Les dernières années ont été difficiles pour le marché boursier chinois, et le pays fait à nouveau les manchettes à la suite du récent abandon de sa politique de tolérance zéro à l’égard de la COVID-19. Puisque 2023 s’annonce comme un tournant, nous avons demandé à Siguo Chen, gestionnaire de portefeuille, de nous faire part de ses perspectives concernant la Chine cette année.
En tant qu’investisseur sur le terrain dans la région, que pensez-vous de la récente levée des restrictions relatives à la COVID-19 en Chine ?
Le revirement de stratégie de la Chine en ce qui a trait à la COVID-19 la place dans une situation délicate. La réouverture a été bien accueillie par le grand public, mais certains aspects méritent d’être clarifiés.
Quand la COVID-19 est apparue, en 2020, la Chine a imposé des règles draconiennes qui ont été scrupuleusement respectées, ce qui lui a permis de rester relativement à l’abri de la pandémie. Toutefois, le succès de ces règles a encouragé le gouvernement à maintenir sa politique bien au-delà de la « date limite ».
Cette situation s’explique par deux raisons. D’une part, le gouvernement a rattaché sa réputation à l’efficacité de sa politique en matière de COVID-19, de sorte qu’il était très difficile de s’en extirper. Et d’autre part, un large pan de l’immense population chinoise n’avait jamais été exposé au virus et n’était donc aucunement immunisé. Le gouvernement savait que toute réouverture aurait des conséquences douloureuses.
Quelles sont les répercussions sur l’économie et la société ?
Au fil des jours, la pression sur l’économie – et sur le moral – s’accentue. D’après l’analyse de notre équipe, les trois grands piliers de l’économie chinoise, soit la consommation, l’immobilier et les exportations, subissent une pression énorme. La stabilité sociale est aussi devenue un problème ; or, c’est quelque chose qui préoccupe beaucoup le gouvernement.
En octobre dernier, nous avancions que la Chine devait changer sa politique de tolérance zéro à l’égard de la COVID-19 plus tôt qu’elle ne l’aurait voulu, c’est-à-dire en mars 2023 au lieu d’à la fin de l’année. Tout compte fait, la levée des restrictions s’est produite avant la date que nous (et de nombreuses autres personnes) avions prévue.
Si l’intention de la Chine de rouvrir complètement l’économie est manifeste, le rythme de cette réouverture dépendra du système de soins de santé. Il est trop tôt pour dire si celui-ci sera en mesure de composer avec l’augmentation des infections, étant donné sa capacité sous-optimale et les disparités entre les régions.
Qu’est-ce que cela signifie pour votre positionnement ?
Nous sommes bien positionnés pour une réouverture complète, nos placements reflétant nos convictions les plus solides se trouvant dans les secteurs des soins de santé, des voyages et de la consommation. Cependant, nous sommes conscients de l’importance d’avoir un portefeuille équilibré. Par conséquent, nous voyons au-delà de la réouverture, par exemple, dans le secteur de la technologie.
Sur le plan de la géopolitique, que pensez-vous de la situation entre la Chine et Taïwan ?
Selon nous, une guerre entre la Chine et Taïwan est hautement improbable. On parle souvent de la Chine et de la Russie de manière interchangeable, mais les deux pays fonctionnent très différemment. La Chine dépend d’un environnement mondial sain pour sa croissance économique. En revanche, avec son modèle axé sur l’énergie, la Russie peut résister aux bouleversements géopolitiques, voire en tirer profit. D’un point de vue militaire, l’invasion de Taïwan serait beaucoup plus complexe que celle de l’Ukraine, car il faudrait traverser le détroit de Taïwan et l’île compte un nombre limité de postes de débarquement.
Par ailleurs, le coût – tant économique que militaire – pour la Chine risquerait d’être élevé, en raison de la relation entre les États-Unis et Taïwan. Bien que les États-Unis ne l’aient pas explicitement affirmé, il y aurait de fortes chances qu’ils défendent Taïwan. Les hauts responsables du gouvernement chinois ne le savent que trop bien.
