Jennifer McClelland, vice-présidente et première gestionnaire de portefeuille, Actions nord-américaines, traite de la situation actuelle du marché des actions canadiennes et de la façon dont elle gère les portefeuilles quand la volatilité est intense. Elle nous fait aussi part de ses réflexions sur les risques et les occasions pour les secteurs de l’énergie, des banques et de l’immobilier.
Transcription
Comment les périodes de volatilité modifient-elles votre approche des placements ?
Je pense que l’accent continue d’être mis sur la diversification. Dans cette période où nous avons vu des marchés irrationnels et volatils, je pense que certaines des choses que nous pouvons privilégier un peu plus sont un accent accru sur la durabilité des dividendes. Et nous avons des marchés, mais nous avons aussi les craintes sous-jacentes qui motivent ce marché.
ehausser tous nos chiffres en fonction de nos scénarios et examiner en particulier la couverture des dividendes et s’assurer que les choses sont bien couvertes pour toutes nos sociétés en tout temps et mettre davantage l’accent sur le bilan, ce qui est logique. Il est certain que, pour ces sociétés pour lesquelles nous étions peut-être plus rassurés à l’idée qu’elles dépassent un peu leurs objectifs, nous passons un peu plus de temps à y réfléchir et à nous assurer qu’elles ont des options et des choses comme ça.
Et puis peut-être que l’accent est mis davantage sur les sociétés qui sont capables d’exécuter leurs activités même si elles ne peuvent pas accéder aux marchés boursiers ou des titres de créance. Et certaines stratégies ont été la partie principale de leur plan d’affaires. Et s’ils ne peuvent pas le faire, alors c’est un problème. Nous nous assurons donc que toutes nos sociétés continuent d’avoir la possibilité de le faire. Ensuite, il faut discuter avec les équipes de gestion pour voir si elles ont la capacité claire de changer ou de gérer les coûts, au besoin.
Enfin, je pense que nous passons beaucoup plus de temps à communiquer avec les équipes de gestion, les analystes et d’autres. Nous avons accéléré le rythme des rencontres de contrôle et d’autres choses du genre. Je sais qu’au début de la période de COVID-19, nous avions des appels hebdomadaires avec certaines sociétés qui étaient directement touchées. Et donc nous commençons à en faire un peu plus aujourd’hui.
Que pensez-vous du secteur énergétique ?
Dans l’ensemble, je pense que nous avons encore des perspectives assez favorables dans le secteur énergétique. Je pense que les sociétés d’énergie elles-mêmes ont fait preuve d’une grande rigueur dans leurs dépenses et leurs investissements de capitaux pour de nombreuses bonnes raisons. Et à ce stade, parce que leurs dépenses ont été freinées, la croissance de la production (les perspectives de croissance de la production) au cours des prochaines années est plutôt modeste.
C’est pourquoi il s’agit d’un véritable filet de sécurité – qui met un bon frein – sur les prix sous-jacents. Et les sociétés d’énergie elles-mêmes, même à des creux récents – nous avons eu un peu un rappel [à la réalité] ces derniers jours – mais encore plus bas, lorsque les sociétés se vendaient. Le rendement de leur flux de trésorerie disponible est extrêmement robuste aujourd’hui, à un niveau supérieur à 10 %. Vous ajoutez le coup de pouce, particulièrement lorsque vous ajoutez l’incidence du dollar américain.
Ces sociétés obtiennent des prix basés sur le dollar américain pour leurs marchandises. Elles reçoivent donc beaucoup de flux de trésorerie. Les bilans sont extrêmement robustes et elles passent beaucoup de temps à réfléchir aux moyens – et à l’absence d’autres grands projets sur lesquels dépenser du capital – de restituer le capital aux actionnaires. Nous avons donc dans le secteur énergétique beaucoup de sociétés de croissance de dividendes fortes.
Nous avons des bilans à zéro émission nette. Nous avons des sociétés qui commencent à accélérer le rythme des rachats et, pour moi, dans un portefeuille de revenu, elles deviennent des couvertures d’inflation assez intéressantes, car elles gagnent plus d’argent sur des prix des produits de base plus élevés ; ils ont plus d’argent à restituer. Elles compensent les autres sociétés de nos portefeuilles qui sont touchées par les répercussions négatives de cette situation.
Et puis en ce qui concerne la longévité du secteur, je pense que cela a été remis en question ces dernières années, particulièrement pendant la période de la COVID-19. Je pense que désormais, compte tenu de toutes les choses qui se passent sur le plan géopolitique, il est de plus en plus reconnu que ces acteurs sont… la sécurité énergétique est un facteur important et cela va durer longtemps, alors que nous avons toujours besoin de gaz naturel et de pétrole pour commencer à passer à des modes de production d’énergie plus respectueux du climat.
