Les Canadiens choisissent leurs nouveaux dirigeants après avoir suivi une campagne intense. Eric Lascelles, économiste en chef de RBC GAM, analyse les résultats de l’élection et parle des possibles répercussions sur l’économie, la politique budgétaire et les marchés financiers.
Transcription
Élections canadiennes de 2025
Les élections fédérales canadiennes de 2025 sont maintenant terminées et, au moment de cet enregistrement, le Parti libéral a remporté une quatrième élection consécutive et une troisième victoire minoritaire d’affilée. Mark Carney restera le premier ministre du pays. Le dollar canadien n’a pour l’instant guère évolué, tout comme les autres marchés, ce qui reflète le fait que ce résultat électoral était le plus probable.
Il y avait une possibilité que le Parti libéral obtienne la majorité, mais c’est bien sûr un gouvernement libéral minoritaire qui a été élu. À part cela, le résultat correspond assez bien aux attentes. Les marchés n’ont donc pas été vraiment surpris. À l’aube de l’année 2025, le thème de la campagne électorale devait initialement être celui du bouleversement, mais il a évolué vers la recherche d’une solution sûre après que la Maison-Blanche a imposé des droits de douane au Canada et menacé la souveraineté de ce dernier.
Ainsi, le Parti conservateur, qui menait largement dans les sondages avec plus de 20 points d’avance au début de l’année, a finalement perdu les élections. Quant au Parti libéral, il a réussi une nouvelle transformation harmonieuse en choisissant un nouveau chef qui semble bien placé pour faire face à la crise actuelle et en adoptant des priorités politiques très différentes de celles du parti dirigé par l’ancien premier ministre Justin Trudeau il y a quelques mois à peine. Par rapport aux élections précédentes, l’augmentation du soutien au Parti libéral et du nombre de sièges remportés est relativement modeste.
Il s’agit davantage d’un déclin du soutien au NPD et au Bloc Québécois que d’une baisse de popularité du Parti conservateur, parti d’opposition. En fait, le Parti conservateur est en voie de remporter plus de sièges qu’aux dernières élections. Les libéraux n’ont pas réussi à obtenir la majorité au gouvernement, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes dans ce contexte.
Il est donc certain que, si une crise survient, ou si le conflit avec les États-Unis s’intensifie, je pense que d’autres partis apporteront le soutien nécessaire pour prendre les mesures qui s’imposent, qu’il s’agisse d’un plan d’aide financière ou d’autres mesures urgentes. À mon avis, même un gouvernement minoritaire dispose d’une marge de manœuvre. Toutefois, à défaut, ce gouvernement pourrait être moins stable et peut-être même moins efficace que lors des deux derniers mandats.
L’une des raisons est que le NPD est moins un partenaire évident pour les libéraux qu’auparavant, car le Parti libéral se concentre actuellement sur des politiques de relance économique plutôt que sur des politiques sociales. De plus, sous la direction du nouveau premier ministre libéral, on observe une orientation plus centriste que gauchiste. La deuxième raison réside dans le fait que les deux partis réunis atteignent à peine le seuil des 172 sièges nécessaires pour détenir la majorité parlementaire.
Comme vous le savez, les projections actuelles font état de 175 sièges pour les deux partis, ce qui ne représente qu’une marge de trois sièges, donc assez faible. Actuellement, le Bloc Québécois occupe la troisième place en nombre de sièges, derrière le Parti conservateur. Il a parfois appuyé des gouvernements minoritaires dans le passé, mais généralement au cas par cas, plutôt que dans le cadre d’une politique constante.
En forçant un peu les choses, on pourrait soutenir qu’il y a, sur certains enjeux, un terrain d’entente possible entre les libéraux et les conservateurs, étant donné des priorités politiques qui, du moins en surface, se ressemblent. Cela dit, un tel rapprochement serait plutôt inhabituel. Il est donc raisonnable de penser que la mise en œuvre des politiques pourrait s’annoncer plus ardue pour la suite,
et que la durée de vie du gouvernement pourrait s’en trouver écourtée. Si l’effet de nouveauté entourant Mark Carney s’estompe et que le NPD parvient, ne serait-ce qu’un peu, à regagner en popularité – ce qui est loin d’être acquis –, le parti pourrait devenir beaucoup moins enclin à continuer de soutenir les libéraux, ce qui fragiliserait davantage la stabilité de l’alliance actuelle. Il faut toutefois garder en tête que le NPD doit d’abord se trouver un nouveau chef et remettre de l’ordre dans ses finances, un processus qui prendra du temps.
Du côté conservateur, il faudra aussi composer avec une situation délicate : leur chef, selon les projections, aurait perdu son siège. Il reste à voir quelles seront les conséquences concrètes de ce revers. Mais venons-en à la politique, et plus précisément à la politique économique. Peu importe lequel des deux grands partis l’aurait emporté, un virage important dans l’orientation des politiques était déjà dans les cartes.
