Avez-vous déjà consulté un diseur de bonne aventure ? J’ai tenté l’expérience une fois, avec un certain degré de scepticisme. Quand j’y pense, de nombreux commentaires étaient de nature assez générale, mais certaines « interprétations » étaient étonnamment précises. La principale inconnue de ces prédictions demeure le facteur temps. Lorsqu’il s’agit de prédire les perturbations des marchés, il semble que les investisseurs puissent rarement repérer une crise avant qu’elle ne se produise.
Pourtant, en regardant dans le rétroviseur, les signaux d’avertissement semblent souvent assez évidents. Il n’y a pas longtemps, nous étions au bord de l’effondrement du système des caisses de retraite du Royaume-Uni, à la suite de l’extrême volatilité de la livre sterling et des obligations d’État (Gilts) – événement que très peu avaient prédit.
En ce qui concerne les marchés émergents, nombreux sont ceux qui font la file pour prédire un scénario morose pour cette catégorie d’actif, surtout en période d’incertitude. Les commentateurs mettent en évidence toute une gamme de possibles éléments déclencheurs : crises de la balance des paiements, resserrement des liquidités (compte tenu de la dépendance des pays envers les marchés extérieurs), dévaluation marquée des monnaies et risque géopolitique.
La catégorie d’actif a enregistré son pire rendement, les titres de créance de pays émergents libellés en devises fortes ayant chuté de près de 25 % au cours des neuf premiers mois de l’année. On a assisté à une liquidation sans discernement. Toutefois, nous constatons que l’écart se creuse entre les pays dont la situation financière est plus solide, bénéficiant de facteurs favorables qui appuient les placements bêta dans l’ensemble des marchés émergents, et ceux qui risquent de faire face à une crise plus tard.
Les principaux facteurs favorables à un investissement constructif dans les marchés émergents sont la vigueur du contexte des marchandises et la politique monétaire traditionnelle. Le contexte des marchandises s’est grandement amélioré dans la dynamique actuelle des comptes, et ce, dans la majorité des pays émergents, plus des deux tiers de ce secteur étant composés d’exportateurs de marchandises. La politique monétaire restrictive traditionnelle de la plupart des pays émergents a entraîné des taux directeurs proches de 10 % après deux ans de hausses de taux, ce qui leur a permis d’être sur le front de la gestion de l’inflation.
En ce qui concerne les liquidités, la profondeur du marché intérieur est tout aussi importante. Parmi les 23 000 milliards de dollars américains de titres à revenu fixe des marchés émergents, seuls 4 000 milliards de dollars américains de titres sont libellés monnaie forte. Au cours des 20 dernières années, plusieurs pays émergents ont activement développé des marchés locaux mieux ancrés qui leur permettent de compter sur les marchés intérieurs lorsque les marchés extérieurs sont fermés. Ainsi, ceux qui soutiennent que les marchés émergents sont susceptibles de revivre la crise de la balance des paiements des années 1980 sont peut-être trop pessimistes, compte tenu de la dynamique et des preuves de l’évolution des politiques ci-dessus.
Toutefois, la hausse des taux de la Réserve fédérale américaine créera des vents contraires pour certains pays émergents et pourrait ébranler leur capacité à rembourser leur dette. Les économies frontières – c’est-à-dire, les plus petits pays émergents qui dépendent fortement du financement externe – sont susceptibles de se retrouver dans cette position. Ces économies représentent environ 9 % des échanges boursiers dans les marchés émergents. Les pays d’Afrique subsaharienne, en particulier, comptent pour presque la moitié de l’indice JP Morgan NEXGEM Frontiers. Bon nombre des titres de créance en Afrique subsaharienne n’ont pas entièrement récupéré de la COVID-19, le taux de vaccination de la population atteignant à peine 20 %, et 28 millions de personnes étant tombées dans l’extrême pauvreté au cours des trois dernières années.
Les exportations nettes ont nui à la croissance pendant cette période et la consommation est actuellement sous pression, compte tenu du niveau élevé de l’inflation. Les perspectives de croissance sont encore plus sombres, compte tenu des ressources limitées à consacrer à l’investissement et des contraintes sur les budgets des gouvernements. Cette détérioration s’ajoute aux déséquilibres structurels déjà importants, 60 % des économies d’Afrique subsaharienne de l’indice étant aux prises avec de doubles déficits supérieurs à 10 points de pourcentage du PIB. Ces pays ont aussi enregistré la croissance des titres de créance la plus rapide, les émissions d’obligations passant de 5 milliards de dollars américains en 2009 à 100 milliards de dollars américains en 2021. Jusqu’à présent, la région a reçu une aide au développement de 30 milliards de dollars américains et un financement d’urgence de 60 milliards de dollars américains du FMI. Compte tenu des niveaux élevés d’endettement (le ratio dette/PIB est très élevé, à deux chiffres) et des immenses besoins de financement bruts, il semble peu probable que les prêteurs bilatéraux ou les détenteurs d’obligations soient disposés à prêter davantage d’argent à ces pays sans avoir la certitude que les problèmes décrits ci-dessus seront résolus.