Et nous allons avoir besoin de ces sociétés et elles vont jouer un grand rôle dans la réduction de notre bilan carbone. Elles sont donc vues comme des acteurs dans la solution, par opposition à un groupe de sociétés laissées pour mortes. Et cela peut, Dieu nous en préserve, en fait, servir de filet de sécurité en multiples que nous payons sur ces sociétés au fil du temps.
Je dirais que la seule chose que nous devons vraiment prendre en considération est notre gouvernement et le soutien dont il a besoin pour maintenir la compétitivité relative du secteur dans ce domaine. Beaucoup de travail doit être accompli et nous ne suivons pas tout à fait ce qui se passe dans d’autres pays. Nous surveillons donc de près la situation.
L’immobilier est le plus touché par la volatilité. Comment naviguez-vous dans ce domaine ?
La situation a été difficile à observer. C’est un secteur qui joue un rôle important dans les fonds à revenu. Et aussi dans les fonds d’actions canadiennes que je gère. Et nous constatons une véritable liquidation dans ces secteurs qui sont dans ces titres, juste compte tenu de l’anticipation de la hausse des taux, de la démonstration réelle de la hausse des taux, et de l’inquiétude que cela va conduire à une augmentation des taux de capitalisation.
On voit donc beaucoup de flux d’argent dans ce secteur. Nous croyons que la valeur des actifs a légèrement changé en raison de l’évolution du taux d’intérêt. Mais je pense que ce qui est pris en compte dans le cours des actions est beaucoup trop radical par rapport à ce qui se passe sur le plan des fondamentaux sous-jacents. Ainsi, selon les valeurs liquidatives des analystes – qui ont procédé à des décotes, compte tenu du scénario actuel et de certaines hypothèses sur les variations des taux de capitalisation – ces actions se négocient toujours à un bon 20 % en deçà de ces faibles valeurs d’actifs, qui ont été marquées au début de l’année.
Entre-temps, les flux de trésorerie que ces sociétés gagnent, ce sont des flux de location qui sont des baux à long terme et des baux de courte durée d’un an. Et les baux courants sont bien en dessous de ce que nous voyons sur le plan de la de valeur de marché. Qu’il s’agisse de résidences ou de commerces de détail ; nous constatons encore une augmentation intéressante des prix dans les baux qui sont signés.
C’est donc une dichotomie assez intéressante entre ce qui est pris en compte sur le marché boursier et ce qui se passe réellement dans les sociétés. Et puis d’un point de vue transactionnel – ce qui se passe dans les sociétés sous-jacentes ou dans les actifs sous-jacents – nous observons encore des opérations dans les différents secteurs, certes ralenties, mais il y a des opérations qui se déroulent dans le marché privé qui soutiennent vraiment les valorisations qui alimentent les estimations de valeurs liquidatives que les analystes publient.
Enfin, le secteur est très axé sur le marché intérieur et c’est une des raisons pour lesquelles il a joué un rôle important dans nos fonds, parce que je crois que les niveaux élevés d’immigration au Canada sous-tendent vraiment les valeurs de l’immobilier, particulièrement dans le secteur résidentiel où nous avons un grand écart sur le plan du besoin de logement et de la capacité de le fournir.
Et donc même si nous nous inquiétons de l’accessibilité et de toutes ces choses, les gens doivent vivre quelque part et notre population continue de croître. C’est ce qui soutient vraiment les taux de location et la valeur sous-jacente de ces titres. Et nous le voyons aussi dans le secteur du commerce de détail. Il n’y a pas de nouvelle offre dans le commerce de détail. Du côté industriel, il y a un vrai déséquilibre entre l’offre et la demande.
Les données fondamentales sont bonnes, les valeurs privées sont bonnes, les actions se comportent mal. La dernière chose sur laquelle nous nous concentrons est que ce sont des sociétés qui sont devenues des SPI pour utiliser leur accès aux marchés boursiers pour continuer à accumuler des actifs. Et s’ils ne peuvent pas le faire aujourd’hui, où leurs actions se négocient, ils vont prendre des décisions drastiques.
Je pense donc que c’est un secteur où nous pourrions voir des choses vraiment intéressantes se produire en matière de privatisations ou de fusions et acquisitions. Et c’est quelque chose que nous observons de très près en ce moment parce que je pense que certaines de ces sociétés sont stratégiquement coincées en ce moment. Elles se débrouillent soit en vendant des actifs dans le marché privé et en obtenant de bons prix, et ensuite en utilisant cela pour maintenir les plans de perfectionnement qu’elles établissent, soit en rachetant leurs propres actions de manière assez agressive.
