de l’année. Les décideurs ont été réticents à réviser les taux de nouveau après avoir provoqué une appréciation du yen japonais accompagnée d’un effondrement de 12 % de la valeur des actions japonaises en une seule journée. L’inflation n’est plus aussi forte, mais elle demeure élevée par rapport aux trois dernières décennies. De plus, les ménages et les sociétés s’attendent à ce que les prix continuent à augmenter, et les premières prévisions concernant les négociations salariales annuelles du printemps tablent sur une nouvelle hausse historique.
Nous nous attendons à ce que les décideurs relèvent le taux directeur à 0,75 % dans le courant de la prochaine année. Le taux des obligations japonaises devrait également continuer à augmenter ; celui des titres à dix ans devrait atteindre 1,50 %, contre environ 1,04 % au moment de la rédaction du présent rapport.
Canada
Disant craindre un affaiblissement de l’économie, la Banque du Canada (BdC) a accéléré le rythme des baisses de taux. Elle a réduit le taux directeur de 50 points de base en octobre et en décembre, le faisant ainsi passer de 4,25 % à 3,25 %.
Par ailleurs, l’inflation est nettement moins élevée qu’il y a un an. La mesure de l’inflation de base que privilégie la BdC est tout juste au-dessus de 2 %. Les tensions inflationnistes ne sont plus aussi généralisées, et le marché du travail a ralenti en raison de la hausse du taux chômage. De plus, la croissance de la demande intérieure a régressé et devrait ralentir encore davantage, puisque le gouvernement a l’intention de réduire l’immigration en vue de freiner la croissance de la population. Comme l’inflation et la croissance continuent de diminuer, il est possible que d’autres mesures d’assouplissement soient de mise en 2025.
Il y a une nette différence entre la situation économique au Canada et aux États-Unis, et le fait que l’économie américaine soit plus vigoureuse nous donne à penser que les taux d’intérêt baisseront plus vite au Canada au cours de la prochaine année. Notre hypothèse de base pour le taux directeur de la BdC est inférieure aux attentes des investisseurs, d’après les indicateurs du marché. Nous prévoyons qu’il chutera à 2,75 %, ce qui est 100 points de base de moins que le taux des fonds fédéraux. La divergence actuelle n’est pas extrême, car elle a généralement été de 100 à 200 points de base dans le passé. Le taux des obligations d’État canadiennes à dix ans oscillera probablement autour de 3,25 % au cours des 12 prochains mois.
Royaume-Uni
En novembre, la Banque d’Angleterre (BdA) a réduit son taux directeur pour la deuxième fois de l’année, le faisant passer de 5,00 % à 4,75 %. Le gouverneur de la BdA a opté pour une réduction graduelle des taux, invoquant la nécessité d’évaluer les répercussions du plan du gouvernement (augmenter les impôts et les dépenses) sur l’inflation et la croissance. À l’instar des marchés mondiaux, les obligations du Royaume-Uni ont connu une liquidation depuis septembre, mais elles ont rebondi après que le gouvernement a annoncé des emprunts supplémentaires, le 30 octobre. En effet, cette annonce a fait grimper les taux obligataires davantage et entraîné des rendements inférieurs pour les obligations britanniques. À notre avis, l’augmentation des taux obligataires laisse entrevoir une amélioration des perspectives macroéconomiques. De plus, aux niveaux actuels, ces taux offrent l’occasion d’accumuler des obligations susceptibles de procurer un revenu attrayant. Notons cependant que le fardeau des intérêts qui pèse sur les ménages et les entreprises nuira probablement à la consommation.
Nous nous attendons à ce que les obligations d’État du Royaume-Uni surpassent leurs pairs au cours des 12 prochains mois. Au moment de la rédaction de ce rapport, les investisseurs prévoient que le taux directeur de la BdA chutera à 4,15 % au cours de la prochaine année. Nous maintenons notre prévision de 4,00 %, conformément au cycle d’assouplissement graduel attendu. Nous maintenons également notre prévision de 4,25 % pour le taux des obligations d’État à dix ans, car nous nous attendons à ce que le marché obligataire se remette de la liquidation amorcée à la fin de septembre.
Recommandations régionales
Nous prévoyons que les rendements seront inférieurs au Japon par rapport aux États-Unis et à l’Europe. Les taux de départ élevés (près de 4,25 %), combinés aux baisses de taux d’intérêt, devraient donner lieu à des rendements supérieurs pour le marché obligataire américain. Nous recommandons donc de surpondérer de 5,0 % les obligations du Trésor américain, et de sous-pondérer de 5,0 % les obligations d’État japonaises.
Prévisions sur 12 mois des taux d’intérêt
Calcul du rendement total : 2 décembre 2024 – 1er décembre 2025