Alors que sous Trudeau, les politiques mettaient l’accent sur les enjeux sociaux, environnementaux et redistributifs, le prochain gouvernement allait nécessairement se concentrer davantage sur les politiques économiques, en visant à stimuler la croissance, la productivité et à relancer l’économie. Ce virage s’explique en partie par le contexte : menaces tarifaires, faiblesse de l’économie, besoin urgent de stimuler la productivité.
Mais il découle aussi d’un changement idéologique : les deux chefs de parti se situent plus à droite que Justin Trudeau – nettement dans le cas de Poilievre, plus modérément pour Carney. En surface, on peut dire que les partis libéral et conservateur ont promis un ensemble de politiques assez proches.
Tous deux parlaient de baisses d’impôt, de déréglementation, d’investissements accrus dans les infrastructures, les ressources naturelles, la défense, le logement. Chacun envisageait aussi de réduire l’immigration, de lever certains obstacles entre les provinces et, bien sûr, de gérer habilement le conflit commercial avec les États-Unis. C’est donc la version libérale de ce programme qui est maintenant en voie d’être mise en œuvre.
Cela dit, on peut dire sans trop se tromper que les propositions libérales sont moins ambitieuses que celles des conservateurs sur plusieurs fronts. Elles restent relativement modérées. Les réductions d’impôt prévues, par exemple, incluent l’abandon de la hausse de l’impôt sur les gains en capital annoncée l’an dernier et une légère diminution du taux d’imposition pour la tranche de revenu la plus basse. La taxe carbone serait partiellement abolie — du moins pour les consommateurs, mais pas pour les grandes industries.
On envisage aussi de simplifier, avec prudence, les processus d’approbation pour les projets liés aux ressources naturelles, tout en accélérant certains dossiers. Malgré tout, le programme libéral conserve une forte composante axée sur le développement national, avec des projets d’infrastructure majeurs comme le train à grande vitesse ou l’expansion du port de Churchill, entre autres. On peut douter que le nouveau gouvernement réussisse à faire plus que doubler le rythme de construction de logements au pays, comme il le souhaite, mais une certaine hausse semble probable.
Et nous avions trop de doutes quant à la capacité des conservateurs à augmenter le nombre de logements selon leurs prévisions. Leur objectif était, en fin de compte, très proche de celui des libéraux. Il semble toutefois que ce nouveau gouvernement libéral s’impliquera beaucoup plus dans la construction résidentielle. Les libéraux ont une position particulièrement combative sur les négociations commerciales avec les États-Unis, tant sous le mandat du premier ministre actuel que sous celui de son prédécesseur.
On entrevoit une approche un peu plus modérée, marquant peut-être un tournant important, la rhétorique enflammée de la campagne ayant cédé la place à des discussions plus prudentes, afin de ne pas soulever la colère de la Maison-Blanche. Par ailleurs, on met encore l’accent sur les initiatives vertes. Un peu moins, mais toujours.
On penche désormais plus pour la carotte (programmes incitatifs) que pour le bâton (taxes sur le carbone). Dans leur programme, les libéraux ne font pas mystère de leur intention de continuer à cumuler des déficits, mais ils le disent autrement. On fait une distinction entre le budget de fonctionnement et le budget d’investissement. Je suppose que le budget de fonctionnement sera équilibré. Or, si le budget d’investissement demeure fortement déficitaire, cela reste, selon moi, un déficit.
Ces mesures de soutien contribuent à creuser le déficit public puisqu’elles pèsent sur le budget. Pour atteindre leurs objectifs, les deux principaux partis ont proposé des économies de coûts et des gains de productivité plutôt irréalistes, que nous sommes censés financer. C’est pourquoi je pense qu’on peut avoir des doutes à ce sujet.
Les objectifs de revenus sont donc discutables. Néanmoins, des dépenses budgétaires supplémentaires sont très clairement prévues dans certaines des directions que je viens de mentionner au cours des quatre prochaines années, notamment 22 milliards de dollars canadiens budgétisés pour les réductions d’impôts de la classe moyenne, 13 milliards pour payer l’annulation des hausses du taux d’imposition des gains de capital, 18 milliards pour la défense, 24 milliards pour le logement, ainsi que 12 milliards pour les dépenses en infrastructures.
Bien entendu, il convient de garder à l’esprit que les gouvernements minoritaires ont tendance à être plus expansifs sur le plan budgétaire que les gouvernements majoritaires, parce que, bien entendu, il faut tenir compte du fait que le parti minoritaire dans ce cas, et peut-être le NPD également, voudra obtenir des victoires politiques de son côté, probablement plus axées sur les politiques sociales. En conclusion, la principale question qui se pose au Canada dans l’avenir immédiat n’est pas la politique budgétaire au sens large, mais les droits de douane.
Et malheureusement, la voie à suivre sur ce front est sans doute davantage liée aux décisions de la Maison-Blanche américaine qu’à celles du Parlement canadien. Mais bien sûr, le Canada peut exercer une certaine influence dans ce domaine, et à moyen terme, on peut dire que le dosage des politiques que nous voyons actuellement semble raisonnablement bien positionner le Canada pour une croissance de la productivité et de l’économie plus importante à moyen terme, si elle n’est pas immédiatement visible dans les trimestres à venir.