C’est très intéressant en ce moment. Et, c’est un domaine où nous avons tenu bon et où nous croyons à la viabilité à long terme de ce secteur. Le seul secteur qui nous préoccupe encore un peu plus, et qui est certainement plus une question d’attente, est le marché du bureau. Il est clair que le thème du retour au travail a vraiment pris de l’ampleur ici, à Toronto, mais nous commençons à entendre parler de l’environnement de récession et je pense que certaines des sociétés de technologie qui étaient en train de développer les espaces de bureaux commencent à repenser certains de ces plans d’expansion.
C’est un domaine que nous surveillons d’assez près. Je pense que les sociétés dans lesquelles nous investissons et qui ont des bureaux sont les immeubles de premier ordre qui seront ici depuis longtemps. Mais ce surendettement et ce manque de clarté concernant ce à quoi l’avenir ressemblera, comme les banques canadiennes, les empêcheront en quelque sorte de se redresser sur le plan de la valeur.
C’est ainsi que nous pensons à l’immobilier aujourd’hui.
Quelles sont les perspectives des banques en matière de croissance de bénéfices et de dividendes ?
Oui, je dirais que les actions des banques canadiennes ont aussi connu des périodes de volatilité. Et je dirais, vous savez, en regardant où les banques négocient aujourd’hui, que beaucoup de risques ont été pris en compte. Je pense que les ratios prévisionnels de la plupart des analystes ont diminué de 12 fois, ce qui correspond davantage à un multiple normal des bénéfices, à environ neuf.
Pour moi, on s’attend beaucoup à ce que le ralentissement de la croissance soit pris en compte dans les actions. Et si nous supposons une légère récession et une reprise relativement rapide, en utilisant des multiples normalisés sur les bénéfices – sur les bénéfices prévisionnels – en supposant un scénario de ralentissement relativement faible, les banques présentent un fort potentiel de hausse. C’est donc encourageant. Cela dit, nous sommes en quelque sorte au début de cette période d’anticipation d’un ralentissement.
Les banques elles-mêmes ne voient aucun signe de stress chez les consommateurs. Ils disposent de nombreuses données à surveiller pour voir ce qui se passe assez rapidement quand cela se produit. C’est une bonne chose. Mais nous savons tous que quelque chose va se produire. Nous commençons à voir une reprise du ralentissement de la croissance des prêts et malheureusement, c’est un jeu de patience à ce stade.
Nous ne savons pas à quel genre de récession nous allons être confrontés. Il est donc difficile de voir une reprise des multiples tant que nous n’aurons pas une idée plus précise du type de récession et du type de ralentissement qui nous attend. Et en ce qui concerne les bénéfices et les dividendes, sur le plan de la croissance des bénéfices à court terme, les attentes ont été révisées à la baisse à plusieurs reprises maintenant.
Nous sommes désormais dans la phase de faible croissance des bénéfices à un chiffre. C’est en quelque sorte l’hypothèse de ce scénario de légère récession. Si quelque chose de pire se produit, nous devrons probablement voir une révision à la baisse. Mais à ce stade, cela semble tout à fait réaliste. Et il y a un tas de choses qui s’ajoutent et se soustraient à ces estimations. Nous constatons, en supposant une légère augmentation des pertes sur prêts par rapport aux niveaux très bas après la COVID-19, un léger ralentissement de la croissance des prêts, compensé ensuite par une amélioration des marges nettes d’intérêts découlant de la hausse des taux et de la discipline continue de la direction en matière de dépenses.
Beaucoup de variables, mais je dirais en marge, une croissance lente, modeste des bénéfices à un chiffre. Du côté des dividendes, encore une fois, elles ont tendance à augmenter leurs dividendes en fonction des bénéfices. J’imagine qu’elles seront probablement plus prudentes dans leurs décisions de dividendes au cours de la prochaine année, compte tenu de l’incertitude qui règne dans l’environnement.
Nous devrions donc assister à une croissance, mais elle serait probablement faible et se situerait au bas des fourchettes prévues. Et je pense que, dans le cas où les choses deviendraient vraiment désastreuses en ce qui concerne l’orientation de l’économie et quel que soit le scénario auquel nous serons confrontés, les banques sont en très bonne forme. Leur niveau de capital est extrêmement élevé, elles ont des entreprises très diversifiées.
Elles disposent de nombreux leviers et outils de gestion. Elles sont en bien meilleure posture que d’autres secteurs probablement canadiens ou nord-américains qui font face à la consommation. Je pense qu’elles sont bien placées pour s’en sortir en très bonne forme. Mais je pense que nous sommes encore loin de pouvoir l’anticiper.
Nous continuons donc à suivre de très près tout ce qui se passe et nous restons également en étroite relation avec les équipes de direction.