La question sino-taïwanaise est souvent envisagée en termes binaires, à savoir si une invasion aura lieu ou non. Pourtant, nous pensons qu’il existe un éventail de possibilités, dont la plupart sous-entendent une solution diplomatique.
Comment tenez-vous compte de ces facteurs lorsque vous investissez ?
Nous sommes d’avis que la probabilité d’une invasion de Taïwan est extrêmement faible. De plus, en tant qu’investisseurs en actions à long terme, nous tenons compte de la liquidité et de la possibilité de vendre des placements en temps opportun. Notre meilleure défense contre les événements géopolitiques consiste à maintenir notre souplesse.
Selon nous, les frictions entre la Chine et les États-Unis ne s’estomperont pas de sitôt. C’est pourquoi nous choisissons d’exclure plusieurs sociétés de nos portefeuilles. Néanmoins, ce n’est pas un problème, parce qu’il y a environ 7 000 sociétés dans lesquelles il est possible d’investir sur le marché boursier chinois.
Quel est votre point de vue sur la démondialisation, un thème qui semble gagner du terrain à l’échelle mondiale ?
La démondialisation est une tendance bien réelle qui fera mal à la Chine, vu que celle-ci a grandement tiré parti de la mondialisation ces vingt dernières années. Cela dit, il s’agit d’un risque plus facile à gérer que ce que croient un grand nombre de personnes. Le virage est amorcé, mais il pourrait falloir beaucoup de temps pour que la démondialisation s’enracine, et d’ici là, la Chine aura gravi les échelons de la chaîne d’approvisionnement internationale.
Nous croyons également que la Chine restera un maillon essentiel des chaînes logistiques grâce à l’abondance des fournisseurs locaux. Prenons l’exemple d’Apple, dont presque tous les produits sont assemblés en Chine.1 Il faudrait des décennies pour que toute la chaîne d’approvisionnement soit déplacée ailleurs.
La Chine est fortement interconnectée avec l’économie mondiale. Compte tenu du fait qu’elle est le principal partenaire commercial de la plupart des pays émergents, ainsi que d’autres marchés comme celui de l’Union européenne, une dissociation complète n’est pas possible.
Les vents contraires des dernières années, combinés aux perspectives d’essoufflement de la croissance économique pour les années à venir, ont rendu les investisseurs nerveux. Qu’est-ce qui vous donne confiance en tant qu’investisseur à long terme sur le marché boursier chinois ?
La croissance chinoise a été soutenue par l’industrialisation rapide, les investissements et l’urbanisation. On ne peut nier qu’il sera plus difficile d’obtenir des gains de productivité supplémentaires à l’avenir, surtout dans un contexte démographique défavorable.
Par contre, sur une note plus positive, le PIB par habitant de la Chine reste nettement inférieur à celui d’autres pays d’Asie du Nord, comme la Corée, le Japon et Taïwan, ce qui laisse supposer qu’il existe une marge d’expansion. Celle-ci pourrait passer par de nouvelles améliorations en matière d’éducation et d’urbanisation, ainsi que par le développement des industries à valeur ajoutée. Le PIB de la Chine continue d’augmenter de façon considérable, et en qualité de deuxième économie en importance au monde 2, elle demeure l’un des marchés les plus attrayants. De surcroît, alors que le pays s’oriente vers une économie axée sur la consommation, les occasions dans ce domaine sont immenses, avec environ 1,4 milliard de consommateurs.3
La Chine est aussi bien placée pour jouer un rôle de chef de file dans plusieurs segments, notamment ceux des véhicules électriques, de l’énergie verte et des avancées technologiques qui gravitent autour de la tendance à la substitution par des produits locaux. Il s’agit là d’éléments importants du point de vue des placements.
Enfin, les marchés financiers chinois poursuivent leur expansion et permettent une plus grande participation internationale. Nous estimons qu’il existe des occasions de générer plus d’alpha, surtout pour les investisseurs internationaux.
1 « What to know about Apple and China », The New York Times, 17 juin 2021
2 « China's more balanced recovery gives support to global rebound », Bloomberg News, 14 juillet, 2021
3 « Chinese consumers wary of splurging after Beijing relaxes COVID strictures », Reuters, 11 décembre 2022