Alors que le conflit en Ukraine entre dans son troisième mois, des questions subsistent à propos de la relation entre la guerre et les marchés. Guido Giammattei examine l’incidence du conflit actuel sur les marchés émergents, et comment cela se traduit en occasions de placement dans la catégorie d’actif.
Qu’est-ce que l’histoire nous apprend sur les placements en période de conflit ?
Si nous analysons le passé, les conflits n’ont pas vraiment fait dévier les marchés de leurs tendances structurelles. Les réactions initiales se sont souvent avérées éphémères, et elles ont eu tendance à s’inverser une fois les conflits terminés, voire avant qu’ils ne prennent fin. De même, dans le passé, la force du dollar US et la flambée des prix pétroliers sont deux effets qui se sont souvent inversés une fois que le risque était redevenu normal.
Si nous revenons au présent, que pensez-vous de l’impact de la situation en Ukraine ?
Pour l’heure, nous surveillons de très près l’inflation des denrées alimentaires, car le conflit a eu deux répercussions directes à cet égard. Premièrement, l’Ukraine et la Russie sont les principaux producteurs et exportateurs de blé, d’orge et d’autres produits agricoles essentiels. Deuxièmement, le Bélarus est le plus grand producteur d’engrais. Or, les prix des engrais ont énormément augmenté, en raison des sanctions qui ont limité l’approvisionnement, et de l’envolée des prix du gaz qui est un composant essentiel dans leur production1. Certains agriculteurs n’ont pas les moyens d’acheter des engrais aux prix actuels. Cela nuit aux rendements, et aggrave la situation de l’approvisionnement alimentaire et des prix.
L’indice FAO des prix des produits alimentaires est maintenant supérieur à son niveau de 2011, au moment du Printemps arabe. Nous avons déjà constaté l’instabilité économique – et dans une certaine mesure, sociale – provoquée par les prix des denrées alimentaires dans des économies émergentes plus petites et plus fragiles comme le Sri Lanka, le Pakistan, le Pérou et l’Égypte. Le passage de l’impact social aux politiques publiques peut être rapide. Si l’offre ne se rétablit pas, l’inflation des denrées alimentaires et la famine pourraient devenir des problèmes majeurs dans les marchés émergents. Les dépenses alimentaires représentent en moyenne 35 % des dépenses des consommateurs de ces pays, contre 10 % dans le monde développé2.
Quels domaines les investisseurs devraient-ils cibler, ou au contraire éviter, dans l’environnement actuel ?
À notre avis, le mot clé du moment est : « pouvoir de fixation des prix ». Il est tout à fait imaginable qu’après une décennie caractérisée par une inflation nulle, la prochaine décennie connaisse une inflation plus élevée. Dans un tel contexte, surtout en ce moment de transition, il est important de se positionner dans des sociétés qui ont un fort pouvoir de fixation des prix.
Comment cela se reflète-t-il dans les occasions du marché boursier ?
Compte tenu de l’inflation persistante et de la montée des taux, nous privilégions les entreprises à endettement modéré, dont la structure de coûts comporte une faible proportion de marchandises, dont la part de marché est solide, qui comptent relativement peu d’actifs au bilan, et qui ont des produits uniques et difficiles à remplacer. De façon générale, nous cherchons à investir dans des sociétés qui ont un fort pouvoir de fixation des prix.
Et qu’en est-il des secteurs ?
Parmi les secteurs qui ont généralement un fort pouvoir de fixation des prix, nous pouvons citer la consommation de base. Par ailleurs, le secteur de la technologie a subi un fort ralentissement, les cours tiennent compte de la faiblesse des BPA prévisionnels, et les valorisations se sont nettement améliorées. C’est donc un domaine qui mérite d’être revisité plus tard dans l’année.
Plusieurs analystes prévoient la fin de la mondialisation. Croyez-vous que les marchés émergents vont perdre du terrain dans les portefeuilles des investisseurs ?
Nous avons connu la guerre commerciale de Trump en 2019, la COVID en 2020/21, et maintenant nous avons l’invasion russe en Ukraine. Après trois années comme celles-ci, il est facile de devenir excessivement négatif à l’égard de la mondialisation. Cependant, du moins pour l’instant, les faits suggèrent le contraire. Le commerce mondial approche en effet les six billions de dollars, ce qui constitue un nouveau sommet historique3. La Russie est un pays qui a choisi l’isolement, ce qui est assez unique parmi les économies émergentes. Nous ne croyons pas que la mondialisation prendra fin au cours de la prochaine décennie, mais nous pouvons visualiser un changement dans la structure du commerce mondial.
Comment cela se traduit-il concrètement ?
Premièrement, nous pourrions assister à la formation de blocs commerciaux, qu’ils soient régionaux ou axés sur des produits ou technologies. Les pays mèneront plus d’échanges commerciaux à l’intérieur de ces blocs, mais pas exclusivement. Deuxièmement, des tendances comme l’automatisation industrielle, l’infrastructure infonuagique, ou encore l’intelligence artificielle et la fabrication intelligente pourraient remodeler les chaînes logistiques fondées sur la fabrication, dans la mesure où les sociétés réduiront leur dépendance aux pays à faibles coûts de main-d’œuvre productive. Ces dernières tendances ont le potentiel de changer la donne en ce qui concerne les gagnants et les perdants, mais à notre avis, ce n’est pas quelque chose qui sonnera le glas de la mondialisation.
En résumé, nous demeurons optimistes quant aux perspectives à long terme des marchés émergents, et nous pensons que les actifs des marchés émergents restent attrayants dans une optique de rendement.
Visionnez notre dernière vidéo sur les perspectives des marchés émergents.