Cela pourrait-il se produire au cours des quelques prochaines années sous forme de restructurations ad hoc des dettes souveraines ou est-il probable que la région connaisse un effet d’entraînement plus important qui pourrait nuire aux perspectives de croissance régionale et à l’appétit pour le risque des investisseurs dans ce segment du marché ? À notre avis, il ne faut pas écarter le risque lié à ce dernier résultat. Malgré la volonté de remboursement des dettes et de mise en œuvre d’une combinaison optimale de politiques de la part des pays d’Afrique subsaharienne, la pandémie de COVID-19 et la pression sur les matières premières, combinées à un endettement relativement élevé et à des taux de financement mondiaux plus élevés, placent le recours à l’emprunt de ces pays sur une trajectoire intenable.
Lorsqu’une restructuration est envisagée, le défi de l’application d’un cadre approprié ne réside pas dans l’accord sur l’ampleur de la décote nécessaire à la réparation du bilan souverain. Le véritable défi d’une restructuration de la dette souveraine réside dans la création d’un cadre qui attire les flux d’investissements directs et de portefeuilles, ainsi que d’un ensemble de politiques conçues pour améliorer les perspectives de croissance et mettre le service de la dette sur une voie durable.
Pour notre part, nous croyons que dans le cas de l’Afrique subsaharienne, une approche globale serait plus efficace, mais cela exigerait probablement certaines nouvelles mesures sur le marché. Ces mesures porteraient non seulement sur la dette existante, qui pourrait être rééchelonnée dans un nouvel instrument lié aux objectifs de développement durable clés en tant que principaux indices de rendement, mais aussi sur la possibilité d’apporter des liquidités supplémentaires grâce à une solution de « restructuration monétaire » liée aux facteurs ESG qui pourrait être étroitement surveillée et liée à des projets stratégiques précis. Si un bassin d’investisseurs plus large devait être ciblé, ces nouvelles solutions financières pourraient également offrir des garanties de grande qualité pour un confort accru.
Par exemple, cela pourrait consister à recourir aux actifs de réserve internationaux tels les DTS (droits de tirage spéciaux) comme filet de sécurité pour les prêts. En 2021, l’Afrique subsaharienne a reçu 20 milliards de dollars américains en DTS sur la somme totale de 660 milliards de dollars américains. À l’heure actuelle, un certain nombre de pays développés n’utilisent pas leur part de l’allocation au titre des DTS. La mise en place d’un cadre qui permettrait la réaffectation d’une partie de ce montant à des économies frontière, assortie de conditions et d’un contrôle plus strict, pourrait être une solution gagnante pour les investisseurs et les pays dans le besoin. Si l’on remonte en arrière, on peut comparer sommairement ce type de cadre aux obligations du plan Brady (Brady Bonds) dans les années 1980, qui a contribué à restructurer la majeure partie de la dette commerciale des marchés émergents et a donné naissance à la dette souveraine des marchés émergents en tant que catégorie de titres.
Pourquoi les investisseurs devraient-ils s’en soucier s’ils peuvent éviter ce secteur ? Le continent compte 1 milliard d’habitants, détient 30 % des réserves mondiales de minéraux, 12 % des réserves mondiales de pétrole et 8 % des réserves de gaz naturel. Outre les motivations économiques et humanitaires, il existe des arguments environnementaux pour fournir des capitaux liés aux facteurs ESG à l’Afrique subsaharienne. La région ne représente actuellement qu’une petite fraction des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, mais une étude récente de la Fondation Mo Ibrahim indique que l’on trouve sur le continent les 10 pays les plus vulnérables au climat dans le monde. Le FMI et la Banque africaine de développement estiment que l’Afrique dans son ensemble devra mobiliser 1 600 milliards de dollars américains entre 2022 et 2030 pour s’acquitter de ses contributions déterminées au niveau national visant à lutter contre les changements climatiques, mais selon les tendances actuelles, elle prélèvera moins de 10 % de ce montant. Compte tenu du fardeau financier de la pauvreté généralisée et du manque de ressources, il serait optimiste de s’attendre à ce que la carboneutralité et l’adhésion aux accords du Club de Paris figurent en tête de liste des priorités des décideurs.
Bien que les diseurs de bonne aventure puissent avoir du mal à prédire l’avenir, ils fournissent souvent des indices qui pourraient être utiles pour traverser les périodes difficiles de notre vie. Aujourd’hui, nous voyons que les économies frontières seront confrontées à un certain nombre de défis structurels. Nous devons prêter attention à ces indices et agir de façon proactive afin d’éviter une crise à nos portes. Il est assurément plus facile d’entrer dans une crise que d’en sortir.
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